Par un matin d’été, dans un village de la Côte-Nord, une fillette de 10 ans est sortie de la maison de ses parents avec une petite table et un sac rempli de jouets dont elle ne voulait plus, et elle a installé le tout au coin de la rue. À la fin de la matinée, elle avait tout vendu. Vous l’aurez compris, cette petite fille, c’était moi. Ce jour-là, quand j’ai vu la poignée de dollars dans ma main, je me suis dit: «Si je veux des bonbons, je peux m’en acheter sans rien demander à personne.» J’ai découvert que j’avais le sens des affaires – et surtout, j’ai éprouvé un sentiment très fort d’indépendance et un besoin d’aventure. J’ai su qu’un jour je voudrais aller loin, dans tous les sens de l’expression.

C’est ainsi qu’à la fin de mon adolescence, le coeur gros, mais des papillons dans le ventre, j’ai quitté les paysages maritimes pour étudier en communication à Montréal. Dès ma sortie de l’université, plutôt que de travailler pour quelqu’un d’autre, j’ai fondé ma propre entreprise. Au début, ce n’était qu’un petit bureau dans un quartier plutôt moche. Puis un premier contrat en a amené deux autres et ainsi de suite, le bureau s’est agrandi, et même le quartier est devenu branché. À 29 ans, j’étais devenue une vraie femme d’affaires – et j’étais insatiable: dans mon temps libre, j’achetais des maisons que je faisais retaper, puis je les revendais.

Voilà où j’en étais quand, par un dimanche gris de novembre, l’homme de ma vie est venu sonner à ma porte. Ou plutôt à la porte d’une de ces maisons que je faisais visiter pour la revendre. J’ai tout de suite été frappée par l’allure de Jean-Marc. Les clients que j’avais l’habitude de voir les week-ends étaient habillés en «mou» avec de vieilles baskets. Jean-Marc, lui, portait une belle chemise. Il dégageait quelque chose d’à la fois cartésien et créatif. Il avait ce que j’appelle un look d’architecte français. Je suis immédiatement tombée sous son charme. Alors que nous passions de pièce en pièce, Jean-Marc ne disait pas grand-chose (il a seulement passé un commentaire sur l’encombrement du sous-sol, où j’avais stocké plein de mes affaires temporairement). Et je me rendais bien compte que je ne lui faisais pas beaucoup d’effet. Quand il est parti, j’ai pensé: «Bah! De toute façon, il doit être marié, avec des enfants. Il cherche une maison pour sa famille.»

Dans les jours suivants, j’ai envoyé un courriel à chaque visiteur pour faire un suivi. J’étais au bureau, tard le soir, quand j’ai vu la réponse de Jean-Marc apparaître dans ma boîte. Comme je m’y attendais, il n’était pas intéressé. C’est peut-être à cause du sentiment de solitude abyssale qu’on ressent parfois quand on est seule au travail à 23 h, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’aller voir la page Facebook de Jean-Marc. En regardant ses photos, j’ai vu qu’il aimait le snowboard et le surf.

Alors, j’ai cliqué sur «Répondre» et j’ai écrit: «Dommage. J’aurais cru qu’il y avait de la place pour tes planches dans mon sous-sol.» Puis, je me suis remise au travail. Sans le savoir, je venais de taper en plein dans le mille. Loin de se douter de mon stratagème, il m’a répondu que j’avais réussi à percevoir qui il était vraiment et il a ajouté: «Quand je t’ai vue toute seule dans cette grande maison, tu m’as davantage fait penser à une fille de Sex and the City qu’à une Desperate Housewife

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Notre premier rendez-vous a eu lieu le lendemain soir. Jean- Marc – qui était en fait un directeur artistique – a proposé de me voir dans mon vrai chez-moi (un petit appart) et de débarquer avec des courses pour me faire à manger. Comme il ne m’avait pas vraiment remarquée à notre première rencontre, j’ai décidé de mettre le paquet. Quand je lui ai ouvert la porte, je portais «l’uniforme» d’une housewife sexy, mais pas du tout désespérée: une jupe courte, un chemisier très décolleté, un petit tablier, des talons hauts – et j’avais un cocktail à la main.

Ça a tout de suite cliqué entre nous. Nous avions beaucoup de choses en commun. Jean-Marc avait grandi en région, plus précisément aux Îles-de-la-Madeleine. Je savais que mon père, dont j’étais très proche et qui était décédé quelques années plus tôt, avait été très ami avec un certain Rosaire Lebrun qui vivait là-bas. Quand j’ai demandé à Jean-Marc s’il le connaissait, il m’a répondu: «C’est mon oncle.» En discutant, nous nous sommes rendu compte que nos familles se connaissaient très bien. C’était improbable. Invraisemblable. Nous nous sommes raconté des souvenirs d’enfance, et j’ai eu l’impression de retrouver un morceau de mon pays, un bout de mon chez-moi.

