Il y a des matins où on peut se maquiller, puis se démaquiller, attacher ses cheveux, puis les détacher, essayer un kit, puis deux autres en catastrophe devant le miroir, pour finalement rendre les armes: rien ne nous ressemble, et on ne ressemble à rien. On se sent moche, et c’est comme ça. Heureusement, il y a d’autres matins où c’est l’inverse.

Ce jour-là, quand je me suis regardée dans le miroir de la salle de bain à mon réveil, j’étais plutôt contente de ma personne. À 45 ans, j’avais un beau teint et une jolie silhouette. Et surtout, j’admirais ma fidèle complice: ma longue chevelure brillante et ondulante, qui m’arrivait jusqu’au milieu du dos. Pour être honnête, je me trouvais sexy.

Quelques minutes plus tard, j’étais assise à la table de la cuisine, en train de prendre mon petit-déjeuner tout en lisant le journal. J’avais pris congé, et la simple idée de relaxer et de flâner toute la journée me mettait de bonne humeur. C’est alors que mon mari, Marc, est entré. Comme d’habitude, il m’a embrassée, s’est préparé un café et s’est assis à mes côtés. Mais, alors qu’il est plutôt bavard de nature, cette fois, il ne disait rien. Quand j’ai levé les yeux de mon journal, j’ai découvert un visage las au regard vide. Et ce regard vide semblait être dirigé vers le bas de ma chevelure, qui touchait le siège de ma chaise. J’ai dit à Marc: «Qu’est-ce qu’il y a?» C’est alors que mon adorable mari-qui-m’aime-et-me-chérit-et-m’admire-depuis-15-ans m’a répondu: «Eh ben, rien, mais… Ils sont vraiment longs, tes cheveux… Tu n’aurais pas envie de changer de look, pour une fois?» Je suis restée bouche bée, mon journal dans une main, ma toast dans l’autre.

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Pour une autre que moi, cette phrase aurait été anodine, juste une remarque déplacée. Mais me demander à moi d’aller chez le coiffeur – car c’est bien ce qu’il me demandait -, c’était pire que de me proposer de marcher toute nue dans la rue. J’ai rappelé à Marc que mes cheveux longs, c’était non négociable, et que, comme il le savait, il y avait une raison à cela. «Ben justement, tu ne crois pas qu’il serait temps que tu en finisses avec ça?», m’a-t-il répondu.

« Quand j’ai relevé la tête, j’ai découvert un visage d’enfant asexué, avec un crâne rasé et deux yeux boursouflés par les larmes. »

Après son départ pour le bureau, je me suis affalée sur le canapé du salon, perdue dans mes pensées, et je me suis remémoré le fameux «ça» auquel il faisait allusion. Ça remontait à l’année de mes cinq ans. À mon retour de l’école maternelle – à cette époque, je portais les cheveux attachés en deux longues tresses -, j’ai franchi le pas de la porte quand ma mère m’a attrapée énergiquement par le poignet et m’a lancé: «On file chez le coiffeur!» En chemin, elle m’a expliqué que ma maîtresse l’avait appelée pour la prévenir que j’avais des poux plein la tête. Or, ma mère, qui aurait pu tout simplement me faire un shampoing antipoux, a toujours eu un penchant pour les solutions radicales. C’est pourquoi, quelques instants plus tard, j’étais assise sur la chaise d’un coiffeur pour hommes de l’autre côté de la rue. Il m’a demandé de baisser la tête. Je me souviens du bourdonnement de la tondeuse tandis que je voyais des mèches tomber sur le sol. Quand j’ai relevé la tête, j’ai découvert un visage d’enfant asexué, avec un crâne rasé et deux yeux boursouflés par les larmes.

J’ai pleuré pendant quatre jours et, pendant presque deux mois, le temps que mes cheveux repoussent, j’ai demandé à ma mère de me mettre un foulard ou un bonnet. Et, du haut de mes cinq ans, je me suis juré que je ne laisserai plus jamais quelqu’un toucher à mes cheveux. J’ai mis au point une technique: quand il fallait trimer mes pointes, je traçais une raie au milieu sur l’ensemble du crâne (comme quand je me faisais des tresses), je ramenais les deux pans sur ma poitrine, puis je coupais un centimètre ou deux avec de petits ciseaux de couture. Au cours des 40 années qui ont suivi, j’ai respecté la promesse que je m’étais faite.

