À 15 ans, je me suis fait approcher par une agence de mannequins, puis ma carrière a très vite démarré: Tokyo, Milan, Monaco… Malheureusement, j’ai découvert les drogues dures et j’en suis rapidement devenue dépendante. C’est ainsi qu’à 18 ans je me suis retrouvée à vivre dans la rue.

Je n’avais jamais pensé à devenir mannequin, mais quand l’occasion s’est présentée, je me suis embarquée dans l’aventure sans trop y réfléchir. Ma mère ne s’y est pas opposée car elle avait confiance dans le professionnalisme de l’agence qui m’engageait. Ma cinquième année de secondaire n’était pas encore achevée que j’ai accepté avec joie mon premier contrat: deux mois au Japon.

Avant mon départ, j’avais promis à mon chum et à ma meilleure amie que je leur écrirais tous les jours. C’est ce que je me suis appliquée à faire. Étrangement, mes messages demeuraient sans réponse. Puis un jour, une fille que je ne connaissais pas m’a appelée au Japon pour me dire de cesser d’envoyer des lettres à mon amie et à mon chum, parce qu’ils sortaient maintenant ensemble. Ç’a été un dur coup! À mon retour, je n’avais plus d’amoureux ni de meilleure amie. De plus, je me rendais compte que mon cercle d’amis s’étiolait. On parlait dans mon dos, on me jalousait, on me répétait que mon nouveau métier allait me monter à la tête, etc. J’ai déployé beaucoup d’énergie à essayer de convaincre mon entourage du contraire, en vain. Visiblement, mon travail gênait les autres. J’ai fini par ne plus mentionner ce que je faisais. Plus tard, j’ai compris que le problème ne venait pas de moi et que je n’avais pas à culpabiliser à ce sujet.
Avant de devenir mannequin, il m’était déjà arrivé, à l’occasion, de goûter à certaines drogues, telles la marijuana, le hasch et l’acide. J’avais également essayé la cocaïne à quelques reprises. Mais à 16 ans, à mon retour du Japon, j’ai fait la connaissance de personnes qui, elles, ne se contentaient pas de sniffer la coke: elles se l’injectaient par intraveineuse. L’effet était immédiat et beaucoup plus intense. Un seul essai a suffi pour que j’adopte cette méthode. La drogue me faisait du bien, elle m’aidait à oublier à quel point je me sentais seule et coupable. Je jugeais en effet que si mes amis me tournaient le dos, c’était de ma faute. C’était aussi la preuve de mon manque de confiance en moi. Car, contrairement à ce que plusieurs pensent, être mannequin ne favorise pas la confiance en soi. Évoluer dans un monde où tout le monde est très beau est difficile: on se compare sans cesse, et la comparaison n’est pas toujours à notre avantage.

Avec le recul, je me suis aussi rendu compte que j’étais sans doute trop jeune pour profiter pleinement de la chance que j’avais. N’envisageant pas une carrière à long terme, je vivais au jour le jour. J’avais coutume de partir deux mois en Europe ou en Asie, de revenir quelques mois à Montréal avant de repartir à nouveau.

Durant mes séjours à l’étranger, je ne consommais pas de cocaïne. J’étais trop occupée à travailler et à découvrir du pays. Mais mes retours me ramenaient brusquement à la réalité et surtout à ma solitude. J’avais loué un appartement et j’y restais parfois deux jours d’affilée à me shooter de la coke, sans rien faire d’autre. Sans mes amis, je n’étais plus rien. Et puis j’avais honte. Ma situation n’avait rien de bien reluisant et j’évitais d’en parler à quiconque. Ma mère, au courant de mon problème de dépendance, tentait bien de m’aider, mais je refusais obstinément son appui.

Ma dépendance grugeait mes gains. Des quelque 20 000 $ que m’avait rapportés mon premier contrat de mannequin, j’en avais dépensé la moitié dans les drogues! Quant aux quelques filles avec lesquelles je m’étais liée dans le milieu de la mode, elles ne sont pas restées longtemps dans ma vie. Mon état leur faisait sans doute trop peur. Il est vrai que j’étais très fragile. Je me souviens très bien de mes 18 ans et du mal-être qui me collait à la peau. J’étais au Japon, il y avait peu de travail et je
venais de rompre avec mon copain, une relation qui avait à peine duré deux mois. Bref, j’étais au plus mal. J’ai donc écourté mon contrat et, de retour à Montréal, j’ai décidé de m’inscrire à une thérapie «fermée»… que j’ai rapidement abandonnée. En fait, toutes les thérapies que j’avais entreprises auparavant n’avaient donné aucun résultat. Sans doute parce qu’elles avaient toujours été motivées par mon désir de plaire, à ma mère notamment. Or, à
18 ans, je n’étais pas encore prête à cesser de me droguer. Si j’étais allée dans cet établissement pour toxicomanes, c’était seulement parce que je ne savais pas quoi faire d’autre.

