Il y a toujours eu chez moi un grand besoin de transmission. J’ai eu la chance de rencontrer des adultes inspirants et passionnés qui m’ont donné le goût de me dépasser. Je ne serais pas la femme ni l’artiste que je suis aujourd’hui sans ces rencontres marquantes.

Vous comprendrez donc que lorsqu’on m’a proposé, au début de ma carrière dans le milieu du slam, de donner des ateliers d’écriture au secondaire, j’ai répondu oui avec enthousiasme.

Une des premières classes où je suis allée était dans l’est de la ville, pas loin d’où j’ai grandi. Il y avait énormément de jeunes d’origine maghrébine. J’ai vu très vite la fierté dans leurs yeux quand j’ai mentionné d’où venaient mes parents. J’ai aussi remarqué leur fascination pour mon parcours. J’ai réalisé, à cet instant, l’importance, sous-estimée, de la représentativité. Ces jeunes avaient devant eux une personne qui leur ressemblait, qui travaillait et gagnait sa vie dans le milieu artistique. Une option souvent impensable pour eux et pour leurs parents. Après le cours, plusieurs jeunes filles sont venues me voir. Elles voulaient me poser des questions sur mon métier, comment j’avais fait pour y percer et, surtout, comment ça s’était passé avec ma famille.

Et c’est là que j’ai compris tout l’impact positif que je pouvais avoir sur elles. Pour la majorité d’entre elles, j’étais la première femme artiste québécoise et maghrébine qu’elles rencontraient. 

J’ai réalisé qu’aucune de ces filles n’avait pris la parole durant l’atelier. Comme le slam est affilié au milieu du hip-hop et du rap, les garçons ont tendance à être plus enthousiastes et sonores (et c’est super!) que les filles. Ils prennent plus facilement leur place et sont moins intimidés devant la classe. Les jeunes filles sont souvent plus réservées. Mais quand je passais dans les rangées, pour lire les textes, c’est souvent elles qui avaient les poèmes les plus percutants, les plus aboutis.

Depuis, j’ai commencé à modifier ma façon d’intervenir dans mes ateliers.

Dès mon arrivée, je pose des questions et je pointe les élèves du doigt pour avoir les réponses. Les filles comprennent très vite que c’est moi qui donne la parole et qu’elles seront obligées de parler si je le leur demande. Ça les stresse, mais ça les sort du même coup de leur mutisme. Je prends aussi le temps d’expliquer mon parcours et ma réalité de femme issue de la diversité culturelle.

J’analyse les dynamiques de classe pour mieux comprendre le groupe qui est devant moi et, ainsi, je sens que je mets les jeunes filles en confiance. Je vois dans leurs yeux briller une étincelle, celle du désir de se dire et de savoir que, devant elle, il y a une femme qui ne fait pas que tendre l’oreille. Il y a une femme qui prend le temps, qui les entend. Car on ne naît pas inspirante, on le devient. 

Lire aussi:
La fois où… Léane Labrèche-Dor a arrêté de vouloir être un gars
La fois où… Mélissa Désormeaux-Poulin a su que sa curiosité venait de son désir d’intimité
La fois où… Schelby Jean-Baptiste était tannée d’être la femme noire forte