On s’est entretenu avec la psychologue Monique Lahoud et la sexologue et psychothérapeute Annabel McLaughlin pour mieux comprendre les sentiments conflictuels qui peuvent cohabiter.

Quand on voit défiler sur les réseaux sociaux les noms des gens qui ont commis des actes répréhensibles sans contexte, ça peut-être assez confrontant. Quelles sont les émotions qui peuvent surgir?

Monique Lahoud: Au sentiment de choc, vient s’ajouter la déception, si les personnes sont proches de nous ou ce sont des personnes qu’on admire. Il va y avoir aussi un sentiment de honte, parce que ce sont des personnes auxquelles on s’identifie. Ce serait normal de vivre une certaine compassion, parce qu’on voit que leur vie va probablement changer.

Annabel McLaughlin: Si c’est quelqu’un dans notre cercle proche, une première réaction est d’être sur la défensive et de ne pas croire que c’est vrai. Parmi les émotions qui surgissent, il peut y avoir de la honte, de l’humiliation, de la colère, l’impression d’avoir été trahi, un sentiment d’impuissance. Je pense qu’il y a beaucoup de sentiments qui peuvent débouler en même temps. On peut avoir de l’empathie pour une personne que l’on connaît, lorsqu’on réalise qu’elle a besoin d’aide, et on peut être dégoûté. Une des solutions est de ne pas vouloir choisir une des émotions immédiatement.

Est-ce qu’on a un biais envers nos amis?

L.: Je pense que oui, malheureusement. C’est parce qu’on a de difficulté à voir ces personnes autrement que la dimension dans laquelle on les connaît. Quand on apprend que des amis, ou des parents proches de nous ont commis des actes, il faut faire un deuil et une réconciliation entre ce qu’on pensait qu’ils étaient, et accepter ce qu’ils sont en entièreté.

M.: On a tendance à ne pas croire que les gens autour de nous puissent être mauvais. Ça vient nous brusquer dans l’idée qu’on s’est fait de quelqu’un, que ce soit une célébrité ou un proche. On n’aime pas devoir changer nos perceptions, et c’est sûr que ça amène un inconfort. C’est plus facile de remettre en doute la victime que de soi-même assumer que c’est possible.

J’imagine que certaines personnes vont aussi se remettre en question, comme si elles avaient dû voir les problèmes?

L.: Si on prend le cas le plus connu en ce moment de Harvey Weinstein, c’est un cas relativement extrême. Dans ce temps-là, c’était peut-être acceptable de se dire que c’était juste des rumeurs. Ici, maintenant, si on entend des rumeurs à propos de quelqu’un, il serait important de confronter la personne, de poser des questions. En ce moment, we know better. C’est important de reconnaître ce qu’on aurait pu faire mieux, et d’évoluer avec ce que l’on sait maintenant.

A.M.: Je pense que la culpabilité est une émotion qui peut être utilisée. Ça peut être paralysant de se repasser des scénarios et de se dire qu’on aurait dû agir. Une façon d’utiliser la culpabilité comme agent de changement serait de partager des ressources d’aide s’il y a des gens autour de soi qui peuvent en bénéficier.

Comment répondre aux gens qui nous questionnent sur notre lien avec la personne qui est dénoncée?

M.L.: La première étape ce serait de remercier le courage de la victime d’avoir nommé son expérience et de s’excuser pour la souffrance que cette personne a subie. C’est une manière de valider l’expérience de l’autre et de s’excuser du mal qu’elle a subi. Ensuite, je pense que c’est important de ne pas dire la phrase populaire «Tu es courageuse de nommer ce qui t’es arrivé. Je m’excuse pour ta souffrance. Je n’ai jamais connu cette personne-là de cette manière-là.». Cette dernière phrase vient invalider les deux premières phrases.

A.M.: Beaucoup de gens se font confronter, on le voit beaucoup avec la ‘cancel culture’. C’est du cas par cas, mais on ne peut pas rester silencieux face à la situation. On ne peut pas se mettre la tête dans le sable et dire « Il n’a pas été comme ça avec moi, donc ça ne me concerne pas ». Ça ne passe pas.

Comment être plus attentif aux comportements problématiques?

M.L.: Dans un monde parfait, chaque être humain serait capable de reconnaître ses propres émotions quand quelqu’un est en train d’agir devant nous. Mais je trouve difficile de dire ça, parce qu’honnêtement, je trouve que ça revient à mettre la responsabilité sur la victime. Ce que je peux contrôler, c’est de réaliser quand je ne suis pas confortable et d’essayer de sortir de la situation. Mais ce travail-là, c’est à la personne qui a des comportements problématiques de le faire et d’y être attentif quand l’autre personne est apeurée ou choquée. C’est à ces personnes là de s’auto-réguler, c’est pas à l’autre de le faire pour eux.

M.: C’est d’observer ses amis dans différentes situations. C’est sûr que si on voit ses amis dans le même contexte, peut-être qu’on a juste un point de vue de leur personnalité. Aussi, de ne pas attendre de trouver des indices et de provoquer des discussions avec nos amis. On peut demander leur point de vue sur la vague de dénonciations et engendrer la discussion plutôt que d’attendre de voir un signe.

Comment arriver à pardonner?

M.L.: Ça vient avec le temps. Si la personne est sincère et prend conscience de ses actes, elle est déjà en train de défaire des habitudes de violences importantes. Comme n’importe quelle habitude à défaire, ça prend un peu de temps. Ça veut pas dire que l’on va accepter que la personne commette d’autres actes de violence. J’aurais tendance à me méfier de quelqu’un qui change complètement et facilement. Il n’y a aucune habitude humaine qui est facile à changer sans travail, quand elle est permanente.

M.: La confiance, c’est par les comportements que ça se rebâtit. Les paroles, c’est une chose, mais c’est vraiment la façon dont la personne va s’engager dans un processus de changement avec la psychothérapie, la relation d’aide ou la thérapie de groupe. C’est facile de s’excuser, mais concrètement, c’est quoi la prise d’action? Ça doit passer par les excuses et la reconnaissance, puis par des changements de comportements concrets.

Avez-vous un dernier conseil à ajouter?

M.L.: Si on apprend que quelqu’un qu’on aime, qu’on respecte, a commis un acte qui a fait mal à quelqu’un auparavant, il ne faut pas nécessairement se blâmer. Ce n’est pas nous qui avons commis les actes. Il faut explorer comment on a peut-être indirectement alimenté l’attitude, la réaction ou les comportements. Il faut se pardonner. On peut juste apprendre et s’améliorer.

M.: L’ambivalence est réelle. On l’a beaucoup vu avec des célébrités qui continuent d’être défendues ou des victimes qui se faisaient pointer du doigt. Ce qu’il faut retenir, c’est de ne pas agir sur cette impulsivité et cette culpabilité. On peut se donner le temps de comprendre, de s’informer, de prendre du recul face à notre coexistence d’émotions, et se dire que ce n’est pas toujours notre rôle de prendre parole sur tous les enjeux. Ce qu’on veut éviter, c’est de victimiser une seconde fois les personnes qui dénoncent.

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