Le mouvement féministe 4B, qui fête cette année ses cinq ans, se définit par quatre refus, commençant chacun par la lettre B en coréen: le refus d’entretenir des relations amoureuses, des relations sexuelles, de se marier ou d’enfanter dans un contexte hétérosexuel.

C’est le roman Kim Ji-young, Born 1982, de l’autrice Cho Nam-joo, devenu best-seller en 2018, qui aurait donné son élan à ce mouvement, dans un contexte où #MeToo soufflait déjà sur les braises du ras-le-bol des femmes. Le livre raconte le combat aussi banal que révoltant d’une Sud-Coréenne dont le quotidien est marqué par les mœurs et les pratiques sexistes et misogynes. 

La Corée du Sud connaît par ailleurs une épidémie de spy cams, des caméras d’espionnage qui récoltent des images compromettantes de filles et de femmes à leur insu. De 2013 à 2018, 30 000 cas ont été rapportés à la police et les femmes ont pris la rue plusieurs fois pour exiger que les cybercrimes sexuels soient pris au sérieux, avec le slogan: Ma vie n’est pas ta porno

La colère a toutefois atteint de nouveaux sommets lorsqu’une étudiante en arts a été condamnée à 10 mois de prison et 40 heures de thérapie en violences sexuelles pour avoir partagé la photo d’un mannequin nu sans son consentement. Non pas parce que ce n’était pas un crime, mais parce qu’en comparaison, alors que la quasi-totalité des spy cams sont utilisées par des hommes et que les victimes sont surtout des femmes, 79 % des criminels reconnus coupables d’un tel crime en 2020 n’ont pas été condamnés à la prison. 

Cette attitude laxiste en matière de violence envers les femmes n’est évidemment pas propre à la Corée du Sud. Et même si le mouvement 4B en est issu, on peut aisément faire le lien avec son précurseur, qui date de la fin des années 1960: le lesbianisme politique. Cette idéologie féministe américaine de deuxième vague appelait les femmes à sortir les hommes from your heads and your beds

Le lesbianisme politique a toutefois fait l’objet de critiques de la part des communautés lesbiennes à l’époque, puisqu’il laissait entendre que l’orientation sexuelle était un choix, et que celle des femmes était déterminée par leur statut vis-à-vis de leurs oppresseurs. En d’autres mots, le lesbianisme politique, en voulant rejeter le patriarcat, maintenait inconsciemment les hommes au centre des identités féminines. 

Les adhérentes du mouvement 4B, quant à elles, ne se considèrent pas nécessairement comme lesbiennes ou même comme bi ou pansexuelles. Leur rejet de l’hétéronormativité est d’abord politique et ce sont elles qui sont au centre du mouvement. Elles ne veulent pas réformer les hommes; elles veulent les bannir de leurs cercles et s’épanouir loin des contraintes de la société patriarcale. 

Pas étonnant, donc, vu le backlash antiféministe qui prend du galon, que le mouvement 4B trouve un écho ailleurs dans le monde. La particularité sud-coréenne, toutefois, est que le pays détient le record du plus bas taux de natalité au monde. Si la tendance se maintient, la population pourrait baisser de moitié en un siècle. 

Et, bien sûr, plutôt que de miser sur des réformes qui améliorent la condition féminine dans les sphères privée et publique, on s’attaque plutôt au féminisme. Un sondage local a révélé que les Sud-Coréennes hésitent surtout à se marier à cause de la division inéquitable des tâches domestiques, alors que leurs homologues masculins ont pour frein principal le féminisme. 

Des antiféministes ont d’ailleurs lancé en réponse au 4B un «mouvement 4G», qui ne veut rien dire, mais qui s’engage ironiquement à se tenir loin des femmes… par misogynie. C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle.