Du côté du design, de la mode et des arts, le précepte less is more semble dominer les créations de ces dernières années. Depuis le succès de la méthode de Marie Kondo, rendue célèbre grâce à son livre puis à la série d’émissions diffusées sur Netflix, le mot «minimalisme» évoque désormais le rangement et le désencombrement de son habitat. Dans nos quotidiens effrénés qui nous rendent avides de sobriété et de calme, voilà de quoi nous séduire.

À l’ère où se côtoient la lassitude à l’égard de la surconsommation et l’urgence de préserver la planète, de plus en plus de gens se tournent vers des modes de vie simplifiés, épurés, où ne demeure que l’essentiel. On leur a parlé.

Sobriété heureuse

Le désencombrement de son domicile peut être une porte d’entrée vers le minimalisme. «On peut commencer par un grand processus de désencombrement, fait de manière consciente, et non pas dans le but de racheter autre chose, suggère Elisabeth Simard, blogueuse et autrice du livre Vivre simplement, paru en 2018. Cela permet d’en apprendre énormément sur nous- mêmes, de revoir certaines actions inconscientes comme l’achat impulsif, de créer un calme intérieur et de passer moins de temps à s’occuper des objets: magasiner, acheter, entretenir, organiser, placer, nettoyer… Ça libère!»

En effet, conserver uniquement des objets utiles ou émotionnellement significatifs et élaguer son environnement immédiat diminuerait le taux de cortisol, et donc le stress. Mais la simplicité volontaire, également nommée «sobriété heureuse», ne consiste pas seulement à trier ses acquisitions. Le slow living vise une acceptation de la lenteur, ainsi qu’une réduction du consumérisme et des objectifs liés à la productivité.

Elisabeth Simard, qui préfère parler de «simplification de vie», adhère à ce mouvement depuis sept ans. «Nous sommes une famille de cinq qui vivons bien avec peu, sans pour autant nous marginaliser, résume-t-elle. J’applique cette vision aux biens matériels, mais aussi aux horaires, au travail, à l’éducation des enfants, à la nourriture, aux écrans, aux finances, etc. Ce chemin nous a permis de ralentir, de protéger nos enfants – et nous- mêmes – et de grandir en pleine conscience.» Dans son ouvrage, l’autrice et blogueuse raconte son cheminement personnel.

C’est en devenant mère qu’Elisabeth a décidé de quitter ce «tourbillon matériel quotidien». «Je savais foncièrement qu’il était possible de ne pas nous sentir affligés par ce fléau de la vie de famille moderne, de ne pas être toujours dépassés, à la course et complètement déconnectés de nos enfants.»

Cette philosophie minimaliste lui fait désormais économiser de l’argent, (puisque ses besoins ont considérablement diminué); et du temps, denrée précieuse à ses yeux. «Notre quotidien est doux. Je me sens plus apte à être émotionnellement généreuse envers mes enfants, mon conjoint et moi-même.»

Minimaison: petit espace, grande liberté

Sylvie Arseneau et sa fille Delcy, 17 ans, vivent depuis deux ans dans une minimaison. «Je souhaitais un changement positif dans notre vie. J’ai opté pour une maison qui m’appartiendrait… sans m’imposer une hypothèque de 25 ans qui aurait repoussé ma retraite. Quand on a la corde au cou financièrement, toutes les autres facettes de la vie en souffrent», soulève Mme Arseneau.

Mais que signifie concrètement vivre à deux dans un espace de 24 m2 (260 pi2) au quotidien? «Ça demande de l’adaptation! Mais comme nous n’avons pas les mêmes horaires, il n’y a pas de conflit de salle de bain», plaisante-t-elle.

Pour le psychologue Joe Flanders, l’idée qu’une grande maison nous rendra plus heureux est une construction du capitalisme: le système actuel nous invite à croire qu’une vaste demeure est synonyme d’un statut social élevé. «Ce n’est pas la grandeur de notre appartement qui va déterminer notre bonheur», précise-t-il. Aucune donnée scientifique ne démontre [une telle corrélation]. «Les sources de joie proviennent plutôt de nos relations et de nos actions, lorsqu’elles sont alignées avec nos valeurs.»

Mère et fille cohabitent aujourd’hui avec joie; cependant Delcy a mis du temps à s’adapter. «Au début, ma fille ne voyait que les inconvénients: monter dans une échelle pour atteindre sa chambre, manquer de rangements, etc. Mais elle a su cheminer là-dedans», se souvient Mme Arseneau.

La règle est désormais la suivante: si une chose entre dans la minimaison, une autre doit en sortir. «Plus on se débarrasse des biens superflus, plus on est soulagé. Mes seuls objets décoratifs sont quelques beaux souvenirs d’un voyage ou d’une sortie avec ma fille.» Moins de biens et d’espace représentent aussi moins d’entretien et de rénovation. «Petite maison, petits problèmes», confirme Sylvie. Que les frileux se rassurent: sa minimaison est bâtie pour résister à la rudesse des hivers québécois.

