Il m’est arrivé de me pavaner le #SELFCARE, ce fier cliché de ma génération, sur les réseaux sociaux. Je voulais laisser une trace, même éphémère, de la bienveillance toute neuve que je ressentais à mon propre égard. Oyez, oyez, j’ai fait quelque chose pour moi! Parce que je le vaux bien, disait un célèbre slogan publicitaire.

Le mot-clic self-care est apparu vers 2010 chez des millénariaux déjà éreintés par des responsabilités croissantes dans un contexte socioéconomique difficile. En tant que public cible, il ne m’en fallait pas plus pour y adhérer.

À mon sens, ce n’était pas un simple mot-clic: oui, on avait été conditionnés de façon pavlovienne à s’investir sans compromis dans le rendement plutôt que dans le bien-être, mais ça ne nous empêcherait pas de revendiquer du temps pour prendre soin de soi.

Sans surprise, «prendre soin de soi» est rapidement devenu un prétexte pour acheter plus de choses et faire des activités de plus en plus élaborées, and just like that, la culture de la performance et de la piastre ont englouti le self-care.

Mais mes recherches m’ont confirmé que je n’avais pas imaginé la charge politique qui sous-tend le mouvement: avant d’être un mot-clic sur Instagram, l’expression avait circulé dans les mouvements des droits civiques et des droits des femmes du siècle dernier. Devant un système qui contribuait activement à notre mal-être, le self-care était un acte révolutionnaire.

Ce que je n’avais pas compris, c’est que le self-care comme geste politique n’est pas une fin en soi, mais une escale vers le community care, ou soin communautaire. Prendre soin de soi est une composante du soin collectif; c’est l’équivalent de mettre son masque à oxygène dans un avion avant d’aider les autres passagers à enfiler le leur.

Pour poursuivre cette métaphore aéronautique, le self-care dans sa forme actuelle consiste à prendre un selfie avec un masque à oxygène qui s’agence à notre style pendant que l’avion pique du nez. Dans un écrasement d’avion comme dans la lutte pour le bien-être, il est impératif de prendre soin de soi, mais notre bien-être est irrémédiablement lié à celui des autres.

En ce sens, le self-care moderne me fait penser à l’électrification de l’automobile. Échanger ma voiture à essence contre une voiture électrique réduirait indéniablement mon empreinte carbone, mais tant que le transport reste un enjeu individuel plutôt que collectif, la crise des ressources se poursuit et l’écoanxiété est condamnée à revenir cogner à ma porte, même si j’ai posé un geste concret pour la soulager.

L’individualisation des enjeux collectifs est sournoise, et elle parvient à dévier notre attention avec une efficacité déconcertante. Tel un employeur qui invite ses employés surmenés à faire du yoga pendant l’heure du lunch au lieu d’améliorer leurs conditions de travail, le self-care à l’ère du capitalisme sauvage veut nous convaincre qu’en y mettant un peu plus d’efforts, on peut trouver le bien-être enfoui en soi sans exiger du système qu’il soit réformé.

Le piège du self-care n’est pas de le pratiquer ni de l’apprécier. Le bien-être individuel, même éphémère, mérite d’être cultivé. Le piège, il me semble, est de se laisser distraire par l’idée qu’on peut tout faire individuellement, jusqu’à oublier qu’il y a tant à faire ensemble. 

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