Il y a trois ans, je me suis séparé de la mère de ma fille. Ça faisait 10 ans qu’on était ensemble, et, à un moment donné, je me suis mis à éprouver du désir pour quelqu’un d’autre. J’en ai parlé à ma conjointe… et ç’a été le début de la fin de nous deux, mais aussi le début du commencement pour moi. 

On a continué à cohabiter ensemble pendant six mois, le temps de vendre la maison et d’essayer de préparer le mieux possible notre fille à sa «nouvelle vie». Durant cette période difficile, j’ai lu. Tellement lu. Des livres de croissance personnelle. Des livres de psychologie. Et un livre en particulier. Sur la douance. Ce livre m’a fait me rendre compte que j’appartenais peut-être à la gang des «différents».

En le parcourant, j’ai compris toute la complexité de ma personne et j’ai appris une tragique nouvelle: je m’étais possiblement construit une fausse personnalité au fil du temps, afin de me faire accepter par la société. Merde. Ça devait être pour ça que j’avais étudié à l’École nationale de théâtre du Canada. Pour mieux comprendre comment jouer mon rôle.

Quand on est au beau milieu d’une rupture, ce n’est pas facile de partager ses constats existentiels sans avoir l’air d’être en psychose. Comment on explique à notre «ex en devenir» qu’on vient de découvrir qui on est?

«Attends, je viens de constater que je n’étais pas moi-même dans notre relation! Le “clown-cancre-hyperactif-ironique” ou l’homme plus mature que son âge, ce n’est pas réellement moi! Ce sont des personnalités mensongères que j’ai développées pour mieux m’intégrer dans la société!» 

À ce moment-là, plutôt que de tenter de trouver les bons mots pour lui expliquer ce qui se passait, j’ai basculé dans le monde des idées. Je fais ça quand je souffre, moi: je quitte temporairement la réalité pour penser au lieu de pleurer. Alors, plutôt que d’accepter que ma relation était en train de s’écrouler, je me suis mis à conceptualiser un modèle de village autosuffisant… (Réaction humaine hyperadéquate, non?) J’avais besoin de construire quelque chose dans ma tête. Pour moi, ce «village», c’était un plan pour qu’on puisse se retrouver, elle et moi, se rebrancher sur les valeurs qui avaient été présentes dans notre couple et se remettre à rêver. C’était à la fois un élan de séduction ultime (hautement maladroit) et une façon de lui dévoiler ma vraie personnalité, soit celle d’un gars intense, rêveur, sensible, intelligent et qui s’intéresse au sort de l’humanité. 

Pour elle, ç’a été inquiétant, et je la comprends. Je ne me ressemblais plus. Elle s’est donc mise à penser que je souffrais de bipolarité, et ça m’a fait extrêmement peur. J’ai alors compris que c’était mon cue pour commencer à consulter. 

Ça fait trois ans que je suis en psychothérapie. Et finalement, je ne suis pas bipolaire, je suis juste… singulier. J’ai tellement travaillé sur moi. Je pense sincèrement que j’aurais une tonne d’autocollants dans mon cahier d’apprentissage. Et ça m’a rendu fier. Tellement qu’à partir d’un moment, j’ai eu envie de présenter le Francis-William 2.0 en prenant le risque qu’il se fasse aimer. Et c’est arrivé. 

Ça a duré jusqu’à il n’y a pas si longtemps, juste avant que je me fasse laisser.

Bon, je l’avoue, ce n’est pas ce que je raconte à mes proches. J’essaie de formuler quelque chose de plus vague pour préserver mon ego. «On n’est plus ensemble, nos tempéraments n’étaient pas compatibles.» Habituellement, cette phrase fonctionne bien. Mais il n’en reste pas moins que le sentiment de rejet fait terriblement mal. Surtout quand on entre en relation en ayant l’impression de porter la couronne du roi de la croissance personnelle et d’être la bonne version de soi.

Avec elle, j’ai eu envie d’être plus réaliste qu’avec mon projet de village et de vouloir simplement construire une maison, à deux. Une maison toute simple où on se sent à l’aise de se promener tout nu. De pleurer. De danser tout croche. D’être ouvert, transparent, vulnérable, fou, rêveur, des fois adulte, des fois ti-cul. Et on a réussi… Bon, ce n’était pas la maison la plus drette du quartier. Mais il y avait quand même des murs, un toit, et un tapis à l’entrée. Une structure qui ne donnait pas nécessairement envie de mettre la hache dedans

T’sais… Dans les émissions de rénovation, ça a l’air tellement facile de retaper une maison. Une poutre de soutien au sous-sol, on ouvre le rez-de-chaussée, un drain français tout le tour de la fondation, pif, paf, merci bonsoir.

J’imagine que dans la vraie vie, c’est plus simple de vendre une maison que de la rénover.

Ce qui est difficile dans cette deuxième rupture, c’est que même si j’étais anxieux dans cette relation, j’étais la version de moi-même que je n’ose même pas présenter à ma famille, à mes amis et à mes collègues de travail.

Parce qu’en dehors de la maison, j’ai encore le réflexe de reprendre les rôles que j’ai appris à incarner quand j’étais plus jeune.

Celui qui me va le mieux: le «clown-cancre». Il fonctionne partout. Il amuse les autres, alors on l’excuse d’être parfois vulgaire ou stupide. Il peut crier des insanités, mépriser des gens pour en faire rire d’autres et ironiser sur tout ce qui se passe de beau. C’est le p’tit comique qui repousse les limites.

Ou sinon l’autre: «Monsieur Maturité». Lui, il est à son affaire. Il a une face sérieuse. Il parle d’aménagement paysager, de l’horaire de la cueillette des ordures ménagères ou des intersections dangereuses pour les enfants. Ses jeans ne sont pas troués. Et il camoufle son odeur de cigarette. 

Alors que le Francis-William dans son home sweet home à deux, il médite en bobettes avec deux bas pas pareils. Il raconte ses rêves freudiens le matin. Il se livre sur le fait qu’il n’a jamais eu l’impression de correspondre aux standards de la masculinité. Il demande à se faire chatouiller le haut des bras parce que c’est la chose la plus agréable au monde. Il partage des idées pour changer le monde qui lui sont apparues en faisant l’amour. Il nourrit sa curiosité en apprenant des choses complètement random. Il fait son possible pour admettre ses torts. Il fait des exercices pour améliorer sa confiance en lui-même. Il culpabilise à propos de ce qu’il aurait dit de déplacé durant la journée. Par son empathie, il absorbe la souffrance des autres. Il communique trop. Il trouve que les lumières sont trop fortes ou de la mauvaise couleur. Il est parfois mort de fatigue. Il pleure. Il a peur. Il aime. Il voudrait tant être aimé. Il est dépendant affectif ou quoi?

Aujourd’hui, quand je regarde la maison que je viens de quitter, je la vois abandonnée, là, au beau milieu du quartier, avec encore des bouttes de moi. Et je cherche une façon de récupérer ce que j’y ai laissé pour me reconstruire quelque chose à moi seul.

Ce que j’essaie de dire, au fond, c’est que j’aimerais être intègre, cohérent et authentique sans avoir besoin de tenir la main de personne ni de devoir enfiler le costume du clown ou du papa sérieux.

J’aimerais ça réussir à être celui que j’ai découvert que j’étais il n’y pas si longtemps, avec les gens que je croise. C’est vertigineux. Comme à chaque commencement… Mais si jamais j’y arrive, j’aurai mon kiosque au prochain Salon de l’habitation… promis.

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez en faire part à nos lectrices? Une journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Laurie Dupont, à [email protected]

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