Être actrice, c’est un gamble jour après jour. On ne sait jamais quand on va retravailler, parce que ça ne tient qu’aux auditions, l’équivalent d’une entrevue pour les Moldus. Autrement dit, ce métier que j’aime et que je déteste à la fois, c’est l’incertitude absolue. Imaginez si on ajoute à cette précarité neuf mois de grossesse – et une transformation corporelle radicale de son instrument de travail –; c’est un peu comme se faire condamner à neuf mois de taule! Sans blague, la pire prison, elle est dans la tête. Le cerveau s’amuse à nous bombarder de pensées affreuses du genre: «Plus personne ne va t’engager; c’est fini pour la vie!», «Les gens vont t’oublier», «Has been!», «T’as voulu faire des bébés? Ben, assume!».

À ce moment-là, je porte ma petite Ariel dans mon ventre depuis quatre mois, aussi heureuse d’être enceinte qu’anxieuse de passer une autre année sans pouvoir jouer autant que je le voudrais devant la caméra. Ma bedaine ne paraît pas encore; alors, je me dis que je peux auditionner pour de la publicité, surtout si celle-ci va dans le sens de mes valeurs. Je tente ma chance… puis, «bam»! j’obtiens le rôle pour une jolie pub qui fait la promotion de… la Journée internationale des droits des femmes!

Quelques jours plus tard, je me rends à Toronto. Je pousse ma luck en cachant ma bedaine à toute l’équipe. Anxiété totale. Avant. Pendant. Après le tournage. Bien évidemment, à mon retour à Montréal, j’ai envie de crier au monde entier ma joie d’être à nouveau maman! Mais je ne peux pas. Je n’ai pas le droit! Parce qu’avant tout, je dois annoncer la nouvelle à la personne qui m’a donné cette occasion de travail. Bon, c’est clair que j’avais le droit de garder ma grossesse pour moi. J’avais aussi le droit d’assumer qui je suis jusqu’au bout de mon utérus. C’est-à-dire que si mon état impliquait un refus, c’est que ça devait être ainsi. Facile à dire après coup, me direz-vous!

Dans cette expérience, j’ai appris qu’au lieu de réparer de petits mensonges par omission, qui deviendront inévitablement gros, j’étais mieux de dire la vérité et de faire confiance à la vie pour qu’elle me fasse confiance en retour. C’est la peur de ne pas pouvoir décrocher ce contrat qui a guidé mes choix et mes actions. J’ai finalement dû prendre mon courage à deux mains pour avouer mes torts à la personne responsable et demander pardon d’avoir agi ainsi. Ce n’était pas facile, mais c’était nécessaire si je voulais continuer d’être en accord avec mes valeurs. Et le plus beau cadeau dans le fait d’être honnête, c’est que cette personne, à qui j’ai confié mes peurs, continue à ce jour de m’inviter à passer des auditions. Alors, que se cache-t-il derrière la peur? Peut-être tout ce qu’on s’imagine pouvoir perdre… Sauf que là, je n’ai rien perdu. Au contraire. J’ai la conviction d’avoir gagné, d’avoir eu la leçon dont j’avais besoin et, enfin, d’avoir grandi pour devenir une mère fière. Une femme libérée de sa prison.

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