Je n’ai pas peur de la mort, car je l’ai toujours côtoyée. Lorsque les médecins ont découvert que j’étais atteinte de la fibrose kystique, ils ont également annoncé à mes parents que je ne vivrais pas au-delà de ma 16e année. J’avais quatre ans.

À l’époque, cette maladie génétique incurable qui s’attaque aux poumons et au système digestif était encore très peu connue. J’avais passé mes premières années dans des hôpitaux et des bureaux de médecins qui n’arrivaient pas à trouver de quoi je souffrais. Ils me renvoyaient à la maison en disant à mes parents que j’avais sans doute un gros rhume, une bronchite, une pneumonie… Le bon diagnostic est venu beaucoup plus tard: lorsque j’ai été en mesure de parler et de dire que j’avais l’impression d’étouffer, que j’avais du mal à respirer. C’est là que les médecins m’ont enfin fait passer le test qui a révélé l’anomalie génétique.

Je n’ai évidemment pas de souvenirs précis de cette époque. Lorsque j’y repense, ce ne sont pas des images qui me viennent à l’esprit, mais un goût qui me revient à la bouche: celui des médicaments écrasés dans de la compote de pommes. Voilà ce qu’a goûté mon enfance.

Ma plus grande peur, petite, n’était pas celle de mourir – ça ne l’a d’ailleurs jamais été -, mais que mes camarades de classe apprennent que j’étais malade. J’en avais honte. Je ne voulais pas être traitée différemment des autres. Je craignais d’être victime de railleries ou, pire, que mes amis pensent que ma maladie était contagieuse et qu’ils m’isolent. J’ai donc choisi de garder ma fibrose kystique secrète. Lorsque je passais deux semaines à l’hôpital, je m’inventais des vacances; la quarantaine de pilules que je devais ingurgiter quotidiennement devenaient des vitamines; et quand une amie dormait à la maison, le masque que je devais porter sur le nez, le soir, servait à soigner «mon asthme».

 

La comédie a duré jusqu’à mes 15 ans, jusqu’à ce que ma mère m’avoue que tous mes amis, camarades et professeurs étaient au courant depuis toujours. C’est seulement pour respecter mon souhait qu’ils ne m’avaient rien dit. Ce moment a été un premier pas vers la véritable acceptation de ma maladie. Mes amis m’aimaient malgré tout. Personne n’avait jamais été méchant avec moi, alors que tout le monde savait. Ç’a été un soulagement énorme, un poids terrible enfin envolé, une preuve d’amour irréfutable.

Ce soutien inconditionnel m’a évidemment aidée quand j’ai rencontré mon amoureux, à 17 ans. Je l’ai mis au courant de ma maladie avant même que nous sortions ensemble. Lui aussi, il m’a acceptée telle que j’étais; il m’a aimée et il m’aime encore malgré tout.

Je n’ai pas peur de la mort. J’ai peur de souffrir.

J’étais pleine de rêves et d’espoirs lorsque j’ai quitté la maison, autour de mes 23 ans. Malheureusement, c’est à ce moment-là que ma santé a très vite commencé à décliner. Avant ça, la maladie était quelque chose d’abstrait. Grâce aux traitements et aux médicaments, je ressentais peu ou pas du tout ses effets. Livrée à moi-même à un âge où on se croit immortel, je suis devenue plus insouciante, et mes soins sont devenus plus erratiques: je passais plusieurs jours sans prendre mes médicaments, j’oubliais de suivre les traitements pour évacuer le mucus de mes poumons… J’ai donc perdu énormément de capacité pulmonaire en très peu de temps. À partir de ce moment-là, je n’ai plus pu nier ma condition.

 

Depuis, j’ai évidemment appris à prendre mieux soin de moi, et pour l’instant, j’ai la chance que ma maladie ne paraisse pas. Mes maladies, devrais-je dire, car on a récemment trouvé que je souffrais aussi de la polyarthrite rhumatoïde, qui détruira peu à peu mes articulations. «Vous n’avez vraiment pas de chance», m’a dit le docteur qui me l’a annoncé. C’est une façon de voir les choses. Certains de mes amis sont morts à 19 ou à 21 ans. Je connais des gens qui attendent des greffes, d’autres qui doivent se promener avec un respirateur artificiel. Moi, j’ai 26 ans, mes organes sont encore relativement en bon état, et lorsque je croise des gens dans la rue, ma maladie n’est inscrite ni sur mon front ni sur mon corps. Alors oui, je trouve que je suis chanceuse.

