C’est un étrange phénomène que d’être une animatrice semi-connue dans un petit marché comme le Québec. Où j’ai à la fois de vrais fans, et d’autres qui me confondent encore avec Mélanie Maynard… En fait, on me connaît sans me reconnaître, et c’est une situation qui me convient parfaitement.

Cependant, que je sois connue ou pas, peu de gens réalisent que les projecteurs qui font briller nos yeux sur les tapis rouges sont les mêmes qui éclairent la noirceur de nos âmes lorsqu’on traverse une période dépressive.

En septembre 2018, après des mois d’insomnie, de doutes et de conflits, j’ai vécu deux ruptures simultanées: une peine d’amitié – une relation de près de 30 ans –, et une douloureuse peine d’amour. J’avais aussi perdu deux importants contrats professionnels quelques semaines auparavant. Sans toutefois nier ma part de responsabilité, j’étais déjà fragilisée et je n’avais jamais eu autant besoin de ces personnes-là. Bref, tout s’est effondré.

Du jour au lendemain, je me suis retrouvée à dormir dans le salon d’une amie, complètement anéantie. En toute transparence, mis à part quelques petits contrats et un court voyage dans les Rocheuses, je ne saurais dire ce que j’ai fait de mes journées pendant les mois d’hiver qui ont suivi. J’étais complètement perdue, sans repères.

Sauf que, chaque fois que je mettais le nez dehors, on me rappelait gentiment que mon visage, lui, continuait d’être à la télé.

Je n’oublierai pas la fois où, à la quincaillerie, je n’ai pu retenir mes larmes devant le gentil préposé qui relatait avec nostalgie des souvenirs de son pays natal, la Hongrie, où j’étais allée pour une de mes émissions télé.

Jamais on ne m’avait autant reconnue en raison de mon travail et jamais je n’avais eu autant besoin de passer inaperçue.

Au printemps 2019, le soleil réanime tranquillement Montréal, je vais déjà un peu mieux, mais je me sens encore à fleur de peau. Les terrasses, les parcs, les comptoirs de crème glacée du quartier sont profondément imprégnés de souvenirs. Tout me rappelle ceux que je tente d’oublier.

Heureusement, quelques mois auparavant, je m’étais mise à la course à pied, une discipline plus que nécessaire pour moi. Je n’ai jamais autant mérité une médaille que celle que j’ai reçue pour mon premier demi-marathon, terminé quelques jours après mon 40e anniversaire.

Le 2 juillet, un numéro portant l’indicatif 416 s’affiche sur l’écran de mon téléphone. «Est-ce que tu peux être à Toronto après-demain pour un contrat de deux semaines?» me demande l’homme au bout du fil.

C’était possible. Un des rares avantages d’être une femme de 40 ans, célibataire, sans emploi et sans enfant, vivant d’une chambre à l’autre chez des amis depuis près de 10 mois, c’est la grande liberté de pouvoir s’organiser en quelques jours pour partir n’importe où.

Deux jours plus tard, j’atterrissais au centre-ville de Toronto pour un mandat qui allait finalement durer deux mois et qui m’a probablement épargné une grave dépression. Je suis tombée sous le charme de la ville, de sa vitalité, de son architecture, de ses festivals, de ses musées, de ses restaurants et de ses plages aux abords du magnifique lac Ontario.

Mais surtout parce que j’avais un grand besoin d’espace et d’anonymat, et qu’un été entier dans une ville où je n’avais ni passé ni souvenirs était la plus belle chose qui pouvait m’arriver.

Pierre-Olivier Bernatchez

Ironie: quelques semaines après mon retour à Montréal, je remportais mon tout premier prix Gémeaux pour l’animation d’une des émissions dont j’avais justement perdu le poste l’été précédent, au tout début de la tempête. En marchant vers la scène pour accepter le trophée dont j’avais si souvent rêvé, j’ai senti que le vent venait de tourner et que ma guérison venait de s’amorcer.

J’avais passé les derniers mois en cavale, à trimballer ma peine et à me culpabiliser de ne pas avoir été assez forte, assez belle, assez drôle, assez travaillante, assez patiente, assez bonne.

Ma décision était prise. J’allais une fois de plus vivre un grand changement dans ma vie. À la différence que cette fois-ci, c’est moi qui allais contrôler ce changement.

Presque un an plus tard, j’habite au 24e étage d’une tour, avec une vue sur le centre-ville de Toronto, pas très loin des studios de CBC Radio-Canada, où je suis à la barre de ma propre émission de radio, diffusée partout en Ontario et dans le reste du pays sur le web.

Et surtout, je vais merveilleusement bien. Je suis entourée d’amis, qui m’ont patiemment aidée à recoller tous les morceaux, à mon rythme, sans condition. J’ai même rencontré un homme magnifique qui me confirme tous les jours que je suis plus qu’assez forte, belle, drôle, travaillante, patiente et bonne.

Bien sûr, je m’ennuie du Québec. Je n’ai jamais eu l’intention de disparaître complètement. Mais j’ai toujours su, surtout en connaissant ma propre sensibilité, qu’en acceptant de faire un métier public, j’aurais un jour besoin de m’exiler quelque temps, pour me rappeler qui je suis, et pour repartir à zéro. Tout repartir de Toronto.»

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