J’ai toujours été une fille anxieuse, un brin tourmentée, mais ça ne m’a jamais empêchée de fonctionner normalement. Du moins jusqu’à ce jour où, sans comprendre ce qui m’arrivait, j’ai vécu ma première crise de panique. C’était en 1998. J’avais 27 ans. J’étais dans le métro, à l’heure de pointe matinale, prête à entamer une nouvelle journée de travail. Le wagon était plein à craquer. J’avais chaud. Je me suis soudainement sentie étourdie. Mes mains sont devenues moites et ma salive a épaissi. Je manquais d’air. Convaincue que j’allais m’évanouir, je suis sortie à la station suivante, à la recherche d’un banc où m’asseoir. Au bout d’une demi-heure, je me sentais mieux.

J’ai immédiatement rangé ce malaise dans le dossier Fatigue et surmenage, me promettant de me coucher tôt le soir venu. Il fallait vraiment que je sois en forme, d’autant plus que je venais tout juste d’obtenir une promotion et que je débutais dans un nouveau poste. J’étais ravie… mais déjà épuisée. Ça faisait plus de deux ans que je travaillais dans une agence de publicité, un milieu où la pression est forte. Je faisais souvent des semaines de plus de 60 heures. C’était le prix à payer pour grimper les échelons. Je me doutais bien qu’avec cet avancement mes responsabilités décupleraient, mais rien n’allait freiner ma lancée.

Au cours des mois suivants, il m’est arrivé à quelques reprises de me sentir étourdie, d’avoir des nausées, des palpitations et des chaleurs… Chaque fois, je devais m’asseoir et attendre que ça passe. Après cinq ou six épisodes, j’ai commencé à être inquiète. J’avais peur d’être malade. Peur de souffrir d’anémie, d’hypoglycémie ou encore de diabète… Peut-être avais-je une tumeur au cerveau? Plus je me tracassais, plus les symptômes étaient fréquents et intenses; si bien que, au bout de six mois, les crises sont devenues quasi quotidiennes. À chaque attaque, j’avais du mal à respirer, mon bras gauche s’engourdissait et j’avais l’impression que ma gorge et ma poitrine étaient prises dans un étau.

C’est alors qu’a commencé la saga des hôpitaux. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis arrivée à l’urgence en réclamant qu’on vérifie mon coeur et ma tension. Mon chum, Sylvain, m’accompagnait toujours, inquiet et patient. J’ai passé tous les tests possibles et imaginables. «Tout est beau, Madame, vous êtes en bonne santé, vous n’avez rien», me disait-on. Rien? Allons donc! Il y avait alors un an que j’étais aux prises avec des symptômes physiques violents… et je n’avais rien?

Les deux années suivantes ont été un vrai cauchemar. Les crises s’enchaînaient à un rythme désespérant, à raison de quelques-unes par jour. Elles survenaient sans prévenir, dans des endroits inattendus, me plaçant souvent dans des situations humiliantes. Au cinéma, chez des amis, à l’épicerie, n’importe où. J’ai même craqué au travail, en pleine présentation devant des clients. J’avais de plus en plus de mal à camoufler la vérité à mes patrons et à mes collègues. Lorsque ça m’arrivait, je devais m’isoler et sortir pour respirer dans mon petit sac en papier – j’avais lu quelque part que c’était la meilleure chose à faire lorsqu’on manquait d’air. M’asseoir. Attendre. Pleurer. Appeler Sylvain pour qu’il vienne me chercher. Toujours la même peur de mourir qui me prenait au ventre. La certitude que c’était la fin.

Puis, il y a eu cette nuit de mars 2001. Il était 3 h du matin. Je me suis levée, en état de panique, à la recherche de mon petit sac en papier. Sylvain s’est planté devant moi et m’a dit, en prenant soin d’articuler chaque mot: «Jacinthe, si tu ne te recouches pas tout de suite, je te fous une baffe!» Silence. Je savais bien qu’il ne m’aurait jamais touchée, mais le message était clair: il en avait ras le bol. Il faut dire que nous ne comptions plus les nuits à l’urgence, et toutes les fois que je l’avais dérangé au travail et qu’il avait dû sortir d’une réunion, les multiples soirées avortées où nous étions partis en catastrophe, abandonnant nos amis ou interrompant un souper au resto ou encore un film qui ne faisait que commencer. Et que dire de ce voyage à Paris où nous avions passé trois jours dans notre chambre d’hôtel parce que j’étais incapable de sortir…

Je me suis recouchée sans dire un mot. J’ai compris que si je ne me prenais pas en main, je perdrais tout: mon conjoint, mes amis, mon travail. Je sentais de sérieux signes d’essoufflement dans mon entourage. Mon patron était de moins en moins compréhensif, mes amis semblaient de plus en plus inquiets et Sylvain commençait à se montrer impatient.

