D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été terriblement romantique. Après tout, j’ai grandi en regardant mes héroïnes préférées attendre patiemment le prince charmant et en voyant mes parents s’aimer comme des fous. Ma mère, la chanceuse, l’avait trouvé, elle, son preux chevalier! Toute petite, j’imaginais mon grandiose mariage, que je mettais en scène avec mes poupées ou, lorsqu’ils voulaient bien se prêter au jeu, avec les voisins de mon quartier. Adolescente, je m’enflammais tous les jours. Je rougissais comme une pivoine en croisant les yeux du jeune caissier à l’épicerie, des amis plus vieux de ma sœur ou du beau footballeur toujours assis au fond du bus. Sans même avoir connu l’amour, je rêvais déjà d’une grande histoire.

À 15 ans, j’ai succombé au charme de Max, un gentil garçon de mon âge aux cheveux longs, drôle et juste un peu rebelle. Pour une fois, mon affection n’était pas unilatérale. Il m’aimait aussi. Et fort! Nous sommes restés ensemble cinq ans, et avons vécu côte à côte toutes nos premières fois: les premiers papillons dans le ventre qui empêchent de manger et de dormir, le premier «je t’aime» empli d’espoir et d’éternité, les premiers orgasmes, comme des feux d’artifice, la première dispute, tellement intense, et, plus tard, la première peine d’amour. Je me souviens encore de son discours cousu de clichés («C’est pas toi, c’est moi…»), de mes larmes sans fin, de ma mère qui tente tant bien que mal de me consoler, de mes amies qui essaient de me réconforter en me rappelant «qu’il y a d’autres poissons dans l’océan»…

Peu de temps après, sans même m’être remise à la pêche (!), j’ai rencontré Victor, un sportif au regard franc et doux, lors d’une soirée organisée par des amis de l’université. Il était exactement ce dont j’avais besoin: un baume sur mon cœur meurtri. J’avais 20 ans à peine et, malgré la fin abrupte de ma première relation amoureuse, j’étais toujours aussi fleur bleue. Alors que tout s’était fait avec hâte et passion avec Max, cette fois, je prenais mon temps. J’ai découvert, tranquillement, un jeune homme solide, sensible et bon. On s’est aimés durant six ans. Avec lui, j’ai appris ce qu’était la vraie vie à deux: les joies du premier appartement et de l’intimité partagée… comme les prises de bec liées à la routine et aux frustrations quotidiennes. À 26 ans, je réalisais que l’amour, même celui avec un grand A, pouvait s’effriter jusqu’à un point de non-retour. J’ai quitté Victor le cœur lourd. J’étais désabusée. Comment moi, la romantique, pouvais-je du jour au lendemain cesser d’aimer un homme comme lui, si généreux et prêt à me donner son amour sans compromis?

Le vague à l’âme, je suis partie en voyage quelques mois dans l’Ouest américain avec une amie, où j’ai cumulé les aventures sans lendemain. Peut-être n’étais-je tout simplement pas faite pour être en couple? Mais j’ai vite réalisé que cette vie libertine, qui me paraissait exaltante au premier abord, m’angoissait plus qu’elle ne me réjouissait. Je suis revenue au Québec, puis je me suis installée à Montréal. J’étais plus que convaincue: cette fois, j’allais trouver le grand amour, le vrai. Celui qui allait tout chambouler, me faire chavirer complètement. Mais, comme le dit si bien l’adage, il faut parfois se méfier de ce qu’on souhaite…

À peine installée dans ma nouvelle vie cosmopolite, j’ai croisé la route de Jay, un musicien tatoué, barbu et ténébreux. Après seulement quelques heures passées en ma compagnie, il se disait déjà profondément amoureux de moi. Je n’étais pas comme les autres, disait-il, j’étais «unique», «spéciale», «son âme sœur»… Vulnérable, je me suis laissé prendre au jeu de cet amour fou. Les mois qui ont suivi ont été de véritables montagnes russes faites de passion et de sexe torride, mais aussi de manipulation, de crises de jalousie et de disputes violentes. C’était donc ça, le vrai amour? Une succession incessante de sentiments grandioses et d’horribles moments? J’avais envie d’y croire – j’étais tellement obsédée par Jay! – mais mon intuition refusait de se taire. Après deux ans de tempête, mon instinct de survie a pris le dessus: je devais partir, et vite. Un soir, sans avertissement, j’ai tout quitté: lui, notre appartement, notre gros chat roux, nos amis… Mon cerveau, mon cœur et ma confiance en moi étaient en morceaux. J’étais détruite.

En me reconstruisant, j’ai vécu les moments les plus difficiles de ma vie, mais également les plus formateurs. Brisée, j’ai dû m’arrêter un instant pour reprendre mon souffle et réfléchir. À 29 ans, j’étais «la fille en couple» depuis près de 15 ans! Obnubilée par mes amoureux, mes amants, mes papillons dans le ventre et mes peines d’amour, je n’avais jamais réellement pris le temps de me découvrir en tant qu’adulte, en tant que personne à part entière. Mon amour de l’amour avait toujours pris toute la place, me laissant peu d’espace pour devenir autre chose… qu’une amoureuse! Pourtant, même dans la détresse, je savais que j’étais beaucoup plus que ça.

Je n’aime pas les demi-mesures, et j’ai décidé d’affronter la solitude de plein fouet. J’ai déménagé dans un petit appartement toute seule – pour la première fois! –, puis j’ai acheté le premier billet d’avion qui m’est passé sous le nez, direction le Mexique. Loin de tout, même de ma famille aimante et de mes amies loyales, j’ai, comme on dit, gratté le bobo. J’avais consacré les 15 dernières années à chercher le prince charmant à tout prix, à mettre l’amour romantique devant tout le reste: ma carrière, mes amis, ma famille et… moi-même. Mais qui étais-je donc sans une douce moitié? Comment allais-je arriver à me définir autrement qu’en étant «la blonde de…»? Durant mon séjour de quelques semaines, j’ai pleuré, beaucoup, et réfléchi tout autant. En quittant le Mexique, je n’avais pas toutes les réponses à mes questions, mais une chose était certaine: je devais avant tout prendre le temps de me découvrir.

Depuis, deux années se sont écoulées. Si vous vous attendiez à ce que la fin de mon histoire ressemble à «J’ai appris à m’aimer moi-même, puis j’ai enfin rencontré l’âme sœur», vous serez déçu! Je suis encore célibataire et, pour être franche, je vis les plus beaux moments de mon existence… sans cavalier à mon bras. Je connaissais déjà la Charlotte romantique, mais j’apprends tranquillement à connaître la Charlotte ambitieuse, confiante, sociable, passionnée de voyages, avide de défis et, à ma grande surprise, la Charlotte qui apprécie de plus en plus la solitude. Cette année, je passe la Saint-Valentin toute seule, pour la première fois sans regrets ni amertume. Est-ce que je rêve encore d’une histoire d’amour digne des contes de fées? Un peu, je l’avoue. Mais le temps où je cherchais frénétiquement le prince charmant est révolu! En l’attendant, de toute façon, j’ai tout un monde à découvrir: le mien, à moi et à personne d’autre.