J’ai passé ma jeunesse à déménager d’un continent à l’autre. Mon père est hôtelier, et ma mère, mes deux soeurs et moi le suivions dans ses déplacements à l’étranger. Et il y en a eu! Il faut dire que c’est un homme qui a l’âme d’un marin, les yeux constamment tournés vers le large. Les voyages ont toujours été un sujet de prédilection à table: un soir, il nous parlait du Caire et, le lendemain, il rêvait tout haut de Singapour, de la Martinique ou d’Oman.

Mais laissez-moi commencer par Lyon, en France, où je suis née il y a 31 ans. Trois mois après ma naissance, nous sommes allés vivre à Montréal. À peine un mois plus tard, nous nous sommes installés à Ottawa pendant deux ans. Puis nous sommes partis à Paris. Nous y sommes restés un an, avant de nous envoler successivement vers Tahiti, Vancouver et la Normandie, où nous avons passé quelques années. Après, nous avons de nouveau séjourné à Montréal avant de nous retrouver à Toronto pendant six ans.

Entre le rapatriement des meubles de famille et les amis qu’on laissait derrière, chaque déplacement nous réservait sa part d’aventures et de déchirements. Des trois filles, c’est moi qui, à tous les déménagements, réagissais le plus mal. Quelques semaines après être arrivée à destination, je répétais le même scénario. Je devenais très émotive et j’étais littéralement malade pendant des nuits. Le pire, c’était la première journée d’école, au cours de laquelle il fallait affronter les regards scrutateurs et toutes ces questions: «T’es qui? Tu viens d’où? Pourquoi t’as un accent?» J’avais l’impression d’être une bête de foire. Heureusement que Laetitia, ma soeur jumelle, était là! C’était elle qui racontait notre histoire et qui se chargeait des premiers contacts.

 

Curieusement, je suis celle qui a continué à bourlinguer le plus, une fois que ma famille a éclaté, en quelque sorte. Je venais d’avoir 17 ans. Mes parents avaient décidé de quitter Toronto pour aller en Thaïlande. Laetitia partait étudier à Paris, et ma soeur aînée, elle, restait là. De mon côté, j’ai entrepris des études à l’université de Guelph, près de Toronto, avant d’aller finir mon cursus en France.

J’ai vécu à Paris pendant quatre ans. Durant cette période, je quittais la ville chaque été pour aller à Arles, en Normandie, à Londres ou en Thaïlande. Et comme si ce n’était pas assez, je faisais des allers-retours hebdomadaires entre la capitale et Toulouse, où habitait mon copain de l’époque. Je n’y pouvais rien, ça me démangeait de partir! Pour moi, c’était devenu une obsession d’aller voir ailleurs, de découvrir des villes inconnues, de chercher un endroit nouveau et toujours plus excitant!

En réalité, je ne me plaisais pas vraiment à Paris. J’avais beau trouver cette métropole magnifique, son tourbillon constant et le bruit qui y régnait m’épuisaient à la longue. Si bien qu’à 22 ans j’ai frôlé la dépression. Je suis donc allée voir une psy. À la fin de notre première séance, elle m’a dit: «Angela, quand je vous regarde, je vois deux valises de chaque côté de votre corps. Vous n’arrivez pas à vous poser. J’aimerais que vous fassiez l’exercice de vider vos valises et de vraiment vous installer.» Elle avait raison. Le hic, c’est que je n’avais aucune envie de m’enraciner à Paris. Et puis, la thérapie me demandait une telle remise en question… Je n’en avais pas la force. Résultat? Je ne suis pas retournée voir la psy, préférant me convaincre que mon épuisement était passager et qu’il n’avait rien à voir avec mon existence nomade.

Après tout, c’est très romanesque d’élargir ses horizons et de parcourir le monde, non? Imaginez tout ce que j’aurai à raconter à la fin de ma vie sur mes découvertes, mes rencontres, mes périples… Et puis, voyager m’avait permis de surmonter ma peur des autres et de sortir de ma coquille. Je n’étais plus une grande timide. J’avais même acquis la faculté de mettre les gens très à l’aise. Tous ces déménagements m’avaient aussi aidée à avoir davantage confiance en moi, à me dépasser et à aimer les nouvelles expériences. Ce n’était pas rien.