« Il était temps que je me coupe les cheveux – et que je coupe le cordon avec ma mère et cet épisode de mon enfance! »

Soit. Mais tout ça n’expliquait pas pourquoi, aujourd’hui, Marc était las de ma longue chevelure. Au fil de mes pensées, je me suis souvenue que, la semaine dernière, mon amie Daphné s’était fait faire une coupe courte et que Marc m’avait fait remarquer à quel point ça lui allait bien.
 C’est peut-être ça qui lui avait 
donné cette idée… Et je me suis 
aussi rappelé les conseils beauté 
d’une actrice américaine que
 j’avais lus dans un magazine.
 Cette star disait que, quand une 
femme passe le cap des 40 ans, elle ne peut plus se permettre certaines choses, comme des cheveux blancs et trop longs… Soudainement, je me suis vue de l’extérieur et je me suis pour ainsi dire réveillée. J’ai compris que, si ma chevelure avait été le symbole de ma force de caractère et qu’elle m’avait permis de définir mon identité, elle risquait maintenant de me donner des allures de vieille hippie. Il était temps que je me coupe les cheveux – et que je coupe le cordon avec ma mère et cet épisode de mon enfance!

Dans l’après-midi, j’ai appelé Daphné. Je lui ai expliqué ce qui s’était passé et je lui ai demandé si elle pouvait me donner l’adresse de son coiffeur, Frank. Après me l’avoir donnée, elle m’a dit: «Tu n’hésites pas. Tu ne réfléchis pas. Tu n’attends pas. Tu y vas aujourd’hui.» J’ai raccroché et j’ai pris rendez-vous.

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Je peux vous dire que je n’en menais pas large quand j’ai poussé la porte du salon branché du boulevard Saint-Laurent où travaillait le fameux Frank. Tandis que j’attendais mon tour, je repensais à toutes ces histoires de filles qui sont sorties d’un rendez-vous en pleurant parce qu’un coiffeur ne les avait pas écoutées et leur avait fait une coupe qui ne leur ressemblait pas. Et en observant les coiffeurs que j’avais devant moi, je n’avais pas de mal à croire ces récits. La plupart d’entre eux portaient des t-shirts noirs moulant leurs torses musclés et semblaient passer plus de temps à se contempler dans le miroir qu’à regarder leurs clientes, à qui ils racontaient leur vie d’un air un peu trop sûr d’eux, avec un soupçon d’arrogance. 

Quand Frank est arrivé, j’ai été agréablement surprise. Il n’avait l’air ni vaniteux, ni supérieur. En fait, il avait une très bonne écoute: quand il m’a demandé pourquoi je voulais faire raccourcir ma chevelure, je n’ai pas pu m’empêcher de tout lui raconter. Il a réfléchi en faisant tourner ma chaise pour me voir sous un angle, puis un autre, et il m’a dit: «Pour une première coupe, je te propose qu’on y aille doucement. Je pourrais te faire un carré à la hauteur des épaules? Comme ça, tu pourras continuer à te faire un chignon. Ce sera rassurant.»

J’ai acquiescé. Tandis que j’entendais le cliquetis des ciseaux qui passaient et repassaient dans mes cheveux mouillés, j’essayais de penser à autre chose. Puis, Frank m’a installée sous un séchoir. Quelques minutes plus tard, j’ai enfin pu voir le résultat final. Je n’en croyais pas mes yeux. D’abord, s’ils étaient toujours aussi soyeux et brillants, mes cheveux avaient plus de corps. Et surtout, mes pommettes, maintenant baignées de lumière, semblaient plus saillantes, plus… jeunes: mieux que du Botox!


Sur le chemin du retour, quand je surprenais mon reflet dans les vitrines, j’étais toujours aussi contente. Puis, j’ai franchi la porte de notre appartement, où Marc m’attendait. Quand il m’a vue, il est resté figé. «Tu étais déjà belle, mais, là, tu es… éblouissante.» J’ai ri: ce n’était pas du tout son genre de faire des déclarations comme ça!

Depuis, je retourne régulièrement voir Frank. Je ne peux plus me passer de ce rituel de chouchoutage au salon de coiffure dont parlent tous les magazines féminins et que je n’avais jamais compris. L’autre jour, mon amie Daphné m’a fait remarquer que, petit à petit, mon carré est de plus en plus court et de moins en moins carré. Elle a ajouté: «Je te gage qu’un jour tu auras une coupe à la Jean Seberg!» Elle a sans doute raison, encore une fois.

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