Je dois avouer que je suis nerveuse à l’idée de raconter cette histoire. Ça fera bientôt 30 ans que je vis cette situation extrêmement étrange, et je n’en ai parlé jusqu’ici qu’à ma famille proche et à ma meilleure amie. En partie par peur d’aggraver les choses, mais aussi parce que je crains que les gens ne me croient pas. Depuis bientôt 30 ans, l’ex-femme de mon frère m’espionne et copie absolument tout ce que je fais. 

Tout a commencé le jour où mon frère a rencontré celle qui deviendrait son épouse. Quand je l’ai connue, on s’entendait plutôt bien, elle et moi, et on se voyait souvent, vu que mon frère et moi sommes proches et que nos enfants ont sensiblement le même âge. J’ai vite constaté qu’après m’avoir rendu visite, elle achetait exactement les mêmes choses qu’elle avait vues chez moi: un bibelot, un accessoire pour la salle de bains, des coussins. Rien de bien inquiétant. Il lui arrivait parfois de me poser des questions un peu indiscrètes, comme la recette exacte de ma coloration capillaire, que j’hésitais à lui révéler. Un jour, j’ai appris de ma coiffeuse que ma belle-sœur lui avait téléphoné pour lui demander la formule qu’elle utilisait pour mes cheveux. À l’époque, je trouvais ça plutôt flatteur. 

Mais lorsque je suis tombée enceinte et que j’ai choisi de ne pas révéler le sexe du bébé, elle s’est mise à me talonner pour le savoir. Je l’ai finalement surprise à fouiller dans mes tiroirs, dans l’espoir de voir la couleur des vêtements que j’avais achetés pour mon futur enfant. 

Dès que j’achetais un nouvel ensemble pour mes enfants et que je partageais une photo d’eux sur mon compte Facebook, elle achetait exactement les mêmes vêtements pour les siens et partageait une photo de famille identique, avec la même légende en dessous. Même photo, même tenue, même texte descriptif. Systématiquement. Si on se voyait, un week-end, et que j’avais acheté quelque chose de nouveau, elle se le procurait immanquablement. Ça devenait de plus en plus étrange et, peu à peu, les gens proches de nous ont commencé à le remarquer. Quand elle venait chez moi, si mes enfants ou mon mari avaient le malheur de complimenter les plats que j’avais préparés, elle se moquait d’eux en les accusant d’exagérer pour flatter mon égo. Sa jalousie était de plus en plus évidente et commençait à friser l’obsession. J’ai hésité pendant des années avant d’oser aborder la question avec elle. Quand je l’ai finalement fait, elle a piqué une grosse colère en me disant que c’était moi qui la copiais. Rien à faire. 

Lorsque mon frère et elle ont annoncé leur divorce, j’ai été soulagée. J’ai cru que je serais enfin tranquille. J’avais tort. Leur divorce a été difficile et a engendré énormément de tensions au sein de la famille. Nos contacts se sont faits plus rares, mais elle a continué à copier l’entièreté de mes photos sur ses réseaux sociaux, en plus de publier de nombreux statuts injurieux sur ma famille et moi. J’ai compris qu’elle ne sortirait malheureusement pas de ma vie de sitôt. 

«Dans les décennies qui ont suivi, j’ai lancé deux petites entreprises de produits faits à la main, et elle a fait pareil quelques mois plus tard. À ce jour, elle copie presque tous mes designs au détail près.»

Dans les décennies qui ont suivi, j’ai lancé deux petites entreprises de produits faits à la main, et elle a fait pareil quelques mois plus tard. À ce jour, elle copie presque tous mes designs au détail près, ainsi que les légendes que j’écris sous mes photos. Quand je vois des compliments sous ses publications, ça vient vraiment me chercher. Toutes ses créations sont volées… Plus récemment, elle a commencé à tenir des propos dégradants envers mes enfants, aujourd’hui adultes, et surveille leur présence sur Internet pour se moquer d’eux aussi, ce que je trouve absolument méprisable. 

J’ai souvent tenté de la bloquer, mais elle se crée de nombreux faux comptes pour continuer de m’épier. Je la vois sans cesse dans la liste des gens ayant visionné mes stories ou le contenu que je partage. Elle n’est jamais bien loin et je dois me rendre à l’évidence qu’elle n’arrêtera sans doute pas. J’ai envisagé d’entreprendre des démarches judiciaires, mais ce qu’elle fait ne contrevient pas exactement à la loi et je n’ai aucun doute que la police se moquerait de moi. Je ne sais pas quels sont mes recours… Quant au vol de ma propriété intellectuelle, je ne crois pas que le fait de la poursuivre vaille réellement les dépenses et l’effort. C’est si difficile de prouver d’où vient une idée! 

Au fil des ans, j’ai malgré tout accumulé des tonnes de preuves contre elle, de peur qu’elle décide un jour de m’accuser elle-même ou qu’elle s’en prenne à moi d’une manière ou d’une autre. J’ai bien essayé de ne plus aller voir ce qu’elle publiait, mais j’en suis incapable. J’ai besoin de savoir, de protéger ma famille et moi-même en gardant un œil sur elle, et elle le sait. Elle me nargue, m’imite et m’insulte ouvertement, espérant sans doute une réaction que j’ai jusqu’ici réussi à réprimer, de peur d’envenimer les choses. 

Après 30 ans de harcèlement psychologique, je n’ose plus exposer ma vie sur le web. Je m’ennuie de partager mes réussites ou celles de mes enfants avec mes amis, d’obtenir le soutien de ceux que j’aime quand j’en ai besoin, d’interagir avec mes proches qui vivent loin. Mais quoi que je partage, qu’il s’agisse d’un souvenir de voyage ou d’une photo me montrant dans une nouvelle robe, je sais qu’elle reproduira la chose, et je trouve ça extrêmement lourd. Je me sens constamment surveillée, et ça m’attriste beaucoup de voir à quel point toute cette situation affecte mes enfants. 

Les rares fois où j’ai osé en parler, on m’a répondu que ce n’était sûrement pas si pire que ça, que je devrais la laisser faire, que ce n’était rien. Mais C’EST si pire que ça. C’est trois décennies de surveillance, d’obsession, et maintenant d’hostilité injustifiée. Je n’ai aucune solution, aucun recours, aucun contrôle sur la situation. Je ne souhaite à personne de vivre ça. 

Propos recueillis par Gabrielle Lisa Collard.

À lire aussi dans Société