«Des fois, je lis des articles et je me demande si on me parle vraiment ou si on s’adresse juste aux hommes! Je veux bien qu’on utilise le masculin pour alléger le texte, mais pourquoi est-ce qu’on ne m’interpelle presque jamais, moi?» C’est la comédienne Sarah Mottet qui m’a spontanément posé la question il y a trois ans déjà.

Ça m’est aussitôt rentré dedans. J’ai beau être féministe, j’écrivais moi aussi au masculin quand je voulais désigner la plus grande masse. Je pouvais certainement être plus inclusive dans le choix de mes mots. D’ailleurs, pourquoi est-ce que je ne l’étais pas déjà? La réponse était simple: je n’y avais jamais réfléchi. On m’avait enseigné une façon d’utiliser la langue française, et je m’y tenais, sans penser à celles et ceux que j’excluais de la conversation. Soit toutes les personnes qui n’étaient pas des hommes.

Puis, les choses ont bougé à la vitesse grand V! On a collectivement réfléchi aux biais sexistes de notre langue: le terme «autrice» a fait sa place jusque dans les pages du magazine ELLE Québec, le pronom «iel» a été davantage utilisé pour désigner des personnes non binaires, et on a déployé des stratégies pour rendre nos communications plus inclusives – que ce soit opter pour des termes neutres (par exemple «le lectorat», plutôt que «les lecteurs») ou même un point médian («les lecteur·trice·s»). Puis, dans toute cette effervescence, il y a eu une levée de boucliers.

Devant les changements amorcés pour des questions d’égalité, des gens ont crié au manque de respect pour la langue française!

«Autrice, ça sonne mal.»

«Iel, ça n’existe pas pour de vrai.»

«Les articles sont ben trop durs et plates à lire quand on essaie d’inclure tout le monde!»

Rien pour étonner l’illustre conseillère linguistique Noëlle Guilloton. Après tout, on se chicane souvent au sujet du français: «La nouvelle orthographe, les anglicismes, le joual, le langage inclusif… Il y a des polémiques périodiques parce que la langue appartient à tout le monde, m’a-t-elle expliqué. Ces enjeux nous interpellent parce que la langue, c’est notre identité!»

C’est intéressant parce que c’est justement d’identité qu’il est question, ici! La diversité des identités de genre est de plus en plus reconnue, et c’est donc normal que notre façon de nous exprimer évolue en ce sens… Comme me l’a précisé la spécialiste, qui est aussi poétesse: «La langue est une réalité historique, sociale et culturelle qui appartient à ses usagers et usagères. Ce sont les besoins d’expression et le changement de mentalité des locuteurs et locutrices qui la font évoluer. Tel mot change de sens, tel autre en acquiert un nouveau, tel néologisme passe dans la langue courante, tel terme devient désuet ou prend une connotation péjorative…»

Voilà! Le français n’est pas statique. Et s’il se transforme au gré de nos préoccupations, c’est beau de le voir changer au nom de l’inclusion, non? Par contre, pour citer Noëlle Guilloton: «les changements linguistiques sont des phénomènes lents, des évolutions plutôt que des révolutions.» Ce n’est donc pas demain la veille que Sarah Mottet se sentira systématiquement interpellée dans les médias. Il faudra du temps et pas mal de volonté avant d’arrêter de penser au masculin, mais l’évolution est enclenchée.

Et pour ça, on a bien des gens à remercier. Des gens qui nous poussent à revoir nos réflexes et à dépoussiérer notre langue. Des gens qui, aujourd’hui encore, cherchent à se retrouver dans nos mots au nom du bien commun. Au nom du traitement égalitaire de chacun et chacune.

(Notons que cette chronique a été écrite dans un français inclusif et qu’elle n’était ni plate ni difficile à lire.)