L’incertitude, on connaît bien. Peu importe les zones grises que nous traversons, on avance avec l’assurance qu’on pourra s’adapter aux imprévus qui croiseront notre chemin. Mais depuis le printemps, on a l’impression de tituber sur un fil de fer, les yeux bandés et des palmes aux pieds. L’inconnu fracasse tous les records. Demain nous semble insaisissable. Nos acquis s’effritent, nos certitudes aussi.

Qué pasa?

Selon de récentes études menées par Sonia Lupien, neuroscientifique, quatre facteurs font qu’une situation est stressante, quels que soient notre âge et notre personnalité: l’imprévisibilité, l’impossibilité de maîtriser les événements, la nouveauté et la menace pour l’ego. Plus une situation comporte de ces caractéristiques, plus notre stressomètre augmente.

Prenons un exemple au hasard: une pandémie mondiale. Imprévisible, sans précédent, sur laquelle on n’a aucune prise. Le jackpot du stress! Ajoutons-y la crainte d’une mise à pied ou d’une rupture amoureuse post-confinement, deux épreuves douloureuses pour l’ego, et nous avons là, réunies, toutes les conditions pour un petit trauma gratuit.

«Tolérer l’incertitude, c’est vivre chaque jour en ayant une épée de Damoclès au-dessus de la tête», explique la Dre Christine Grou, psychologue.

Code rouge

Depuis plus de 20 ans, l’équipe du psychologue Michel Dugas étudie les rouages de l’incertitude.

«Quand on ressent de la peur et de l’anxiété devant l’inconnu, c’est un peu comme lorsqu’on entend sonner notre détecteur de fumée, dit le professeur titulaire à l’Université du Québec en Outaouais. On flaire un danger, et il faut réagir immédiatement pour se protéger. Depuis mars, on se fait répéter tous les jours que la menace que représente la COVID-19 est sérieuse. Rien de plus normal que de vivre une certaine anxiété!»

Une chose est certaine: tout le monde déteste l’incertitude. Mais certaines personnes y sont plus vulnérables que d’autres, voire carrément allergiques. Si on est anxieuse, si les mailles de notre filet social sont élimées, si on a déjà traversé notre lot d’épreuves récemment, les turbulences actuelles risquent de nous happer plus durement.

Nos mécanismes de défense s’emballent alors, entraînant leur cortège de manifestations sournoises: maux de ventre, maux de tête, troubles du sommeil… Les scénarios catastrophes tournent en boucle dans notre tête, on se précipite sur notre thermomètre au moindre picotement dans la gorge.

Sur le plan des sentiments, on se sent inadéquate comme amoureuse, employée, amie et mère. On a l’impression d’avoir échoué le cours Pandémie 101, alors qu’autour de nous, les gens mitonnent leurs conserves de légumes en sifflotant de bonheur. Allô, la culpabilité!

Le cerveau dans le gruau

L’anxiété au plafond, on comprend ça. Mais depuis quelque temps, on a carrément l’impression d’avoir été lobotomisée durant notre sommeil – on multiplie les oublis, on encode moins bien l’information, on relit quatre fois la même phrase… Bienvenue à Zombieland!

«Le poids mental de vivre de l’incertitude est considérable, confirme la Dre Christine Grou. Notre cerveau mobilise toute son énergie à se défendre contre l’inquiétude qu’il ressent. C’est fou la quantité de gens qui viennent nous voir en nous disant qu’ils ne sont plus capables de lire depuis le mois de mars!»

Plus ou moins consciemment, la situation nous commande une adaptation de tous les instants. On a dû basculer du confinement au déconfinement… au reconfinement. On a dû apprivoiser le nouveau système de giratoires de l’épicerie. On a dû prévoir des provisions de bouffe, au cas où le petit nez qui coule serait le premier signe d’une catastrophe annoncée.

Tous les indices le confirment: notre charge mentale déborde.

«Cet état d’hypervigilance est non seulement normal, mais souhaitable, assure la Dre Grou. Dans un contexte de crise sanitaire, une conduite adaptée aux circonstances augmente nos chances de bien se protéger. Mais elle n’en reste pas moins épuisante…»

Ça va bien aller… genre

Comment faire pour lâcher prise, alors que l’incertitude teinte chaque détail de notre quotidien, allant de notre brassée de masques à la désinfection de nos mains, qui finissent par sentir le party de sous-sol? #téquilavomi

On relève d’abord ce sur quoi on n’a aucune prise afin de pouvoir s’en dégager. Par exemple, la découverte d’un vaccin contre le coronavirus ne repose pas sur nos épaules, pas plus que la décision de fermer une classe, une école ou un secteur de l’économie. On peut toutefois facilement respecter les consignes de la Santé publique, traiter les gens avec bienveillance, trouver des solutions pour se sentir mieux…

On s’assure ensuite de s’offrir un peu de douceur tous les jours. Pour certains, ce sera de s’amuser avec des jeux de société en famille. Pour d’autres, ce sera de pratiquer un sport, d’entreprendre le grand nettoyage des garde-robes ou de cuisiner les désormais fameuses tartelettes portugaises. Chacun son exutoire. Rappel: le verre de vin quotidien est autorisé (voire recommandé) par les hautes sphères de la santé mentale. On se fait plaisir – sans remords ni culpabilité.

«Devant l’épreuve, on s’est découvert des nouvelles façons d’être heureux, de socialiser, de se faire plaisir, rappelle la Dre Grou. Les prochains mois solliciteront encore notre créativité. Ce n’est pas gagné, car le minitrauma du premier confinement n’est pas encore métabolisé pour la plupart d’entre nous. Mais on peut se préparer…»

Les moments de solitude nous ont manqué? On s’accorde un moment – une sorte de bulle individuelle – pour être seule, pour se reposer au sein de notre famille. Ce sont les contacts humains qui nous ont fait défaut? On organise une promenade quotidienne (à distance!) avec la voisine, on invente de nouveaux rituels.

La résilience est un rempart qui se muscle au fil des épreuves. C’est peut-être notre première pandémie mondiale, mais ce n’est peut-être pas notre premier marathon d’adaptation. Maladie, deuil, rupture difficile… On sait qu’on peut passer au travers. On fait donc confiance à notre formidable capacité d’adaptation et, surtout, on se répète en boucle que toute cette incertitude est un épisode circonscrit dans le temps…

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