Société
C'est mon histoire: j'ai tout plaqué pour vivre le rêve américain
Il y a six mois, j’ai tout plaqué: appartement, boulot, famille, confort. J’ai décidé de changer la trajectoire de ma vie, de rebrasser légèrement les cartes du jeu pour voir si l’herbe était plus verte chez le voisin. Je me suis endettée pour aller faire un stage non payé dans une des organisations internationales les plus riches du monde. Alors, il ressemble à quoi, le rêve américain?
par : Propos receuillis par Marie-Ange Zibi- 01 oct. 2019
Juankr
«La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt.», «La vie débute hors de notre zone de confort.». Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu ces phrases défiler sans vraiment les voir, où je les ai entendues sans vraiment les entendre, souvent lancées en l’air comme une évidence. Comme le remède ultime. Il se passe quoi lorsqu’on franchit cette fameuse zone de confort, lorsqu’on passe de l’autre côté? Personne ne nous prépare vraiment à ça.
Les bureaux où j’allais faire mon stage étaient situés au cœur de Manhattan, à une heure en métro de mon quartier. Je me suis trompée au moins 40 fois de direction. En sortant du métro, station Grand Central, j’ai eu le drôle de sentiment d’être dans un film. Tous les éléments étaient en place: les gens qui marchaient vite, la fumée qui s’échappait des édifices, les hommes d’affaires sapés en complet-veston, les femmes d’affaires, en tailleur… À ce moment précis, j’ai compris qu’à New York tous les clichés sont vrais.
J’étais moi-même un genre de cliché ambulant, parce que j’étais loin d’être la seule fille débarquée pour goûter à la Grosse Pomme le temps d’un stage ou pour quelques mois. Parmi la horde de jeunes adultes de passage, il y a les téméraires comme moi qui ont eu la «chance» de s’endetter à l’os pour pouvoir être là; et il y a ceux qui ont le privilège d’être nés dans une famille riche, tout simplement. Je n’aurais jamais pu survivre à ces quelques mois à New York sans mes maigres économies accumulées au fil des années et sans la minuscule marge de crédit obtenue à la toute dernière minute à la banque. Et dans un sens, j’étais privilégiée moi aussi.
Le stress financier s’est toutefois rapidement installé dans ma routine sans crier gare. Devais-je aller prendre l’apéro dans un bar huppé de Manhattan avec les autres stagiaires ou prétexter un «empêchement» de dernière minute? Aller faire l’épicerie à crédit pour mon souper du soir ou me laisser inviter à une date?
Il y avait aussi le fait que j’avais perdu ma carte de métro à 121 $ US (environ 160 $ CA) deux jours seulement après l’avoir achetée. Damn! Mon compte en banque rétrécissait à vue d’œil, et je vivais dans le déni total. J’ai su que mon karma avait touché le fond le jour où j’ai littéralement dormi dans le jardin de ma grande maison victorienne, car j’avais perdu les clés de la porte d’entrée après une soirée un peu trop arrosée.
Malgré tout cela, en moins d’un mois, je me sentais déjà comme une «locale». Une fois sur deux, en prenant le métro, je croisais le regard d’un rat gluant, et ça me paraissait la plus chose la plus normale qui soit. Et il n’y a pas que la faune animale… Il faut dire que le métro de New York, à lui seul, est un laboratoire social sans égal. On y voit de tout: des bobos d’Upper East Side, de nombreux itinérants du centre-ville, des travailleurs de la construction du Bronx, des danseurs de rue de Harlem, des musiciens ambulants de Times Square qui se promènent entre chaque wagon! Dans le métro de New York, le riche côtoie le pauvre, les classes sociales se croisent et s’entrecroisent comme nulle part ailleurs. Un de mes plus gros chocs a été la fois où, à l’heure de pointe un soir de semaine en plein hiver, un homme amputé des deux jambes, a rampé littéralement sur le sol sale du métro, les deux mains dans les flaques d’eau, en mendiant. Pas très loin de lui, un homme en costard, ultra bien mis de la tête au pied, jouait à Candy Crush sur son cellulaire, sans même le remarquer.
À New York, on n’est jamais seul. Je me suis rapidement fait un cercle d’amis grâce à des rencontres fortuites et aux applications Tinder et Bumble BFF. Je me suis liée d’amitié avec des artistes visuels, des DJ, des musiciens, des stylistes, des photographes, des journalistes, des poètes, et j’en passe. Mes premiers amis ont été en fait un couple. Un soir, après un anniversaire où l’alcool avait coulé à flot, ils ont décidé de me faire découvrir le quartier de Bushwick de long en large. Il était donc 3 h du matin, et j’ai eu droit à une visite guidée hors norme: un bar-cinéma qui projette des films érotiques sur un mur de brique; un club à la décoration digne des meilleurs films de Wes Anderson; une salle de jeux où se déroulait la séance de signature d’une star de téléréalité à la poitrine généreuse habillée en latex; une visite de la meilleure pizzeria du coin, Roberta’s; puis une visite impromptue d’un rooftop – pour laquelle on a dû tester nos talents d’escaladeurs – pour mieux voir les étoiles.
Je me rappelle des soirées jazz dans Harlem, où j’ai eu l’impression d’être plongée dans les années 60, cigare dans une main, verre de rhum dans l’autre, à écouter les meilleurs musiciens de la métropole. Il y a eu des soirées moins glorieuses aussi, comme la fois où je me suis endormie dans un bar bulgare où mixait un ami DJ: j’ai fait une «sieste de 5 minutes», qui a finalement duré 2 heures… soit jusqu’à la fermeture.
Côté transport, les dollar vans ont complètement révolutionné ma vie. Ces fourgonnettes modifiées, plus ou moins en règle mais tolérées par le corps policier, se trouvent dans plusieurs arrondissements de New York, comme Brooklyn, le Bronx et Queens. Le principe est simple: une fourgonnette (généralement blanche) s’arrête à un coin de rue sans s’annoncer et embarque plusieurs personnes à la fois. Pour 2 $, la dollar van nous amène n’importe où dans la ville. Pour signaler qu’on veut descendre, on doit littéralement crier le nom de l’intersection voulue, car la musique joue à plein volume à l’arrière du véhicule. Ce type de moyen de transport à la fois alternatif et communautaire est généralement utilisé dans les zones urbaines mal desservies par les transports en commun standards et les taxis.
Habiter à New York, c’est se forger un caractère, c’est ne rien tenir pour acquis, c’est devoir constamment s’affronter soi-même et affronter la réalité des autres autour de soi. Entre les loyers exorbitants, le coût de la vie hyper élevé, l’embourgeoisement des quartiers de Brooklyn ou de Harlem par exemple, j’ai rapidement compris que le mode «survie» était une seconde nature pour bien des gens.
Alors, il ressemble à quoi, le rêve américain? Il ressemble à des disparités sociales gigantesques, à la course au capitalisme, à un état de stress perpétuel et à un chaos bien orchestré. À New York, ce rêve ressemble aussi surtout à une communauté forte, à des quartiers historiques toujours debout et à une culture riche qui se nourrit du bagage de chaque individu, peu importe son origine ethnique. Si tous les chemins mènent à Rome, alors tous les chemins peuvent aussi mener à la Grosse Pomme, LA ville des villes.
Fake it until you make it, qu’ils disent. De préférence avec un salaire.
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