Je n’ai pas peur de la mort. J’ai peur d’être un poids pour les gens que j’aime.

Hormis le fait qu’ils étaient anormalement attentifs aux virus que j’aurais pu attraper, mon père et ma mère ne m’ont jamais traitée différemment de mon frère. Ils m’ont élevée en me répétant que je ne faisais pas pitié. C’est grâce à la constance et à l’assiduité avec laquelle ils m’ont donné chaque jour les traitements nécessaires que l’espérance de vie prédite initialement par les médecins a doublé. Aujourd’hui, si je continue à faire attention, je pourrai peut-être vivre jusqu’à 40 ans.

Ma force de caractère, mon optimisme, c’est à eux que je les dois. Pour eux, ça n’a évidemment pas été toujours facile. Pour s’occuper de moi, ils ont dû renoncer à leurs rêves. Mon père s’est écarté d’une prometteuse carrière dans le monde de la télévision pour occuper un emploi plus stable, avec de bonnes assurances et un horaire qui lui permettait d’être disponible pour m’amener à l’hôpital. Ma mère et lui ont divorcé très tard, mais je suis certaine qu’ils l’auraient fait plus tôt si je n’avais pas été malade. Mon petit frère a certainement été marqué, lui aussi. Comment s’est-il senti durant notre enfance? M’en veut-il pour quelque chose? Voit-il ma mort précoce comme une menace d’abandon?

Et puis, il y a mon amoureux, qui partage ma vie depuis neuf ans. Je suis certaine que ma fibrose kystique ne lui facilite pas la vie non plus. Bien sûr, il ne me le dit pas. Il ne m’admettra jamais non plus qu’il aurait peut-être aimé avoir des enfants avec moi.

 

Une partie de moi aimerait que mes proches m’avouent la douleur que leur cause ma maladie. Mais paradoxalement, une telle déclaration m’anéantirait.

Je n’ai pas peur de la mort. J’ai peur de ne pas atteindre mes objectifs.

C’est en partie pour cela que j’ai décidé de faire de la télévision une vocation, comme mon père: aujourd’hui, je mène une carrière bien remplie dans ce milieu. Même si mon état de santé ne me permet de travailler qu’à mi-temps, je veux m’accomplir professionnellement. Si je meurs demain de la maladie ou happée par une voiture, je veux que ceux qui m’aiment aient la conviction que je suis morte heureuse, en faisant ce que j’aime. On m’a souvent conseillé de devenir enseignante, pour tous les avantages que ce métier comporte: la couverture médicale, les vacances, le salaire fixe… Mais lorsqu’on sait que nos jours sont comptés, la sécurité financière ne vaut même pas une seule journée passée à s’ennuyer. C’est également vrai en ce qui concerne les relations ou même l’endroit où on vit. C’est trop facile d’être victime de sa propre vie, alors qu’il suffit d’en changer si elle ne nous convient pas!

Je n’ai pas peur de la mort. Je refuse d’en avoir peur. Parfois, j’aimerais prendre une douche pour laver la maladie. La regarder couler dans le drain et en être débarrassée.

Parfois, j’aimerais avoir la possibilité de réaliser mon rêve: voyager, voir le monde entier pendant que j’en suis encore capable. Mais s’il est important de croire en ses rêves, il l’est tout autant de connaître ses limites. Surtout que la maladie continuera de m’en imposer de plus en plus. Demain, ou dans 10 ans, je devrai arrêter complètement de travailler. Demain, ou dans 10 ans, je devrai être branchée en permanence à un respirateur artificiel, dire adieu à la vie que j’aurais aimé mener. Demain, ou dans 10 ans, je devrai attendre une greffe de poumons, qui peut-être ne viendra jamais. Un jour, très certainement, je devrai dire adieu à ceux que j’aime.
Mais je n’ai pas le temps de m’embarrasser de soucis, de tristesse, de déprime… Je veux profiter de ce que la vie, aussi courte soit-elle, a à m’offrir: beaucoup de belles choses.

 

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