J’ai déménagé 18 fois, je pense. J’ai eu tellement de demeures que je pourrais bien en avoir oublié une ou deux… Mais disons que j’ai connu un minimum de 18 empaquetages de boîtes, triages de souvenirs, ménages minutieux et pointes de pizza tenues par des doigts tachés de peinture. Je ne reste jamais longtemps au même endroit. Je n’ai pas le temps de m’attacher. Ou la capacité, qui sait?

Je transforme chacun de mes appartements en petit cocon qui porte ma marque et qui sent bon; pourtant, je ne peux pas affirmer avoir déjà eu une maison. Au sens philosophique du terme, je veux dire. Vous savez, un endroit qui dépasse le bien matériel et qui relève quasiment du spirituel? Un lieu qui est le nôtre et qui nous accompagne dans les différentes étapes de notre vie? Connais pas ça! Peut-être parce que j’ai compris très jeune que ma maison, au fond, c’est l’Autre…

J’ai connu un jour ma première peine d’amour. Mon cœur était ravagé par la tristesse et la culpabilité. Je ne l’aimais plus, j’étais éprise d’un autre. Il fallait que je quitte mon appartement, mon couple et le rêve de passer ma vie avec mon premier amant. J’avais 18 ans et je n’avais aucun des outils nécessaires pour composer avec une avalanche d’émotions. Je me suis donc réfugiée chez ma mère. On n’habitait plus sous le même toit depuis déjà plus d’un an, mais j’avais besoin qu’elle me caresse les cheveux. (Rien n’est plus rassurant que la sensation des faux ongles maternels contre mon cuir chevelu.)

Elle était au travail quand je suis arrivée. En posant mes sacs dans l’entrée, j’ai vu qu’elle m’avait fait une chambre dans la pièce du fond. Elle l’avait aménagée pour que j’y sois parfaitement à l’aise. Un lit, des draps propres, des livres, des plantes, des chandelles. Une petite oasis pour panser mes bobos. Je ne me suis jamais sentie autant chez moi que dans cette chambre-là. À cause de ma mère. À cause de l’amour qu’elle avait déployé dans cette pièce. Parce qu’on a beau bouger de maison en maison, des fois, il n’y a que l’espace rassurant de nos proches pour se sentir chez soi. 

C’était ma première rupture, mais ce ne serait pas la dernière. Chacune d’elles m’a ensuite ramenée au foyer familial, chez des amies, chez mes sœurs. Toute douleur vive me rappelle que mes quatre murs ne valent rien comparativement aux bras de celles et de ceux que j’aime.

C’est quand je reconnais l’odeur de la cuisine réconfortante de mes sœurs, que j’ouvre leur frigo dans lequel il y a toujours du dessert et de l’eau pétillante, que je m’endors sur un divan qui n’est pas le mien, que je cajole mes neveux et nièces dans un sous-sol de banlieue, que je pleure dans une baignoire qui ne «fitterait» jamais dans un appartement montréalais et que je parcours les rues de Québec avec mon petit frère… que je me sens réellement à la maison. Jamais un de mes appartements ne saura m’offrir ce calme, ce sentiment d’être aimée pleinement, nonobstant les bâtons que la vie peut bien mettre dans la roue avant de mon vélo.

Réjean Ducharme a écrit que «l’amour ce n’est pas quelque chose, c’est quelque part». De la même manière, je crois que la maison, ce n’est pas quelque part, c’est quelqu’un. En vous souhaitant d’habiter dans le plus beau des villages, bonne saison des déménagements…

Rose-Aimée Automne a signé le roman Il préférait les brûler, l’essai Ton absence m’appartient et la biographie La vie pas toujours olympique de Marianne St-Gelais. Elle anime la série Comment devenir une personne parfaite (Véro.tv). Elle est également chroniqueuse dans différentes émissions à la télé et à la radio.

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