Puis, un jour, j’ai perdu ma grand-mère. Ça m’a fait un choc. J’étais terriblement désemparée. Elle était comme une deuxième mère pour moi. C’est sans doute pourquoi j’ai ressenti le besoin, pour la première fois de ma vie, de me stabiliser et d’être dans une ville qui me ferait du bien. J’avais 26 ans et j’en avais assez de passer partout en coup de vent. Je me rendais compte que c’était exténuant d’être toujours en mouvement, de laisser des amis, des amants et des collègues derrière soi… Il était temps que je m’installe pour de bon.

C’est avec toutes ces considérations en tête que j’ai pensé à Montréal. J’y avais déjà vécu, j’y avais encore des amis et je sentais que je pouvais y goûter un peu de quiétude. On y parlait français, et l’esprit nord-américain me convenait tout à fait. Bref, c’était une ville à laquelle je pouvais aisément m’identifier. J’ai parlé de mon projet à ma soeur jumelle, qui en avait aussi ras-le-bol de la vie parisienne. Séduite par l’idée d’aller habiter là-bas – d’autant plus qu’elle se voyait très bien y fonder une famille -, elle a pris le train en marche et entraîné son mari dans l’aventure. Nous avons bouclé nos valises, arrangé un tas de petits détails, et c’était parti!

J’ai débarqué à Montréal sans boulot en vue, mais avec la ferme intention d’y rester. Dès mon arrivée, j’ai déniché un petit appartement que j’ai décoré à mon goût. J’ai repris contact avec mes amis. J’ai fait la découverte des rues, des quartiers, de la vie montréalaise…

Aujourd’hui, ça fait cinq ans que j’habite ici… sans bouger. Un record! Côté professionnel, j’ai trouvé un travail que j’adore et qui me permet de m’épanouir. Côté coeur, après un long désert sentimental, je suis tombée follement amoureuse de David il y a trois ans. Nous habitons ensemble dans un appartement très chouette. En 31 ans, c’est la première fois que je m’abandonne autant dans les bras d’un homme, sans avoir peur d’être emprisonnée.

Avec le recul, je me suis rendu compte qu’à force de déménager j’avais développé des mécanismes de défense pour ne pas trop souffrir au moment des départs. J’avais besoin de tenir les gens que j’aimais à distance et de ne pas trop m’attacher à eux pour réussir à me projeter dans une nouvelle existence. Du coup, j’avais certes des petits amis, mais je rompais facilement. J’ai mis beaucoup de temps à imaginer une vie à deux.

En m’ancrant au Québec, j’ai décidé de changer d’attitude. Je n’ai plus eu envie d’être une fille insensible qui brise le coeur de ses amis et de ses amoureux. J’ai travaillé fort pour m’ouvrir aux autres et mes efforts ont commencé à porter leurs fruits. Dans ma vie sentimentale, j’approfondis les liens qui nous unissent, David et moi. Je laisse à mon compagnon toute la place qui lui revient, et il m’apporte la paix que je cherchais. Il y a une grande complicité entre nous. Comme moi, il a vécu à l’étranger. Il sait ce que c’est. Comme moi, il a aussi envie de se poser et de faire des enfants, tout en restant ouvert sur le monde. Nous nous sommes vraiment rencontrés au bon moment!

En ce qui concerne mes amitiés, je découvre avec beaucoup de bonheur la beauté des rapports durables. Je vois mes relations grandir et s’approfondir avec le temps, et je trouve ça tellement plus enrichissant! C’est beaucoup moins superficiel et ça me ressemble plus. Vive la stabilité!

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez la partager avec nos lectrices? Un journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Kenza Bennis, ELLE QUÉBEC, 2001, rue University, bureau 900, Montréal (Québec) H3A 2A6. Courriel: [email protected].

 

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