L’accouchement

En mai 2006, mon chum Martin et moi avons décidé d’avoir un enfant. Un mois plus tard, j’étais enceinte. Nous étions fous de joie! L’accouchement était prévu pour le 14 mars 2007. En octobre, nous avons appris que je portais une petite fille. Dès lors, nous avons passé nos temps libres à chercher des prénoms et à décorer la future chambre de notre «pupuce». Je garde des souvenirs extraordinaires de cette grossesse.

Dans la nuit du 8 au 9 mars, j’ai eu mes premières contractions.
J’étais tout excitée. J’allais enfin avoir le bonheur de voir la frimousse de mon bébé. Comme mes contractions n’étaient pas régulières, j’hésitais à me rendre à l’hôpital. En fin d’après-midi, j’ai appelé la maternité, et l’infirmière m’a conseillé de faire mes valises et de me mettre en route. Martin courait partout dans la maison. Nous avons pris le temps de replacer quelques objets dans la chambre de notre petite et nous sommes partis, fébriles et heureux.

À l’hôpital, un infirmier a placé un moniteur sur ma bedaine, question d’entendre les battements de coeur de mon bébé. Contre toute attente, il n’y avait aucun son. D’abord calme, l’infirmier s’est mis à déplacer la ventouse du moniteur sur mon ventre, de gauche à droite, de bas en haut, mais il ne se passait toujours rien. Plus il cherchait, plus il était inquiet. Il a finalement quitté la pièce en courant pour aller chercher un médecin. Martin faisait les cent pas dans la chambre. J’étais tétanisée par la peur.

Très rapidement, j’ai été transférée dans une autre salle pour que soit pratiquée une échographie.
C’est là que tout a basculé. Je fixais du regard le petit écran qui me renvoyait l’image de mon enfant. Je cherchais des signes de vie – un mouvement, une ondulation, n’importe quoi… Tout était désespérément calme. Atterré, le médecin a fini par dire: «Votre bébé est décédé. Je suis désolé.» Il a ensuite baissé les yeux. J’entendais le tic-tac de l’horloge au mur. Il était 18 h 30. Pour moi, le temps s’est arrêté là.

L’arrivée de Marie

Calme et rassurant, l’obstétricien m’a alors expliqué que j’allais accoucher par voie naturelle, qu’il mettrait un gel sur le col de mon utérus, ce qui aiderait la dilatation. Docile, je faisais tout ce qu’on me demandait. Je me sentais comme un robot, je n’avais aucune émotion. Martin pleurait à côté de moi. J’essayais de le consoler, sans conviction.

Pendant que le gel agissait, j’ai reçu l’épidurale. Je ne sentais absolument plus rien. Il ne restait plus qu’à attendre patiemment que le travail se fasse. Durant la nuit, j’ai soudainement eu l’impression que j’avais un melon entre les jambes. Ce n’était pas douloureux, c’était juste étrange. Le médecin m’a confirmé que la petite était là et que, quand je me sentirais prête, je pourrais commencer à pousser. Dès la première poussée, je me suis mise à pleurer. Je réalisais ce que j’étais en train de vivre: j’accouchais, mais ce n’était pas pour donner la vie. Le personnel médical bougeait lentement autour de moi, personne ne parlait. Ce silence anormal me fendait le coeur. Chaque poussée m’éloignait un peu plus de mon enfant. Au bout de 15 minutes, c’était terminé. Il était 1 h 47.

Martin et moi avions pris la décision de ne pas voir notre bébé parce que ce geste était au-dessus de nos forces. Tout de suite après la naissance, le médecin s’est approché de nous et nous a dit que notre petite fille était magnifique. Il nous a conseillé de prendre le temps de la regarder. D’après son expérience, ce contact allait nous aider à vivre notre deuil. Nous avons accepté. L’infirmière a approché le berceau où reposait notre petite. Elle était tellement belle. Elle avait un tout petit nez et une bouche en coeur. Son visage était paisible. Nous l’avons baptisée Marie. L’infirmière a pris deux photos, qu’elle nous a remises en souvenir… Aujourd’hui, quand j’y repense, je regrette de ne pas avoir pris mon bébé dans mes bras, mais, à ce moment-là, je ne m’en sentais pas capable.