Vers le zéro-déchet

Le Canada est l’un des plus gros producteurs de déchets au monde. En réponse à ce constat alarmant, le mouvement Zéro Déchet invite les citoyens à réduire leur consommation de produits de toutes sortes et d’emballages. Mais produire moins d’ordures peut-il apporter de la satisfaction? Élodie Briant, mère de deux enfants et présidente de l’Association québécoise Zéro Déchet, en est convaincue.

La vie d’une famille en mode zéro-déchet demande beau- coup d’organisation. «Ça prend aussi du lâcher-prise, et il n’y a pas une seule façon de faire, prévient-elle. Quand on sort à quatre, c’est quatre fois plus de choses à trimballer: contenants réutilisables, couches lavables, etc. Ça m’arrive d’oublier, d’être fatiguée. Le défi, c’est de s’organiser pour que les imprévus soient les plus rares ou les moins dommageables possible.»

Élodie réfléchit parfois plusieurs mois avant d’acheter un nouvel ordinateur ou une nouvelle paire de chaussures. Elle privilégie l’usagé, l’artisanat local et le surcyclage – l’art de transformer un rebut en objet de valeur. Elle raconte par exemple avoir transformé des cartons de déménagement en table de nuit et en bibliothèque.

Avant d’en arriver à une réduction draconienne des déchets, Élodie conseille de commencer par ce qui semble le plus évident. «Par exemple troquer le jetable contre du lavable: mouchoirs, serviettes de table… Il faut débuter par des actions qui ne demandent pas trop d’efforts, sinon c’est trop tentant d’abandonner.» Et peu à peu, on développe sa débrouillardise.

Des experts qui se penchent sur la question indiquent qu’un individu souhaitant un mode de vie durable sur les plans écologique, social et économique ne devrait pas passer plus de quatre heures par jour à travailler pour gagner de l’argent, et consacrer le reste de sa journée à s’occuper de l’essentiel: alimentation, habitat, éducation des enfants, relations humaines, etc. Si on travaille huit heures par jour, le zéro-déchet et le minimalisme, sans être impossibles, requièrent donc des compromis – notamment des objectifs atteignables et évolutifs.

Pourquoi vivre avec moins?

«Pour certains, c’est une réponse aux enjeux environnementaux. Pour d’autres, c’est le désir de sortir d’un mode de vie longtemps perçu comme offrant liberté et confort, mais qui finalement peut s’avérer très lourd, analyse la sociologue de l’environnement Aurélie Sierra. Il y a une recherche d’apaisement et de cohérence à travers ce styles de vie.»

Après avoir navigué plusieurs décennies dans cette abondance, l’individu se rendrait compte qu’il confond souvent désir et besoin. «Nous comblons des désirs fondés sur des standards sociaux plus que sur des besoins réels, ajoute-t-elle. Or, on assouvit ces désirs aux dépens d’autres humains et de notre milieu de vie. Cette contradiction devient de plus en plus insupportable pour certains.»

La loi du grand effort

Si nous aimons autant nous entourer d’objets, et si l’idée d’une transition vers le minimalisme nous donne le vertige, c’est tout à fait normal, selon le psychologue Joe Flanders. Acheter du matériel, c’est l’équivalent de consommer une drogue. «Ça fait partie de notre biologie d’avoir un sentiment de récompense face à la nouveauté. On essaie donc d’éprouver cette sensation de bonheur le plus souvent possible. Et si on a peu d’argent, on est jaloux de celui qui en possède beaucoup et du “bonheur” qui vient avec», lance-t-il.

On sait pourtant que l’excitation liée à l’achat d’un nouveau bien est éphémère. «[Pour] ressentir une joie profonde, on doit pouvoir s’engager dans le moment présent, tel qu’il est. On peut entraîner le cerveau à développer cette appréciation-là. C’est le meilleur chemin pour un bonheur durable», affirme Dr Flanders. Agir en phase avec nos convictions, à l’instar de Sylvie, d’Elisabeth et d’Élodie, nous permettrait d’être moins en réaction afin d’atteindre un certain état de satisfaction.

Néanmoins, avec la publicité qui nous pousse plusieurs fois par jour à acheter pour vivre heureux, les néophytes auront tendance à percevoir le minimalisme et ses contraintes comme un renoncement au plaisir. «Mais je pense que pour les gens qui le vivent, au contraire, il y a de la libération, du soulagement. Repenser notre perception du confort n’équivaut pas à se priver, pense Aurélie Sierra. Oui, il y a là une forme de combat, des défis, des moments de découragement. Mais le mode actuel de consommation est aussi un combat perpétuel.»