Ce ne sont pas seulement les sourcils fins et les pantalons cargo qui trouvent preneur chez une clientèle jeune. Une étude récente de l’Université de Göteborg, en Suède, menée auprès de 32 000 hommes dans 27 pays européens, a trouvé que ce sont les jeunes hommes 18 à 29 ans qui se sentent les plus menacés par les gains en matière de droits des femmes. Un triste titre détenu d’ordinaire, ou, en tout cas, on le croyait, par les hommes plus âgés, habituellement plus conservateurs. 

Bon, c’est vrai que l’ascension fulgurante de figures comme Ben Shapiro et Andrew Tate (des hommes de 40 et 38 ans respectivement) dans la manosphère prophétisait ce résultat. Mais je me demande si leur influence n’a pas été sous-estimée, parce que ces gourous de la masculinité toxique s’enchaînent sans jamais vraiment se réinventer. Chaque génération a des squelettes misogynes dans son placard de vedettes. La mienne a subi Roosh V et ses délires de «néomasculinité». C’était l’époque des pick-up artists et du célèbre ouvrage Game, qui prétendait apprendre aux hommes hétéros à séduire les femmes, essentiellement en étant manipulateurs et mesquins. 

Ironiquement, ces mâles alpha from WISH, qui promettent aux jeunes hommes insatisfaits de les guider vers le succès, dans leurs finances comme dans leurs draps, finissent plutôt par les confiner à des cercles où fermente la colère. 

En 2020, le premier Canadien reconnu coupable de terrorisme à caractère misogyne au pays avait tout juste 17 ans quand il est entré dans un salon de massage torontois avec un couteau de 17 pouces sur lequel était inscrit «chasseur de putes». De son propre aveu — il a même laissé une note à cet effet dans sa poche, pour éliminer tout doute —, il a agi au nom des incels, qui forment une communauté en ligne d’abstinents involontaires qui, au mieux, détestent les femmes et, au pire, les exécutent violemment. 

La thèse masculiniste, peu importe son produit final, se résume ainsi: les gains féministes se font aux frais de la condition masculine. L’étude suédoise rapporte d’ailleurs que la proportion de jeunes hommes hostiles aux avancées féministes est plus élevée dans les régions touchées par une pénurie d’emplois et le bris de confiance envers les institutions. Bien sûr, ce sont en majeure partie des hommes qui sont au gouvernail des institutions qui affectent la condition sociale en matière de santé, d’économie et de main-d’œuvre. The call is coming from inside the house, comme disent les jeunes. Mais les apôtres de la domination masculine n’excluent aucune pirouette mentale pour vendre leur salade misogyne à des adolescents en quête d’appartenance et de validation. 

L’industrie de la tech, de son côté, connue pour son hostilité au féminisme, déploie peu d’efforts pour limiter la portée des influenceurs de la manosphère, malgré le pouvoir qu’elle détient. Certes, Andrew Tate a finalement été banni de plusieurs plateformes, une fois rendu au sommet de sa popularité, après que des pressions ont été exercées… Mais le mal était fait. 

«Les apôtres de la domination masculine n’excluent aucune pirouette mentale pour vendre leur salade misogyne à des adolescents en quête d’appartenance et de validation. »

Malheureusement, une fois que les jeunes sont amadoués, il est difficile de les convaincre de la nocivité de ces modèles. Dans un article publié dans The Conversation, la chercheuse criminologue Emily Setty, qui se spécialise en culture sexuelle chez les jeunes à l’ère numérique, rappelle qu’il ne sert à rien d’antagoniser les garçons qui admirent ces influenceurs. Il faut plutôt leur offrir des avenues crédibles. 

Comment leur dire que la détresse masculine n’est pas vouée à la misogynie et que la misogynie ne peut pas continuer de se cacher derrière la détresse masculine, mais le leur dire d’une façon cool, qui n’a pas l’allure d’un sketch éducatif ringard sur VHS? La question demeure entière. Et pressante.