Le lendemain matin, je me suis rendue à la «clinique sans rendez-vous» près de chez moi. En m’assoyant devant le médecin, j’ai fondu en larmes. Pour la première fois, je me sentais écoutée et comprise. Le diagnostic est tombé très rapidement: «Vous souffrez d’anxiété, Madame. Je crois que vous souffrez d’un trouble panique. Je vais vous prescrire des anxiolytiques et vous faire voir par un psychiatre.» J’étais soulagée de savoir ce que j’avais, mais, en même temps, inquiète. Les mots «maladie mentale», «psychiatrie» et «médicaments» tournoyaient dans ma tête et n’avaient rien de rassurant. Étais-je en train de devenir folle?

Quelques semaines plus tard, me voilà dans le bureau du psychiatre, qui prétendait que les médicaments allaient me guérir. Il a doublé ma dose d’anxiolytiques. J’ai protesté, expliquant que je souffrais déjà d’effets secondaires embêtants. Sa réponse? D’autres pilules! Un comprimé pour ressusciter ma libido, un cachet pour diminuer mes migraines, une petite granule pour apaiser mes brûlures d’estomac… Je suis rentrée chez moi avec un inquiétant cocktail de médicaments à prendre chaque jour, pendant une période indéterminée. Moi qui avais vécu 30 ans sans jamais prendre une pilule, je me sentais polluée et encore plus désespérée.

C’est sur Internet que j’ai trouvé du réconfort. J’ai déniché un groupe de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux. Dans les forums de discussion, j’ai clavardé avec des gens qui avaient exactement les mêmes symptômes que moi. Je n’étais plus seule. J’ai alors décidé d’amorcer une thérapie pour comprendre ce mal mystérieux qui s’acharnait sur moi. Je voulais m’en sortir.

J’ai rencontré une psychologue en qui j’avais pleinement confiance. Ensemble, nous avons entrepris de décortiquer le pattern de mes crises. J’ai compris que le stress et la fatigue constituaient la base de mon problème. Certains font des burnouts ou des dépressions lorsqu’ils sont au bout du rouleau; moi, je panique. Ma psy m’a enseigné à analyser mes crises, à observer les signes avant-coureurs sans les juger ni avoir peur. J’ai appris à désamorcer chaque symptôme: «Là, j’ai un point au coeur. Ça me fait mal, mais je sais que ça va passer. Je dois rester calme», me répétais-je. Après six mois, les résultats étaient probants. Je me sentais de mieux en mieux. Mes crises s’espaçaient et devenaient moins violentes.

J’ai arrêté de prendre mes médicaments et j’ai fait un grand ménage dans ma vie. J’ai quitté mon emploi. Quel bonheur que d’avoir du temps pour moi! Et pour Sylvain. J’ai pu le retrouver, m’occuper de lui, l’aimer. Après quelques mois de repos, je suis tombée enceinte. Je me suis sentie renaître. Évidemment, j’ai pensé à tout ce que je venais de vivre… Je ne voulais surtout pas transmettre mes angoisses à mon enfant. J’ai donc poursuivi mon travail intérieur, j’ai continué à apprendre à respecter mes limites et à écouter mon corps.

Il y a plus de six ans que je n’ai pas fait de crise. J’ai maintenant deux adorables petites filles. La maternité a été une belle source d’épanouissement pour moi. Elle m’a permis de me détourner de mes problèmes pour me concentrer sur autre chose: mes enfants. Bien sûr, je suis encore angoissée à mes heures, encore un tantinet tourmentée, mais j’arrive à me maîtriser. L’humour et l’autodérision sont mes plus grands alliés. Je refuse que mes angoisses m’empêchent de faire quoi que ce soit. Dernièrement, j’ai fait une surprise à Sylvain. J’ai acheté deux billets d’avion pour Paris et, cette fois, pas question que je m’enferme à l’hôtel! »