J’ai dit oui. Oui, dans le sens de proposition affirmative lourde de sens. Oui comme dans «La game vient de changer.» Dire oui, parfois, ça change une vie.
J’ai dit oui deux fois, sans réfléchir. Des grands oui ayant une incidence fondamentale sur mon destin. Des oui qui te font chavirer. Du coeur et de la tête.

Oui à faire un bébé.
Ça, c’était incroyablement merveilleux. On pourrait s’en reparler.

Et cet autre oui chamboulant au doctorat en science politique.
Quand j’ai dit oui à ce projet d’études, mon hamster s’est mis à pédaler à toute allure. «T’es pas capable. T’es pas bonne. T’es poche.» Et au grand galop est apparu le violent sentiment d’imposteur.
J’avais l’impression d’entamer une piste experte trois losanges noirs. Une piste rocheuse et escarpée qui donne conséquemment un gros high d’adrénaline. L’adrénaline, c’est doux-amer.

L’affaire, c’est que l’école m’avait déjà énervée. Au secondaire, j’étais cette étudiante – foulard de hippie dans les cheveux, sac à bandoulière wanna be exotique à l’épaule. Une adolescente convaincue de ne pas avoir besoin de l’école pour se frayer un chemin. (Je vous aurais «gossées» même si je n’avais pas tort.) J’étais prête pour les grandes aventures, pour fumer de la chicha dans un bar illégal de Montréal ou partir au Burkina Faso faire de la radio. L’école me tapait sur les nerfs, parce que j’avais besoin de «liberté».

Le doctorat a tout d’un fastidieux marathon très exigeant. J’avais déjà le souffle court. Pourquoi m’en demander autant? J’aurais pu apprécier le doux plaisir de l’existence, savourant daïquiri et croustilles au ketchup sur une plage ensoleillée. Mais non…

L’être humain est constitué de paradoxes. J’ai réalisé que j’avais besoin de ça. «Ça» étant un bon coup de pied dans le derrière qui me sortirait de ma zone de confort intellectuel. Se consacrer à une question longuement, ce n’est pas à la mode du temps. Je suis attirée par la vie des idées. C’était mon envie: comprendre, questionner, apprendre. Il n’y a personne pour «liker» ta thèse, et alors? Faire un doctorat est un acte de foi peu célébré dans l’ère de l’ultrarapidité, du jetable après usage, où l’on se fait
une opinion en cinq minutes que l’on partage instantanément, impulsivement, avec la planète entière.

lea clermont dion

Photo: Le pigeon

J’ai écouté mon instinct.
J’ai dit oui, parce je crois fondamentalement que, comme le disait le philosophe Francis Bacon, le savoir, c’est le pouvoir. Je l’ai fait pour moi. Pas pour les autres. Je l’ai fait pour grandir.
Et j’ai grandi.
Il y a déjà quatre ans que j’ai entamé ce doctorat. J’y arrive. Un souffle à la fois. Une épreuve à la fois. J’ai gagné en «liberté». Approfondir, c’est un pas vers l’affranchissement.
Je suis fière d’avoir opté pour la piste trois losanges, la voie difficile, la voie de l’ombre, celle dont tout le monde se fout. J’ai gagné confiance et humilité. Car l’un n’exclut pas l’autre. Je ne regrette pas d’avoir dit oui. Un jour, je serai docteure.

Lire aussi:

La compersion, la nouvelle émotion cool?
Toutes debout pour les femmes: Julia Roberts, actrice