Je vous rassure, je n’ai rien consommé d’hallucinatoire. Je parle d’un phénomène qui a lieu sur les applications de rencontres.

Je vous explique: disons que vous êtes une femme et que vous cherchez à rencontrer des femmes. Vous spécifiez votre identité de genre et vos critères de recherche, et l’algorithme vous propose, logiquement, seulement des femmes queer (plus spécifiquement lesbiennes, bisexuelles ou pansexuelles). 

Mais voilà que vous tombez sur le profil de Steve, entrepreneur le jour et entreprenant la nuit. Puis, il y a aussi Pat, qui se dit ouvert à regarder ou à participer. Puis, il y a un autre homme. Et un autre encore. Un défaut de l’application? Pas vraiment. Un angle mort, plutôt. 

C’est que ces messieurs sont aux côtés de leur conjointe sur les photos. En gros, ce sont des couples hétérosexuels enregistrés comme «femmes» sur les applis de rencontres, et, à deux, ils chassent les licornes, c’est-à-dire des femmes souhaitant partager leur intimité et y apporter un peu d’arc-en-ciel.

N’allez pas croire que je me moque d’une quelconque pratique sexuelle entre adultes consentants. C’est tellement 20e siècle d’être prude. À la rigueur, on pourrait rigoler gentiment du fait que les femmes qui acceptent de se joindre à des couples hétéros ont reçu le nom d’une créature mythique.

Mais l’enjeu est ailleurs, dans le fait que cette méthode permette à des hommes hétérosexuels d’envahir en grand nombre les espaces de rencontres lesbiens et queer en général, en utilisant comme caution le fait que leur conjointe est bi ou pansexuelle. 

La présence de ces femmes dans des espaces de rencontres lesbiens et queer est tout à fait légitime, même quand elles sont en couple hétéro, mais ce droit d’accès n’est pas un laissez-passer familial et ne s’étend pas à leur monsieur.

Déjouer les paramètres pour infiltrer ces espaces afin d’épicer sa vie de couple peut sembler inoffensif, mais c’est une goutte de plus dans le vase déjà plein de la fétichisation des relations entre femmes.

Pour preuve, la porno lesbienne est communément classée comme une sous-catégorie de la porno hétéro, elle-même construite autour du male gaze. Avec ou sans la participation d’un homme, la sexualité des femmes est le plus souvent instrumentalisée pour émoustiller, en particulier, le désir masculin.

En quelque sorte, la présence d’hommes hétéros dans ces espaces queer est une continuité de cette intention. Un rappel que les relations entre femmes ne se soustraient jamais entièrement aux fantasmes des hommes. 

Et cette chasse aux licornes est d’autant plus insidieuse que, parfois, l’homme du couple n’est pas mentionné ni montré en photo, et c’est seulement après avoir obtenu un match ou même une date que ces femmes queer apprennent qu’elles sont en fait courtisées par des amoureux à la recherche d’un trip à trois.

De ce jeu malhonnête découle le besoin pour un nombre croissant de femmes queer de préciser sur leur profil, même si leurs paramètres de recherche sont très clairs, qu’elles ne sont pas des «licornes» et ne veulent pas rencontrer des hommes.

Pourtant, il existe des sites et des applications spécialement conçus pour les couples hétérosexuels qui cherchent, ensemble, à faire des rencontres et où ils seront mis en contact avec des personnes souhaitant rencontrer des couples. Et ils sont aussi faciles à trouver que la recette de gratin dauphinois de Ricardo (la meilleure).

L’effort que doivent faire les couples hétéros en quête d’aventure pour respecter les espaces queer est pour ainsi dire nul. Non, il n’y a rien de gênant à vouloir ouvrir ses horizons et la porte de sa chambre à coucher. Mais, comme le chantait Brel, «il y a la manière».

Manal Drissi est une chroniqueuse et une autrice exilée dans la forêt.

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