Ironiquement, c’est à cet endroit que j’ai rencontré le gars avec lequel j’ai commencé à prendre de l’héroïne. J’en avais essayé une fois, mais, depuis le jour où ce garçon et moi sommes allés en ville avec l’intention d’en trouver, je m’y suis mise sérieusement. Cela m’a entraînée dans un univers que je ne connaissais pas: celui des gens de la rue, des anarchistes, des marginaux. Leur indépendance et leurs convictions m’impressionnaient. En fait, je les admirais. Aussi, après avoir habité deux mois dans l’appartement que j’avais loué en ville, j’ai décidé de le quitter. Pourquoi payer 600 $ pour un toit alors que je pouvais utiliser cet argent pour acheter de l’héroïne?

Je suis donc allée vivre au sein de cette petite société anticonformiste, avec ces gens qui sont devenus mes amis. Ça me procurait un sentiment de liberté indescriptible. Mais, surtout, c’est la solidarité entre ces jeunes de la rue qui m’a profondément touchée. Jamais je n’avais vu des gens s’entraider de la sorte, ni être liés les uns aux autres aussi étroitement. Moi, j’avais soif de ce sentiment d’appartenance, de cette amitié solide. J’ai vécu dans la rue pendant un an et demi. Je me débrouillais pour dormir dans l’appartement de connaissances quand il faisait froid, et dehors lorsque la température le permettait. Durant toute cette période, mon quotidien a consisté à trouver de l’argent pour pouvoir me procurer ma dose d’héroïne. Tous les jours, sans répit. J’y arrivais la plupart du temps, grâce à certaines activités illégales. Quand j’en manquais, en revanche, j’étais malade, systématiquement.

Je mangeais très peu. Je mesurais 5 pieds 8 pouces, mais je pesais à peine 100 livres. J’étais maigre, pas vraiment belle. La toxicomanie me plongeait dans la confusion, masquant mes sentiments, brouillant mes perspectives. De temps en temps, j’appelais ma mère pour lui donner des nouvelles, tentant d’embellir les choses pour qu’elle ne s’inquiète pas trop. Elle se rongeait les sangs!

Et puis, à l’âge de 20 ou 21 ans, un déclic s’est soudainement produit dans ma tête. Un matin, assise dans un parc, je me suis mise à pleurer, sans pouvoir m’arrêter. Je venais de passer quasiment une semaine sans dormir, je me sentais abattue et très lasse de cette vie-là. Je réalisais que je ne pouvais plus continuer comme ça, que ma vie n’avait plus aucun sens. Je devais penser à mon avenir. Je me rappelais que j’étais plutôt bonne à l’école; peut-être pourrais-je y retourner? À cette même période, une clinique pour jeunes de la rue a ouvert ses portes au centre-ville et les héroïnomanes pouvaient s’y procurer de la méthadone, un médicament qui facilite le sevrage. J’ai décidé d’y aller.

Pour la première fois, je désirais me défaire de ma dépendance et, cette fois, je le faisais pour moi et pour personne d’autre. J’ai repris contact plus régulièrement avec ma mère, qui souhaitait que je retourne habiter avec elle, ce que j’ai finalement fait. Au début du traitement, il m’arrivait de rechuter à l’occasion mais, graduellement, je m’en suis tirée.

J’ai aujourd’hui 25 ans, et ça fait plus de deux ans que je n’ai pas touché à la drogue. D’ici un an, j’aurai terminé mon DEC en biologie médicale. Au début, je doutais de réussir à l’école, pensant que toutes les substances chimiques que j’avais absorbées avaient peut-être affecté mes capacités intellectuelles. Pas du tout. J’ai d’excellentes notes et ça me redonne confiance, tout comme le fait de m’être sortie de l’univers de la drogue.