Si, lorsque j’avais 20 ans, quelqu’un m’avait annoncé que je deviendrais un jour médecin, j’aurais hurlé de rire. C’est pourtant cette profession que je me destine aujourd’hui. Et avec le recul, je constate que chaque route que j’ai empruntée et chaque métier que j’ai exercé m’ont guidée dans cette voie.

Oui, j’étais bonne en sciences à l’école. J’avais même d’excellentes notes. Mais les matières scientifiques m’ennuyaient à mourir. Ma passion, c’était les êtres humains, leur façon de penser et d’interagir. Je préférais la psychologie à la chimie et la sociologie à la physique, au grand désespoir de profs qui me voyaient en sarrau, avec un stéthoscope autour du cou. Moi, j’aimais le monde, et de mon point de vue, les médecins ne s’intéressaient pas au monde. Les médecins soignaient les maladies, pas les gens. Et moi, ce sont les gens qui me passionnaient. Cette passion était tellement puissante que j’ai d’abord voulu entrer dans leur peau afin de mieux les comprendre. C’est pourquoi j’ai fait un DEC en théâtre. Mais lorsque j’ai vécu le cirque des auditions et la compétition entre les acteurs, j’ai vu que je n’avais pas la carapace qu’il faut pour gagner ma vie comme comédienne. Je me suis alors tournée vers un autre domaine qui me permettait de me rapprocher des gens: les communications.

Après le bac, j’ai été chroniqueuse, puis animatrice à la radio au Québec, et même dans l’ouest du pays. Mais je trouvais si difficile de vivre loin de ma famille que, pour mon équilibre, j’ai dû revenir à Montréal. J’ai alors travaillé comme recherchiste et coordonnatrice à la télé, mais le contact direct avec le public me manquait. Je me sentais coupée de mes aspirations. Or, j’approchais la fin de la trentaine. Je vivais en couple avec un homme formidable mais, pour certaines raisons, je savais que nous n’aurions pas d’enfants. Des questions me tourmentaient. Je me demandais à quoi je pouvais bien servir dans le monde et comment mettre à profit mon empathie naturelle.

«La profession me correspondait, d’autant plus qu’auparavant, j’avais rencontré mon médecin de famille, une femme d’exception qui m’avait montré ce que signifie être un « bon docteur ».»

Une de mes copines d’alors, conseillère en orientation professionnelle, m’a proposé d’examiner mon CV et mes résultats scolaires. J’ai failli m’étouffer lorsqu’elle m’a dit: «Pourquoi n’irais-tu pas en médecine?» Mais, une fois cette petite graine plantée dans mon esprit, elle a germé. La profession me correspondait, d’autant plus qu’auparavant, j’avais rencontré mon médecin de famille, une femme d’exception qui m’avait montré ce que signifie être un «bon docteur». Et puis, je ne doutais pas de ma capacité à me replonger dans des études aussi difficiles. Après tout, j’avais grandi avec des parents qui croyaient qu’on peut tout accomplir à n’importe quel âge. Ma mère n’avait-elle pas fait un bac en théâtre à 40 ans?!

Mon amoureux, sans qui je n’en serais pas là et qui m’encourage tous les jours à persévérer, a accepté d’assumer seul nos dépenses afin que je retourne
aux études à temps plein. Comme nous n’avions jamais eu de grosse maison ni de BMW, nous retrouver avec un unique salaire n’a pas été un si gros choc. Ainsi, après avoir suivi les cours de sciences qui me manquaient, je suis finalement entrée à la faculté de médecine.

Oh, ça n’a pas toujours été un long fleuve tranquille! Me retrouver en classe toute la journée et étudier tous les soirs et week-ends se sont souvent avérés pénibles. Bye-bye, vie de couple et sorties entre copines! Et puis, c’est vrai que la mémoire diminue en vieillissant. Il a donc fallu que je développe des trucs pour m’aider à retenir la matière. Et je ne parle pas de l’endurance que ça exige. Heureusement, j’ai tellement étudié dans ma vie que je n’ai qu’à bien observer les profs pour savoir ce qui sera important et ce qui le sera moins aux examens. Il n’en demeure pas moins qu’elle est bien finie, l’époque où je passais des nuits blanches à bosser. La dernière fois que je me suis couchée aux petites heures, ça m’a pris trois jours à m’en remettre!

«Je ne me sens pas supérieure parce que je suis en médecine, au contraire. J’ai les pieds bien sur terre et je pense que ça me permettra de me rapprocher de mes patients.»

Heureusement, il y a des avantages à potasser en médecine à mon âge. Par exemple, je suis moins impressionnable qu’une fille de 20 ans. Je n’hésite pas à remettre en question des idées reçues comme celle, par exemple, qui suggère que les étudiants en médecine sont «la crème de la crème» de l’université. Pardon? La crème de la crème existe aussi dans plein d’autres départements et dans d’autres métiers et professions. J’ai interviewé assez de gens dans ma vie pour le savoir. Je ne me sens pas supérieure parce que je suis en médecine, au contraire. J’ai les pieds bien sur terre et je pense que ça me permettra de me rapprocher de mes patients.

Évidemment, mon âge fait jaser. Alors que des profs et des collègues me disent que j’ai du courage de recommencer ma vie à zéro, surtout dans une discipline aussi ardue, d’autres croient que les «matantes» comme moi ne devraient pas prendre la place des jeunes, qui ont des années de pratique devant eux. Mais ce que je perds en années de travail, j’espère pouvoir le gagner en rendement. Lorsque j’aurai terminé mes études, vers 50 ans, je pense que je serai plus efficace qu’une personne de 30 ans à cause de ma maturité et de mon vécu.

Comme bien des gens de mon âge, j’ai accompagné plusieurs proches à l’hôpital au cours de ma vie. Des gens atteints de cancer ou de dépression. Je les ai aidés à enfiler leur jaquette et à s’allonger sur une civière au milieu de l’urgence. Je leur ai tenu la main pendant les moments difficiles. Ma mère souffre de la maladie d’Alzheimer aujourd’hui. L’épreuve que nous traversons, elle et moi, et nos nombreuses expériences avec le système de santé m’aideront certainement à mieux soigner les gens. Mon empathie est ma force, je l’ai toujours su. D’ailleurs, certains patients que je côtoie durant ma formation pensent que je suis déjà médecin…

C’est drôle, non?

Cet automne, je commence mon externat dans un centre hospitalier universitaire. Mon plus grand souhait, c’est de me diriger en psychiatrie. Pour comprendre les gens, encore une fois, et ainsi mieux entrer dans leur tête. Comme quoi on ne change pas… Il semblerait que les psychiatres sont les plus flyés de la profession. Ça tombe bien, car j’ai déjà étudié en théâtre!

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