Je ne peux pas dire que je ne l’ai pas vu venir, quand elle faisait des allers-retours entre là-bas et ici, en revenant toujours de plus en plus enchantée. Même de loin, j’avais l’impression d’être là à toutes les étapes. C’est arrivé vite, comme un accident maîtrisé où il y a plus de peur que de mal. J’ai commencé doucement à lui montrer mon soutien quand elle revenait et me racontait leurs marches, leurs envies, leurs conversations, leurs projets, leurs vacances. «C’est sûr que c’est difficile; ton corps est ici, mais ton cœur est ailleurs», «Ce n’est pas bébé de s’ennuyer», «T’as le droit de vouloir être avec lui souvent.» Au début, elle faisait comme si les chances qu’elle fasse le grand saut étaient minces: «Un jour, si on habite ensemble…» «Un jour, si on a une famille…» Mais je savais que les mois, les semaines étaient comptés. On sent l’amour quand on le voit. Quand il donne envie de bouger, de créer, d’aller se coller au chaud sans que ce soit une récompense, sans que ce soit prévu, juste… être ensemble parce que ça fait du bien. 

Ce n’est pas pour autant que c’est facile, laisser aller mon amie du quotidien. Mon amie des petits maux, des grandes joies, mon amie du «J’ai fait trop de biscuits, en veux-tu?», «Je passe te prendre à pied dans 10 minutes», «J’ai hâte que tu me contes ton souper», «Je suis SPM; à matin, j’assassinerais tout le monde, sauf toi.» C’est bien sûr que j’ai peur qu’on devienne des amies de conversation Messenger à six, qui répondent vite vite aux cinq jours ouvrables sans vraiment donner de détails sur les questions posées (sans rancune, on a toutes une vie). 

Nous aussi, on en avait, des projets, des marches et des vacances. Tout ça devient de plus en plus diffus à mesure qu’elle prépare le grand départ, mais ma manière de l’aimer encore, de l’aimer plus fort, c’est de l’encourager à partir. L’adage dit: Ce que tu aimes, laisse-le aller; s’il te revient, il t’appartient. La beauté pétaradante, ici, c’est qu’elle s’appartient. Elle plie bagage et essaie, expérimente, vit, et moi, je suis la chanceuse qui assiste à tout ça. Si je l’aimais un peu moins, je lui exprimerais ma tristesse. Je lui dirais que j’aurais aimé qu’elle soit la meilleure amie de mon garçon, qu’elle l’amène manger une crème glacée par surprise, qu’il ne soit pas gêné quand elle arrive à la maison. Mais je n’ai pas besoin de lui dire ça, elle le sait. Elle voulait ces mêmes choses pour nous. C’est juste que, maintenant, elle en veut d’autres… pour elle. Tout ce que j’espère, c’est que, même de loin, je saurai être là à toutes les étapes. 

Et quand je me retournerai pis que, pour les premières fois, elle ne sera plus là, je me répéterai comme un refrain: «Ce n’est pas bébé de s’ennuyer.»

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