La première fois que je suis allée chez Mathieu, j’ai dû me pincer pour être sûre que je ne rêvais pas: sa maison ressemblait à un appartement-témoin. Tout y était impeccablement rangé. Chaque objet était précisément à sa place, il n’y avait pas un grain de poussière nulle part ni de vaisselle dans l’évier. Mais le clou du spectacle, c’était la salle de bains. Sur les étagères, il y avait des dizaines de produits, tous parfaitement alignés, les étiquettes méthodiquement tournées vers l’extérieur.

Cela dit, ce tableau était le reflet exact de Mathieu. À l’époque, nous travaillions dans la même entreprise. Je m’occupais du marketing, et lui, des finances. Je me disais que je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi organisé et méticuleux que lui. Impossible de lui refiler une note de frais mal justifiée ou de lui faire valider un budget trop élevé. Mathieu avait un oeil sur tout, se souvenait de tout et ne laissait jamais rien passer. Évidemment, son apparence était tout aussi soignée: ses cheveux étaient parfaitement coupés, sa barbe, rasée de près, et ses cols roulés lui tombaient impeccablement sur le torse.

Son bureau était à son image. Immaculé. Tous ses classeurs étaient rangés par couleur dans l’armoire. Seuls les dossiers en cours avaient droit de cité sur sa table, et ils devaient être empilés exactement dans le bon angle. Avec mes autres collègues, je riais un peu de ses habitudes de vieux garçon. Quand j’allais lui parler, je faisais exprès de déplacer ses dossiers de quelques centimètres. C’était à peine visible, mais il remarquait toujours le léger désalignement. Je ne me lassais pas de sa réaction: systématiquement, il les remettait droit. Je recommençais aussi sec… et lui aussi. Chaque fois qu’il se rendait compte de mon manège, ça déclenchait d’immenses fous rires entre nous.

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Il faut dire qu’on travaillait comme des bêtes. Le soir, on se retrouvait souvent seuls au bureau, et on sortait régulièrement prendre un verre après le boulot. Il me parlait des voyages dont il rêvait. Je lui racontais ceux que j’avais faits autour de la planète. J’en avais vécu, des choses, sac au dos: camper au sommet des montagnes, escalader des volcans… Chaque fois, j’étais partie seule, sans plan précis en tête. Je ne savais jamais où j’allais dormir le soir même. Je suis comme ça, moi: toujours dans le moment présent. Tout le contraire de Mathieu, en somme.

Et pourtant, j’aimais profondément passer du temps avec lui. Sa voix était posée, et ses paroles, claires et précises. En fait, Mathieu semblait toujours en parfait contrôle de la situation. À ses côtés, j’avais l’impression que rien de menaçant ne pouvait m’arriver.

Alors, le jour où mon appartement a été cambriolé, la première personne à qui j’ai pensé, c’est lui. Forcément. Je l’ai appelé en panique, et il est arrivé un quart d’heure plus tard, me proposant de rester chez lui aussi longtemps que je le souhaiterais. Pendant que je lui racontais mes mésaventures, il a saisi une tranche de pain, l’a méthodiquement garnie de beurre et d’une tranche de jambon, l’a emballée dans du papier qu’il a scrupuleusement plié, puis l’a glissée dans une boîte. Ensuite, il a répété l’opération. «Incroyable!» ai-je pensé: Mathieu était en train de préparer nos lunchs pour le lendemain! Ça peut paraître banal, mais c’était un truc improbable pour moi qui dépensais énormément d’argent dans les restaurants depuis des années. J’étais incapable de prévoir un seul repas à l’avance… Ce type était formidable. Non seulement il me permettait d’économiser, mais surtout, il pensait à moi. Il prenait soin de moi. C’était si agréable de sentir que je pouvais me reposer sur quelqu’un. Si doux de pouvoir lâcher prise après toutes ces années passées en solitaire!

Le lendemain, j’ai nettoyé sa salle de bains, question de faire ma part pendant que j’habitais chez lui. J’avais envie de lui faire plaisir, de le remercier d’avoir été là au bon moment. De lui plaire, aussi, sans doute. Je pense que mon récurage a eu son petit effet, car le soir même, on s’est embrassés. Et je n’ai pas tardé à emménager chez lui pour de bon. La première fois qu’on a décidé de partir en vacances ensemble, on a eu un vrai débat. On était d’accord sur la destination (le Portugal), mais pas vraiment sur la façon de voyager. Moi, évidemment, je voulais laisser le hasard s’imposer à nous et dégoter des trésors qui ne sont pas dans les guides. Mathieu, lui, souhaitait tout réserver à l’avance et «millimétrer» notre séjour. Alors, on a décidé de couper la poire en deux: durant la première moitié du voyage, on allait faire les choses à ma manière, et durant la seconde, j’allais me plier à ses désidératas. Résultat: j’ai vécu un des plus beaux voyages de ma vie. Je nous ai trouvé un petit appartement face à l’océan, et il m’a quant à lui fait découvrir une Lisbonne qui m’a étonnée.

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Dans notre vie quotidienne à la maison, on fait la même chose. On s’adapte. On fait des compromis. On a d’ailleurs conclu un accord tacite. Quand il rentre du bureau, je veille à ce que sa vue ne soit pas polluée par des choses qui ne sont pas à leur place. Je ferme bien toutes les portes des placards, je range mes affaires dans «ma pile», et il est entendu que cette pile-là, il n’y touche pas!

Ça fait maintenant plusieurs années qu’on est ensemble. On a deux enfants. Au fil du temps, j’ai bien compris que Mathieu subit une pulsion; que sa «frénésie du Swiffer» est plus forte que lui. Il y a des gens qui mangent quand ils sont stressés, d’autres qui vont se défouler au gym. Mon mari à moi a besoin de ranger. Ça l’aide à décompresser, à faire le point, à voir plus clair. Même nos amis le savent: ils ne se formalisent plus quand ils voient Mathieu passer l’aspirateur alors qu’ils sont encore à table.

Bon, je l’avoue: il y a eu quelques sérieux dérapages. Par exemple, la fois où il a jeté un sac entier de cadeaux destinés à ma famille, qui habite à l’étranger, «parce que ça traînait», et celle où il a fait don de notre unique dictionnaire à la bibliothèque municipale parce qu’il «prenait trop de place» sur l’étagère. Le pire, c’est le sort réservé aux bricolages de nos enfants. Quand mes petits arrivent la mine défaite et qu’ils me demandent «Maman, où est mon dessin?» je leur réponds d’un air las: «Demande à papa.» Parce que je sais que le dessin en question est dans la poubelle depuis longtemps déjà!

Cela dit, la compulsion de Mathieu offre quand même un immense avantage: ma maison est toujours impeccable. Quand on rentre de vacances, même au milieu de la nuit, on file tous se coucher. Sauf Mathieu. Il vide les valises, remplit la machine à laver, jette les restes du piquenique… Et je sais qu’avant d’aller dormir il aura préparé la table pour le déjeuner du lendemain. Non, franchement, je ne vois pas de quoi je pourrais me plaindre!

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