Neuf mois plus tard – neuf mois de pur bonheur -, Jean-Marc a organisé une grande fête sur une terrasse avec tous mes amis pour fêter mes 30 ans. À un moment donné, il a demandé l’attention de tout le monde et m’a fait la grande demande.

Nous nous sommes mariés un an plus tard et nous avons eu une fille. Le moment était venu pour nous de faire notre nid. Nous nous sommes installés dans un condo que j’avais acheté dans Rosemont-La Petite-Patrie. Mais, comme beaucoup de gens qui ont grandi en région, nous rêvions d’avoir une maison. On a alors eu l’idée de chercher un duplex en mauvais état et pas cher, qu’on pourrait transformer. Parallèlement, on a mis notre condo en vente, par Du Proprio. Quand il a trouvé preneur, deux mois plus tard, nous n’avions toujours pas déniché un duplex à notre goût… et nous avons tiré un trait sur notre rêve. Or, un soir, tandis que j’accrochais le signe «vendu» sur notre pancarte, une dame qui passait par là m’a demandé si c’était une bonne idée de gérer sa vente soi-même. Elle venait de se séparer et voulait vendre son duplex rapidement. Quand je lui ai demandé où il était, elle m’a répondu: «Au coin de la rue.» C’était une coïncidence incroyable. Le lendemain soir, nous le lui avons acheté à l’amiable.

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Bizarrement, ce n’est qu’à cette étape de notre projet que j’ai réalisé que nous allions nous attaquer à de gros travaux – et que je me suis surprise à hésiter. Depuis le début de ma relation avec Jean-Marc, toute une suite de hasards semblait nous avoir ouvert la voie, comme si nous étions destinés l’un à l’autre. Mais soudainement, je me suis demandé si tout était aussi parfait que je le croyais. Comme le disent la plupart des parents, la première année avec un enfant est difficile. Il y a les nuits trop courtes et les longues journées de travail. Il y a les inévitables frictions. Et la baisse de désir aussi. Un jour, Jean-Marc m’a dit qu’il me voyait de moins en moins comme sa femme, et de plus en plus comme une mère… Je me suis demandé si nous allions avoir des engueulades interminables à propos d’un robinet. Je me suis demandé si notre couple était solide ou s’il allait s’écrouler comme les murs qu’on s’apprêtait à abattre. À cette pensée, j’ai eu peur. Je me suis sentie paralysée. Je n’ai rien dit. Je n’ai rien fait.

Je ne m’étais pas trompée de beaucoup quand j’avais pris Jean-Marc pour un architecte. En fait, il avait toujours rêvé d’en être un. Il a commencé par examiner et remanier avec passion les plans qu’il avait fait faire. Puis, il a trouvé les entrepreneurs, les a supervisés, tout en veillant à respecter notre budget. De mon côté, je ne me mêlais de rien. Au début, j’ai cru que Jean-Marc allait me le reprocher. Mais en fait, c’était tout le contraire. Pendant quatre mois, je l’ai vu emballé, je l’ai vu triper. Je l’ai vu renaître sous mes yeux. Et je suis retombée amoureuse de lui comme au début.

Je ne suis rentrée dans notre chez-nous qu’une fois que tout a été terminé. Je suis restée bouche bée – surtout quand j’ai vu la salle de bains, toute noire, avec des robinets dorés. Je l’avais montrée à Jean-Marc dans un magazine au tout début de notre relation, en lui disant que j’en rêvais. Cette maison, c’était le plus beau cadeau que je pouvais recevoir. C’était il y a un an et, depuis, nous y coulons des jours heureux.

Voilà mon histoire. Vous vous demandez où est le drame? Le squelette dans le placard? Il n’y en a pas. Mais je crois qu’il y a une leçon à tirer des événements heureux qu’on a la chance de vivre. Plein de couples s’arrachent les cheveux pendant des rénovations parce qu’ils veulent décider de tout à deux – mais en faisant les choses à sa façon, Jean-Marc a pu assouvir une passion enfouie en lui. Bien des gens seuls s’acharnent à chercher l’âme soeur sur le web. Mais mon futur mari est venu sonner à ma porte – et la propriétaire de ma future maison est venue à ma rencontre. Parfois, la vie est mystérieusement poétique. Je ne sais pas pourquoi Cupidon se plaît à faire mille et une variations sur le thème de l’immobilier dans mon couple, mais je compte bien le laisser faire. Car peu importe ce qui arrivera, je sais qu’il donnera toujours un toit à nos deux coeurs.

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