«Les amours passent, les amis restent…»

Depuis que nous sommes tout petits, on nous rabâche que l’amitié, c’est fait pour durer. Le Best Friend Forever est utilisé à toutes les sauces: on met en scène l’amitié avec un grand A dans les séries télé, les films, les bouquins… Un ami, un vrai, c’est à la vie à la mort… Non?  

 

Malgré la vision utopique de l’amitié qu’on nous propose sans relâche, on a tous déjà vécu une séparation amicale. Bourreau ou victime, tout le monde a une histoire à raconter. Pour le psychologue Pierre E. Faubert, une chose est certaine: la graine de la séparation réside dans l’origine de l’affection. «Plus les bases de la relation sont inégales, plus les chances sont grandes pour qu’elle se termine en queue de poisson. La fin d’une amitié en dit beaucoup sur la nature de celle-ci. S’il n’y a pas de respect dans la rupture, ça peut en dire énormément sur la relation elle-même», explique le spécialiste.

 

Carton rouge

Il existe d’innombrables raisons qui peuvent nous pousser à couper les ponts avec un proche: trahison, déception, jalousie… Bérangère, 25 ans, s’est récemment libérée de l’emprise de sa meilleure amie du cégep. «Quand je l’ai rencontrée, nous étions toutes les deux nouvelles à l’école. Nous ne connaissions personne, et notre relation s’est vite transformée en une amitié exclusive. J’avais du mal à faire des choses sans elle. J’ai beaucoup perdu confiance en moi, car elle me faisait des remarques blessantes. J’étais son faire-valoir et je l’acceptais.» Des signes qui ne trompent pas selon M. Faubert: «Une entente véritable, ce n’est pas une possession, c’est une libération. Elle permet de s’épanouir. Cette relation ne doit pas devenir une prison.»

Parfois, des évolutions personnelles différentes ou des chemins divergents peuvent être à l’origine d’une scission. Plus lente et moins frontale, mais tout aussi réelle. C’est ce qu’a vécu Janis avec son amie d’enfance. «Sa première année de médecine a été hyper difficile, alors que pour moi, ça a été tout le contraire. Je m’amusais! Nous n’avions plus les mêmes centres d’intérêt et nos parcours se sont naturellement séparés. Nous ne prenions plus vraiment le temps de nous voir», dit-elle. Selon M. Faubert, cette harmonie ne peut durer sans la volonté de passer du temps ensemble. «Cela doit être quelque chose de dynamique, une création constante. Il faut vouloir s’impliquer, qu’il y ait un réel partage de temps et d’espace.»

C’est à son entrée à l’université que Bérangère réalise qu’elle n’entretient pas une relation saine avec sa meilleure amie. «J’ai rencontré des gens avec qui je me suis entendue tout de suite, sans effort, alors qu’avec elle, je faisais semblant. Je savais que je ne voulais plus la voir, mais je ne savais pas comment le lui dire, se rappelle-t-elle avec émotion. C’était la première fois que je prenais ce genre de décision, alors j’ai fait ce qui était le plus facile pour moi, je l’ai ghostée. Je l’évitais, je ne répondais plus à ses messages ou à ses appels… Elle l’a très mal pris, et je regrette la façon dont cela s’est terminé… mais pas du tout ma décision.» Pas étonnant, selon M. Faubert: «L’être humain n’est jamais satisfait d’une absence d’explications sur un évènement, on cherche toujours un coupable, un responsable, une réponse. C’est dans le propre de l’être humain de vouloir combler les vides.» Janis, qui continue de temps à autre à prendre des nouvelles de sa camarade d’école, remarque que leur connexion ne s’est jamais rétablie. «On garde contact, mais il y a toujours un froid. Je pense que si l’on ne s’était pas connues il y a si longtemps, on aurait totalement coupé les ponts. Mais on a grandi ensemble, je la considère un peu comme de la famille. Je pense qu’il aura toujours ce petit truc qui nous gardera connectées».

Un échec?

Il est difficile d’admettre qu’on s’est trompé sur celui que l’on considère comme son ami, d’autant plus que c’est une personne qui a été choisie, que l’on a laissé entrer dans notre intimité, à qui l’on a donné notre confiance. «Normalement on choisit cette personne pour nos affinités, nos valeurs communes profondes. C’est totalement gratuit, pur, dit M. Faubert. Cet attachement est la troisième partie de deux individus, c’est un produit qui existe simultanément chez deux personnes et, même lors d’une séparation, les souvenirs restent.» Il est donc normal d’avoir un petit pincement au coeur en déambulant devant un café où vous avez passé de bons moments, qu’une chanson vous rende nostalgique ou que de petits riens vous rappellent une histoire particulière. Mais il est également important de se rappeler les raisons pour lesquelles vous avez décidé de prendre des chemins différents. La première chose à faire? Accepter et respecter cette décision, croit le psychologue. «Il faut reconnaitre cette nouvelle réalité. Comme dans un deuil, pendant un certain temps, il est nécessaire de reconnaitre sa peine, de la prendre en compte, réfléchir à ce que cela signifie. C’est une occasion d’approfondir son intériorité, de faire un retour sur soi et de faire son chemin.» Il est donc tout à fait normal de passer par toutes les étapes du deuil: choc, déni, colère, tristesse, résignation, pour enfin se reconstruire. «À ce moment-là, il ne faut pas tenter d’annihiler notre peine en adoptant des comportements destructeurs ou extrêmes», ajoute-t-il. Il explique également que pour éviter les mauvaises surprises, il serait peut-être bon d’analyser nos différentes relations pour ne pas retomber dans les mêmes travers. «Essayer de comprendre la nature de nos relations permet de savoir si celles-ci sont bénéfiques pour nous. Il faut continuer d’avancer malgré cette perte profonde, riche de ce qu’on a appris et, à l’avenir, être un peu plus prudent.»