L’autopsie a révélé que Marie n’avait rien d’anormal. Elle aurait sans doute succombé à un décollement placentaire, quoique ça demeure une hypothèse, puisque des analyses ont montré que mon sang présentait aussi une anomalie. Les médecins m’ont rassurée en me disant que je n’y étais pour rien dans le décès de ma fille, que j’avais fait tout ce qu’il fallait faire. Bien sûr, ça soulage un peu, mais rien ne pourra jamais me consoler complètement. Quelles que soient les raisons de cette tragédie, le résultat, lui, est irrévocable: Marie ne sera jamais là. Et je n’aurai jamais eu le bonheur de la tenir contre moi.Faire son deuil

Mon séjour à l’hôpital a duré moins de 24 heures. Tout ce que je voulais, c’était rentrer à la maison, me coucher et dormir. Dormir longtemps. Quelle tristesse que de rentrer chez nous les mains vides! Pas de petite puce dans le siège d’auto. Pas de petit trésor à cajoler. Pas de gazouillis. Pas de pleurs. Martin et moi avons mis deux jours avant de nous décider à pénétrer dans la chambre de Marie. Le rose des murs nous semblait si triste. Nous avons longuement regardé les deux photographies que l’infirmière avait prises, puis nous les avons déposées dans la couchette. Nous avons beaucoup pleuré. Des larmes douloureuses, mais nécessaires.

C’est bien connu, avoir un enfant, c’est difficile pour un couple. Avoir un bébé qui meurt, c’est pire. Au début, Martin ne parlait pas beaucoup de ce qu’il vivait. J’interprétais son silence comme une sorte de fuite. Je me demandais s’il ne cherchait pas déjà à passer à autre chose… J’en ai discuté avec lui. J’ai compris qu’il n’en était rien. Il souffrait autant que moi, mais il ne ressentait pas toujours le besoin de l’extérioriser.

En fait, nous avions tout simplement chacun notre façon de vivre notre deuil. Moi, j’avais besoin de parler de Marie, de la pleurer, de partager cette expérience déchirante. D’ailleurs, je me suis vite rendu compte que le deuil périnatal était un grand tabou. Encore aujourd’hui, chaque fois que j’ose parler de Marie, je sens l’inconfort des gens. Ils ne savent pas quoi dire, ce qui est tout à fait normal puisqu’il n’y a rien à dire. Il suffit d’écouter. Mais à mes yeux, même si Marie est morte, elle fait partie de notre vie. C’est important pour Martin et moi de pouvoir en parler. Elle sera toujours notre premier enfant.

Outre l’appui de mon amoureux, j’ai trouvé un grand réconfort auprès d’un groupe de soutien virtuel appelé Nos petits anges au paradis. Ce forum permet aux parents qui vivent un deuil périnatal de discuter à coeur ouvert de la mort de leur enfant. Ça me fait aussi beaucoup de bien de participer à la fête des Anges, célébrée chaque année, et partout dans le monde, vers la mi-octobre. Pour cette occasion, nous sommes des milliers de parents endeuillés à nous recueillir en même temps.Retour à la vie

Trois mois après le décès de Marie, je suis tombée, volontairement, enceinte à nouveau. Évidemment, j’étais contente, mais la crainte de vivre un second deuil m’habitait. Mon médecin m’a suivie de très près. Tout au long de ma grossesse, je me suis rendue à l’hôpital à plusieurs reprises pour entendre le coeur du foetus.

Félix est né à 37 semaines de grossesse, le 12 mars 2008. Cette fois, mon accouchement n’avait rien de silencieux! Le coeur de mon fils battait fort. Le médecin, les infirmières et Martin m’encourageaient à pousser. Il y avait beaucoup de fébrilité dans l’air, et c’était merveilleux. Quelques secondes après sa naissance, Félix poussait ses premiers cris. Mon petit bébé espoir était là, bien vivant, blotti contre mon sein.

L’arrivée de cet enfant nous a réconciliés avec la vie.
Mon deuil n’est pas encore terminé mais j’apprends, un peu mieux chaque jour, à composer avec ce vide. Tout ce que je vis avec Félix me fait cependant prendre conscience de ce que je ne connaîtrai jamais avec Marie: les premiers mots, les premiers pas, les joies du bain, les heures à flâner au parc… Je trouve ça très difficile. Mais mon petit Félix est là et j’en suis infiniment heureuse. Je ne veux pas qu’il ait l’impression de vivre avec le fantôme de sa soeur. Je ne veux pas non plus qu’il sente qu’il a remplacé quelqu’un. Il est unique à mes yeux et je l’aime plus que tout au monde.

PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE BÉLANGER-MARTIN