Je suis sensible à l’écologie depuis le 18 mars 2018. Je suis précise, hein? Il faut dire que j’ai toujours eu une mémoire phénoménale des dates. Mais si je me souviens en détail de ce jour-là, c’est parce qu’il est inscrit pour toujours comme le jour où j’ai déménagé seule, pour la première fois de ma vie. 

De 2014 à 2018, j’ai habité la grande majorité du temps en colocation dans un immense logement du Mile End. Dans ce grand quartier général, où il y avait toujours quelques nouvelles connaissances qui dormaient sur nos sofas délavés, j’avais un rythme de vie aussi agité et tumultueux qu’un cyclone tropical. Sortir, courir, étudier, inviter des gens, organiser et faire des partys, dater, veiller, dormir un peu, recommencer.

J’avais besoin d’être constamment stimulée, entourée et remarquée. Je voulais ne jamais avoir le temps de réfléchir, d’être seule, de me poser. Et la planète? Elle pouvait bien attendre. Le styromousse de mes épiceries s’accumulait dans une énorme poubelle en acier inoxydable, les robes t-shirt achetées pour quelques dollars sur Internet traînaient sur le plancher de ma garde-robe, et les décorations en plastique du Dollarama, vestiges de la dernière fête, décollaient des murs couleur pipi déshydraté. 

Jusqu’à ce que, un jour de février 2018, je reçoive un appel : un appartement à prix abordable s’était libéré dans une coopérative derrière le métro Rosemont. Si l’attribution des logements à Montréal était une loterie, j’avais gagné le gros lot. Du haut de mes 23 ans, j’avais l’occasion d’habiter seule, tout en poursuivant ma très instable carrière de chroniqueuse et de journaliste ludique. En échange, je devais pelleter l’entrée des personnes à mobilité réduite l’hiver. Le deal du siècle! 

Au moment où j’ai déposé mes boîtes dans ce nouvel espace, j’ai été happée par une énergie nouvelle. J’étais probablement prête à changer de mode de vie depuis longtemps, mais le terreau dans lequel je tentais de m’enraciner n’était pas assez fertile. Dans ce rez-de-jardin lumineux et épuré de 500 pieds carrés, toutefois, chaque particule m’appartenait enfin. Je pouvais faire table rase du passé et devenir ce que je voulais. C’était le début d’une nouvelle ère, et je me sentais privilégiée. 

Pendant les premiers jours, je me suis surprise à adopter beaucoup de plantes, à apprendre comment en prendre soin. J’ai commencé à prendre des notes dans un petit grimoire sur les boutures et le meilleur moment pour rempoter mes nouvelles amies. Puis, le jour de Pâques, entre deux respirations de pleine conscience — un enseignement de mon hypnothérapeute —, j’ai eu une illumination: mon besoin d’émotions fortes, je pouvais l’assouvir autrement qu’en voulant être partout et avec tout le monde en même temps. Je pouvais vivre une vie lente, mais riche en sensations, en investissant davantage dans ma relation avec la nature. En mettant mes mains dans la terre pour la première fois, j’ai eu soudainement envie d’être une sorcière urbaine qui part ses semis au printemps, cueille des herbes sauvages sur le bord des routes et en fait des décoctions, synchronise son cycle menstruel avec celui de la Lune, fait son pain le dimanche matin et lit des essais féministes l’après-midi. Ma page Instagram, qui se caractérisait jusque-là par des stories floues et faussement artistiques, créées au petit matin, s’est naturellement transformée en plateforme de partage d’habitudes écoresponsables. 

La réponse a été claire et immédiate: les shampoings solides, les fleurs locales et les pellicules de cire de soya, c’était beaucoup plus intéressant pour moi —  et mes abonnés! — qu’une moue désintéressée derrière un verre de vin orange. Mon nouveau mode de vie est né dans la poussière de mon nouveau bail et s’est gravé dans mon ADN au cours des années qui ont suivi. C’est en ralentissant et en m’arrimant au rythme de la planète, de la nature, que j’ai réussi à finalement me déposer et trouver ma place.