La première fois que j’ai vu Jean, c’était au cégep. J’avais 16 ans, lui, 18. Dès que je l’ai vu, je l’ai «reconnu». C’était lui, mon âme sœur. Je le trouvais tellement beau. Il est venu s’asseoir à côté de moi, et nous avons tous les deux senti qu’il se passait quelque chose de capital.

Je me suis fiancée à 17 ans et mariée un an plus tard. Jean et moi avons tout de suite su que nous aurions des enfants. Même si nous étions très jeunes, il nous paraissait naturel de fonder une famille. Pendant un an et demi, nous avons essayé de faire un bébé… mais en vain. Nous avons alors entrepris une démarche d’adoption et, au moment où le processus allait aboutir, je suis tombée enceinte. À l’époque, nous habitions chez les parents de Jean.

Quand notre fille Jacinthe est née, le 2 novembre 1983, nous étions tous les deux à l’université – moi, en éducation, Jean, en philosophie (il était aussi guitariste de formation). Après la naissance du bébé, j’ai décidé de terminer mon bac à temps partiel. Deux ans plus tard, Alexandra est née, puis j’ai fait une fausse couche. En 1987, Élizabeth est venue au monde, suivie de Jean-Nicolas en 1989. Mes beaux-parents n’arrêtaient pas d’agrandir la maison pour nous accommoder, mais nous étions tout de même à l’étroit. Ils ont alors offert à mon mari (leur unique enfant) de lui léguer immédiatement son héritage afin de nous permettre d’acquérir une maison bien à nous. Grâce à eux, nous avons pu acheter une belle demeure de 15 pièces, où nous logeons encore aujourd’hui.Chaque fois que nous accueillions un nouveau-né, mon mari se disait comblé. De mon côté, j’en voulais toujours un dernier – «un vrai dernier», comme disent nos enfants. Une chose est certaine, aucun des miens n’a été conçu sur un coup de tête: tous mes bébés ont été de véritables coups de cœur. Quand je regardais Jean, je ressentais tellement d’amour que ça me poussait à lui dire: «Faisons un autre enfant.» C’était ma façon de concrétiser et de perpétuer notre bonheur. Jean ne se faisait d’ailleurs pas prier. Il aimait les enfants – et il les aime toujours! Et pour lui, l’important, c’était que je sois heureuse.

Raphaël est né en 1991, puis Frédérique, en 1992. Ensuite, je commence à mêler les années de naissance. Mais je connais l’âge et la date d’anniversaire de chacun! Il y a eu Jean-Christophe, qui vient d’avoir 13 ans, et Marie, qui a 12 ans. J’ai fait une autre fausse couche avant de retomber enceinte et de mettre au monde Tristan, aujourd’hui âgé de 10 ans. Puis François, qui a maintenant 9 ans. Après François, j’ai perdu un bébé. Mon médecin m’a alors dit que la nature était en train de m’envoyer des signaux. Côté maternité, il était temps que j’arrête. Ça m’a rendue triste, car je m’étais mis en tête d’avoir 12 enfants. Je ne sais pas trop pourquoi, mais ça me paraissait le nombre idéal.

Pendant quelques années, j’ai fait l’école à la maison (c’est une des seules fois où mon bac en éducation m’a servi). C’était tellement agréable d’enseigner à mes petits. Je les installais dans la grande salle à manger, et ils apprenaient à leur rythme. J’ai adoré l’expérience. Sauf que c’est devenu compliqué sur le plan légal. Et un jour, ma mère – qui est aussi professeure et qui croit à l’enseignement traditionnel – m’a dit qu’elle trouvait important que mes petits rencontrent d’autres enfants. Elle m’a alors proposé un marché: si je les envoyais à l’école du village, elle s’occuperait de faire leurs lunchs. Depuis ce temps-là, elle prépare chaque jour leur dîner, qu’elle met dans des petits sacs identifiés à leur nom. Ça représente une grosse économie d’argent et, surtout, de temps! Et chaque soir, en rentrant du boulot, mon mari (qui enseigne la musique et l’histoire) passe chercher la marmaille.

