On se comprend tout de suite. Chloé et moi sommes d’origine libanaise et on se ressemble physiquement. Nos traits sont ceux des femmes du Moyen-Orient. On a la peau mate, les yeux noirs. On est plantureuses. Lorsqu’on est ensemble, les gens nous prennent souvent pour des sœurs ou des cousines. Étant toutes les deux célibataires, nos expériences nous rassemblent et se ressemblent. Lorsqu’on a le même match, c’est souvent pour la même raison; il s’agit de quelqu’un qui recherche «du différent», «de l’exotisme», bref… on est fétichisées pour nos origines.

Je suis une jeune femme célibataire de 30 ans. Une femme de couleur, une femme queer, une autrice qui se spécialise dans le domaine culturel et les phénomènes de société. Mes amies me voient comme une personne rayonnante, intelligente et fonceuse. Lorsque je rencontre des hommes pour une première date, mes qualités changent. Je deviens soudainement «exotique», je ne suis pas ce à quoi ils s’attendent venant d’une «fille moyen-orientale», je ne suis «pas traditionnelle», et mes cheveux sont «complètement renversants». J’aime les compliments, mais ceux-là me restent en travers de la gorge.

Être une femme de couleur qui «date», c’est se buter à des commentaires racistes, qui se veulent des compliments, mais qui n’en sont pas du tout. C’est se faire dire par une personne qu’elle préfère les femmes racisées, et quand on lui demande pourquoi, la réponse tarde à venir. Être une femme de couleur, c’est aussi devoir faire face aux drôles d’attentes que les gens ont à son sujet, des attentes souvent basées sur les maigres connaissances qu’ils ont de sa culture. Elle devient alors une culture qu’ils découvrent, et non une femme intéressante, une personne aux facettes multiples qui ne se limitent pas à ses origines.

Mon amie Léa, une autre femme de couleur belle et inspirante, m’a dit récemment une chose qui m’a frappée. On discutait d’un homme qui m’avait brisé le cœur en me «ghostant» et en se trouvant une copine qui me ressemblait, mais en version occidentale. Citant Kanye West dans Gold Digger, elle m’a lancé qu’elle n’était malheureusement pas étonnée, car «[he will] leave [your] ass for a white girl». Le choc est grand chaque fois que quelqu’un me fait savoir que ça ne fonctionnera pas, qu’il ne peut pas me présenter à sa mère, que je ne suis pas ce qu’il veut dans sa vie, mais que, pour l’instant, ça va. Je détonne dans son monde propre et rangé, où mes couleurs entrent en conflit avec celles dont il a l’habitude. Souvent, les gens qui «datent» une personne «exotique», ça se résume à une phase dans leur vie, qui justifie qu’ils décident de passer un moment dans mon lit, dans mon appartement, à me faire les yeux doux et à me dire qu’ils adorent mes cheveux frisés, ma peau basanée, mes lèvres roses. Chaque détail de mon corps devient un stéréotype dans lequel se déversent leurs envies de voyage sans qu’ils aient à quitter leur confort… et ça me rappelle que je suis différente des belles blondes et des brunettes à la peau blanche, au sourire éclatant, à la vie plus adaptée que la mienne.

Lorsque j’en parle avec mes amies qui, comme moi, ne sont ni blanches ni occidentales par leur physique, on en arrive souvent à la même conclusion: c’est désagréable de devoir faire des background check sur nos «dates» potentielles, d’éplucher les comptes Instagram que ces hommes suivent, juste pour être certaines qu’ils ne sont pas abonnés à d’autres femmes tatouées, percées, ayant les mêmes grands yeux, le même sourire, le même teint, les mêmes cheveux… Toujours sur nos gardes, toujours prêtes à être déçues.

Je ressors pourtant de ces expériences un peu plus forte chaque fois. Plus je suis en contact avec des personnes qui ne me considèrent que pour mon apparence ou pour l’idée préconçue qu’elles se font de moi, plus je prends aussi le temps de mieux connaître celles qui me voient pour ce que je suis réellement, soit une femme intrigante et ambitieuse, avec une personnalité aux multiples facettes. À ce moment-là, lorsqu’elles me disent que mes cheveux sont «tellement beaux», je sais que je peux simplement prendre le compliment pour ce qu’il est.

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