L’Automne dernier, je revenais de mon cours à l’Université du Québec à Chicoutimi, comme chaque semaine. Une heure de route – et les trois quarts du trajet sur une route qui n’est pas très éclairée et souvent mal déneigée.

Tout à coup, j’ai vu les quatre flashers de l’auto devant moi s’allumer. Le véhicule venait de frapper un chevreuil. Après m’être assurée que le couple à bord allait bien (les deux personnes n’avaient rien et pensaient surtout à la carrosserie de leur char), je suis allée voir le petit buck qui, lui, gisait dans le banc de neige. Il avait été tué sur le coup: ses beaux yeux noirs étaient éteints. La première chose que je me suis dite, c’est que son corps rentre clairement dans le coffre de ma Matrix, si je baisse les sièges.

J’ai vu en cet événement un cadeau, une façon de m’accomplir dans mes skills de femme autonome. Après avoir parlé un peu au chevreuil et brûlé du tabac, j’ai pris la décision d’honorer sa mort en le consommant. Je me sentais forte et fébrile, voulant tout faire pour ne pas rater mon coup, l’évider rapidement avant que sa panse contamine la viande.

J’ai essayé de le soulever seule, mais il était vraiment trop lourd. 

Les gens qui l’avaient frappé étaient restés dans leur coin.

J’ai fait des signes à un pick-up qui passait: trois jeunes qui se promenaient dans la nuit. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas le droit de faire ça et qu’on pouvait se faire arrêter si on ramassait l’animal. Derrière eux, un char de police est arrivé avec ses flashers pour constater l’accident. Les jeunes à bord du pick-up sont partis en vitesse. Deux policiers sont sortis du véhicule, et je leur ai demandé s’ils pouvaient m’aider à mettre le petit buck dans mon char. Sa chair allait tellement nourrir mes trois ados pour une couple de mois! Ils m’ont dit: «Ben oui, voyons, il ne faut pas gaspiller ça!»

Je me suis trouvée chanceuse de tomber sur ces deux policiers-là, et que ça ne fasse pas de bisbille.

Je les ai remerciés.

J’ai roulé jusque chez nous. Dans mon rétroviseur, je voyais le panache du chevreuil, et partout dans mon char, ça sentait ce que la mort sent. Je me disais que ça ne fait pas si longtemps qu’il y a des chevreuils par ici. Ils sont tous en train de migrer vers le nord à cause des changements climatiques. Comme les ratons laveurs, les urubus et plusieurs autres animaux qui sont apparus dans les dernières années.

Il était tard. Dans l’appart, mes gars dormaient déjà.

Je n’avais jamais ouvert un chevreuil.

J’ai appelé des gens pour qu’ils me guident par téléphone.

J’ai regardé des vidéos de chasseurs sur YouTube, j’ai mis ma lampe frontale et j’ai installé la bête dans la tente prospecteur qui était déjà montée dans ma cour. Et tout a bien été.

Je me suis sentie remplie de gratitude, de force et d’indépendance, pleine de respect pour l’animal et de fierté d’avoir fait ce choix de l’amener à la maison.

Le lendemain, mon amie et moi, on a accroché les quartiers de chair dans la remise.

Plusieurs heures de travail nous attendaient.

Tous les gestes qu’on faisait ressemblaient à ceux d’un rêve plein de réalité.

J’ai fait une soupe au cœur.

J’avais hâte de donner de la viande fraîche à ma famille et à mes amis, en fausse chasseuse que je suis.

Lire aussi: 
La fois où… la communauté «plus-size» m’a trouvée
La fois où… Mélissa Lavergne a décidé de se raconter
La fois où… Léa Stréliski a rendu hommage à sa prof