Il faut dire qu’au quotidien je ne suis pas très organisée. Je suis même plutôt indisciplinée – c’est mon côté artiste, je suppose. J’ai d’ailleurs une admiration sans bornes pour les femmes qui travaillent à l’extérieur de chez elles et qui ont des enfants. Pour moi, ce sont des saintes. Et quand elles disent m’admirer, je n’en reviens pas! Pour moi, la vie est tellement plus facile: je reste chez moi, je suis mon propre patron. Si je n’ai pas envie de faire quelque chose, je ne le fais pas. Si je suis fatiguée, je vais me coucher, et c’est tout. Elles, par contre, ne peuvent jamais faiblir. Par ailleurs, je n’aime ni les contraintes ni les carcans. Chez nous, les enfants n’ont pas d’horaire fixe ni de tableau des tâches. Après tout, c’est moi qui ai choisi d’avoir une famille nombreuse! J’en assume donc les conséquences…

Quand mes enfants reviennent de l’école, je considère qu’ils méritent de se reposer. Même chose pour Jean. C’est une entente tacite entre nous: il travaille pour subvenir à nos besoins, tandis que je m’occupe des enfants et de la maison.

Comme je suis seule à m’occuper de l’entretien ménager, je suis toujours en mode survie. Le lave-vaisselle fonctionne constamment à plein régime, mais il arrive que nous attendions au lendemain pour desservir la table du souper. En ce qui concerne la lessive, j’ai ma propre méthode. Dans la salle de lavage, les vêtements de la maisonnée sont répartis en deux: un tas de linge sale et une montagne de linge propre. Quand j’ai le temps, je plie et range les vêtements. Sinon, le matin, chacun pige directement dans la montagne de linge propre ce dont il a besoin pour s’habiller.

Chez nous, les déjeuners sont relativement simples. Comme nos petits du primaire se lèvent un peu plus tôt que ceux du secondaire, je fais deux services, mais avec un seul menu: des gaufres pour tout le monde! Pendant qu’ils s’habillent, j’en prépare à la chaîne dans un grille-pain à quatre fentes. Ensuite, ils partent pour l’école.

Pour les soupers, c’est tout aussi simple: après le travail, mon mari m’appelle pour savoir ce que nous désirons manger et, sur le chemin du retour, il achète ce qu’il faut pour le préparer. Si je suis fatiguée, il rapporte quelque chose de prêt à servir. Cela dit, nos enfants soupent assez tard: ça leur donne amplement le temps de jouer avec les trois petits voisins que je garde après l’école, les trois chiens, le chat et le hérisson (on a déjà eu un furet, mais je l’ai accidentellement tué en lui broyant la tête avec la porte du lave-vaisselle).

Notre maison est ouverte à tout le monde; c’est un peu comme une commune, et nos enfants y sont heureux. Les Noëls, chez nous, sont particulièrement féériques. Nous recevons tous nos proches – parents, beaux-parents, amis. La table de la salle à manger fait 14 pieds de long, et on s’asseoit sur trois bancs d’église placés bout à bout de chaque côté. On allume un bon feu, on met une petite musique d’ambiance, on soupe aux chandelles. Ensuite, tout le monde déballe les cadeaux. Il y en a au moins un pour chaque convive, et davantage pour nos enfants, qui reçoivent – dans la mesure du possible – ce qu’ils ont souhaité (à moins qu’il ne s’agisse d’un lama, comme François nous l’avait demandé la dernière fois). Au jour de l’An, Jean bénit les enfants, dans la plus pure tradition catholique. C’est très émouvant.

Il y a aussi, parfois, des moments qui me font douter de ma santé mentale. Comme lorsque nous sommes aux prises avec une épidémie de gastroentérite ou de poux. C’est effrayant, la gastro. Tout le monde y passe, moi en dernier. Et les poux, c’est infernal. Imaginez la quantité de lavages qu’il faut alors se taper! Malgré tout, je ne suis jamais découragée au point de tout remettre en question. J’avoue avoir traversé une période plus difficile, après la naissance de mon cinquième. Je pleurais tout le temps, je ne me reconnaissais plus. Mon médecin a diagnostiqué une dépression majeure. Depuis, je prends des antidépresseurs – mes enfants appellent ça mes «pilules de bonne humeur» – qui m’ont permis de retrouver mes forces et mon énergie.

Et la vie continue de me faire des cadeaux. Notre aînée, Jacynthe, et son époux ont eu un fils. Puis Alexandra, notre seconde fille, a donné naissance à deux merveilleux garçons. Les circonstances font que, pour l’instant, son mari et elle ne peuvent pas en avoir la garde. Alors c’est nous qui en prenons soin. Ils font partie de la famille, comme s’ils étaient deux nouveaux petits frères pour les autres… Moi qui souhaitais 12 enfants, ça y est: le compte est bon!

Ça peut paraître curieux, mais je ne changerais pas de place avec qui que ce soit. Je me trouve immensément choyée. Je rêvais d’avoir une maison de campagne en pierres des champs, avec un foyer, un prince charmant aux cheveux noirs, et 12 enfants.

Aujourd’hui, j’ai le bonheur de constater que mon rêve est devenu ma réalité.

Propos recueillis par Marie-Claude Fortin

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