J’ai longtemps pensé que je deviendrais chanteuse d’opéra. J’avais une passion pour les airs italiens, un penchant prononcé pour la dramaturgie (lire ici: le drama) et un véritable amour de la scène.

Mais une fois mon baccalauréat entamé, j’ai été convaincue que je n’avais pas ce qu’il fallait pour faire carrière en chant classique. J’ai cru me rendre utile à la société (!?), et j’ai fait une maîtrise en science politique, laissant ma voix derrière moi. J’ai cru, pendant un moment, que je me destinais à un métier à vocation sociale ou politique.

Alors, quand on m’a proposé d’être chroniqueuse culturelle à Radio-Canada pour la nouvelle équipe du matin, j’ai été très surprise et j’ai d’abord refusé, persuadée que je ne rentrais pas dans le moule habituel des chroniqueuses culturelles de la radio publique. Autant j’estimais que c’était un immense privilège d’avoir cette tribune, autant je pensais ne pas avoir le profil recherché.

Mais j’étais curieuse. Je suis donc allée consulter une longue lignée de femmes magiques qui avaient occupé ce fauteuil matinal de chroniqueuse (et une bonne psy!). Elles m’ont encouragée à relever le défi et à y mettre ma couleur. J’ai finalement accepté le poste, la peur au ventre, prête à essayer de devenir «critique» culturelle.

Ces femmes, j’ai humblement pensé que je pouvais les imiter. J’ai étudié le vocabulaire qu’elles utilisaient quand elles examinaient un film du point de vue de la réalisation, quand elles jugeaient une pièce de théâtre sous l’aspect des techniques de jeu des comédiens ou qu’elles analysaient les arrangements de tel ou tel album.

J’ai très longtemps cru, que pour être une bonne chroniqueuse culturelle, il fallait traiter des œuvres selon des critères techniques et spécifiques. J’ai aussi cru qu’en acceptant, j’allais toujours me mesurer à l’aune du travail qu’elles avaient accompli.

Peu de temps après avoir obtenu le poste, j’ai croisé mon amie Régine, et elle m’a dit: «Réalises-tu le pouvoir que tu as?»

Non… je n’avais pas pensé à ça.

J’avais pensé à la responsabilité et aux attentes élevées. J’avais pensé, sans prétention, aux conséquences des critiques parfois mitigées ou malheureuses.

Mais le pouvoir dont Régine me parlait était tout autre.

C’était celui de proposer un regard différent sur la culture et de choisir les voix à amplifier.

Par cette simple question, Régine m’a permis de comprendre que le micro que j’utilise tous les matins doit non seulement être tendu vers ceux et celles qui n’en ont pas, mais qu’il doit aussi servir, parfois, à soumettre l’art et la culture au regard et au caractère de la société dans laquelle ils s’inscrivent. Ce qui veut dire qu’il peut parfois servir à souligner le manque de répliques données par des femmes dans un blockbuster ou à se poser des questions sur l’importante représentation policière dans une série télé… Et que ça peut être fait entre deux ou trois critiques d’albums de musique classique ou néodisco. (C’est une question de dosage.)

Certaines personnes jugent que ce genre de critique n’est pas valable en culture, et on m’a trop souvent reproché, comme chroniqueuse culturelle, de faire du militantisme sous le couvert d’une chronique.

Je me suis beaucoup remise en question à la suite de ces commentaires négatifs, étant sensible au ton parfois véhément employé sur les réseaux sociaux et étant avide de m’améliorer.

Mais je pense que si, finalement, ma voix ne sert pas à porter les airs de Puccini, elle doit au moins être en harmonie avec les préoccupations de notre époque.

Si j’ai un quelconque pouvoir, comme me le disait Régine, je crois que c’est celui-là.

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