Ce n’est pas le grinch qui a volé noël, mais ce n’est pas moi non plus. Le mien en tout cas a été volé par la culture des diètes. Qu’on célèbre Noël comme fête chrétienne, ou qu’on se réunisse entre amis ou en famille durant cette période, pas moyen d’échapper aux conversations sur le poids, les régimes et les calories. «T’as maigri; c’est quoi ton secret?» ou «T’as grossi; faut faire attention

Au plus fort de mes troubles alimentaires, c’était les années 2000 et l’industrie de l’image humiliait quiconque n’était pas monté sur le frame de Paris Hilton, y compris elle-même sous certains angles.

Chaque année, les citrouilles étaient à peine allumées que les magazines imprimaient le secret ultime pour perdre du poids rapidement avant Noël. (Ce serait gênant de fêter avec tes proches dans ton corps actuel, tu ne trouves pas?)

En bonus, ils proposaient cinq trucs pour ne pas «perdre le contrôle» devant une grande tablée de victuailles, après les semaines de grugeage de céleri qu’on venait de te prescrire.

Puis, le Nouvel An n’avait même pas le temps d’enlever ses bottes que sonnaient à la porte les détox et autres punitions pour que tu te repentes d’avoir mangé de la pâte feuilletée et trouvé que ça goûtait le bonheur. L’année mourait et renaissait drapée chaque fois d’une culpabilité festive.

Depuis, les mots ont changé, mais le message est le même. Le temps des fêtes est implicitement celui de la démesure, mais aussi celui du sempiternel rappel à l’ordre du culte de la minceur.

Et même si je ne peux pas l’empêcher de cogner à ma porte, la culture des diètes n’a plus sa place à ma table. Et si elle s’invite à la table des autres alors que j’y suis assise, je n’hésiterai plus à lui céder ma place. On ne peut plus être là toutes les deux. Ça m’a coûté cher de psy pour mesurer toute la violence de ma relation avec elle, et si quelqu’un veut inviter mon ex toxique à souper, ce sera sans moi… Bon appétit.

Je me contentais jusqu’ici de me soustraire à la conversation, mais le propre de la culture des diètes, c’est qu’elle ne se conjugue jamais vraiment au «je». L’idéal est indéniablement collectif, même si le journal de calories est individuel. Dans le désir à tout prix des autres de maigrir, il y a la peur viscérale de me ressembler. Je me suis construite et détruite dans cette peur commune d’un corps auquel je n’arrivais pas à échapper.

Chaque temps des fêtes multipliait les éclaboussures de la honte des autres sur mon corps et catalysait la violence que je déployais envers moi-même. Il m’a fallu redéfinir mon rapport à l’alimentation, à la santé et à l’activité physique en dehors de la culture de la diète pour sortir du gouffre. Mais c’est dans la fat joy des personnes qui me ressemblent que je me suis rapiécée. C’est en elles que j’ai trouvé la permission et l’ambition de cultiver ma propre joie et de la propager parmi les autres.

Je voudrais nous voir exister fort, prendre de la place, rire, manger, chanter, danser, rayonner. Je voudrais nous voir habiter nos corps tels qu’ils sont, ici et maintenant. Je voudrais qu’on se fasse l’inestimable cadeau d’un temps des fêtes à l’abri de la culture des diètes.

Manal Drissi est une chroniqueuse et une autrice exilée dans la forêt. 

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