La première fois que j’ai rencontré Ariane, je l’ai trouvée sympathique. C’était chez elle, à Montréal. J’en étais au début de mon histoire avec Paul: nous nous étions rencontrés quelques mois plus tôt à New York et, même si nous étions engagés chacun de notre côté – Paul était fiancé avec une fille prénommée Laure -, nous avions su tout de suite ce que nous éprouvions l’un pour l’autre. Notre coup de foudre ne s’est pas démenti et, 15 jours plus tard, après avoir mis un terme à nos relations respectives, nous formions un couple.

Bref, ce soir‐là, quand je suis arrivée chez Ariane, je me sentais tranquille. Je ne connaissais de cette petite sœur que ce que m’en avait dit mon amoureux: qu’elle avait cinq ans de moins que lui et qu’ils ne s’étaient jamais bien entendus. Paul est d’une nature réservée, mais je savais qu’il avait annoncé à sa famille qu’il avait rompu ses fiançailles avec Laure. J’étais relax et assez déterminée, je crois, à faire amie-amie avec Ariane, peut‐être parce que j’ai moi‐même un grand frère avec qui je m’entends bien et que je trouvais dommage que Paul et elle ne soient pas complices. L’idée de parvenir à les réconcilier ne me déplaisait pas.

Or, quand j’ai pénétré dans son appartement, une surprise m’attendait: j’ai découvert qu’un mur entier du salon était consacré à des photos de Paul et de son ex‐fiancée dans les bras l’un de l’autre. Je savais que cette «autre» avait existé, mais cette omniprésence m’a mise mal à l’aise. «C’est une tranche de ma vie, après tout», m’a glissé Ariane en voyant mon étonnement devant ce mausolée photographique. Quelque chose clochait mais, sur le moment, j’ai mis ce manque de tact et cette adoration pour son grand frère sur le compte de la jeunesse d’Ariane. Pendant toute la soirée, elle s’est montrée adorable envers moi. Paul, lui, était très distant. Je me suis demandé pourquoi, mais j’ai gardé la question pour moi.

À partir de ce premier soir, pendant un an, Ariane et moi nous sommes vues régulièrement pour prendre un café ou aller courir les magasins. C’était une relation sans nuage. Néanmoins, quand Paul était avec sa sœur, je voyais qu’il ne baissait jamais la garde. Je trouvais cette tension incompréhensible, mais j’espérais que ça s’arrangerait.

Puis, un jour, Ariane m’a fait cette confidence qui sonnait faux: «Tu sais, tu me dois beaucoup: c’est moi qui ai convaincu Paul de te choisir, toi, plutôt que Laure. Je lui ai dit qu’il n’avait pas à hésiter. Qu’entre une fille aussi drôle et sympathique que toi et une fille beige et ennuyante comme Laure, le choix n’était pas difficile à faire…» Un frisson m’a parcourue: je savais qu’elle mentait. Ariane n’était pas à New York lorsque j’avais rencontré Paul, et elle n’avait entendu parler de moi qu’après la rupture des fiançailles. J’ai senti un danger, une folie. Ça peut paraître naïf, mais j’ai préféré ne pas y prêter attention. Je me suis dit: «À quoi bon lui mettre son mensonge sous le nez?» Elle le nierait, elle se mettrait à pleurer. Pourtant, à partir de là, je me suis méfiée.

Pendant un mois j’ai caché cet épisode à Paul. Finalement, je me sentais
 si mal que je lui ai raconté ce qui s’était 
passé. Il m’a répondu: «Maintenant, tu
 sais à quoi t’en tenir: Ariane dit n’importe quoi. Elle a toujours été jalouse 
de moi, de mes études, de ma carrière,
 des filles avec qui je sortais. Alors, la 
prochaine fois qu’elle crachera son venin dis-le-moi vite. Comme ça, je pourrai te rassurer et tu souffriras moins.» Malgré tout, Paul n’a pas appelé Ariane pour lui dire sa façon de penser. Ça, c’est venu plus tard, quand les choses ont empiré…

Il y a eu plusieurs étapes à cette histoire, comme dans un film de série B. C’est à l’annonce de notre mariage que ma belle-sœur a montré toute l’ampleur de sa jalousie – ou de sa maladie. Sa première réaction a été exécrable: elle a tout critiqué (la date de nos noces, le choix du traiteur, etc.) et a voulu s’immiscer dans les préparatifs en disant: «Après tout, je suis de la famille, ça me concerne!» Puis, deux mois avant la date fatidique, elle a complètement changé de comportement: elle est redevenue adorable. J’ai vite compris pourquoi: elle avait renoué avec son premier amour, Samuel, et avait décidé de se marier, elle aussi! Quand elle nous a appris la nouvelle, elle a ajouté en riant: «Ne vous en faites pas, Samuel et moi n’annoncerons pas notre mariage avant vous; nous ne vous ferons pas d’ombre!»

Le jour de la cérémonie est arrivé. Dans l’église, on aurait dit qu’il y avait deux mariées: moi et elle. Ariane est apparue en longue robe blanche – c’est tout juste si elle ne portait pas un voile! Au cours de la réception, une amie m’a confié: «Si je n’avais pas su que c’était toi, la future mariée, j’aurais pensé que c’était elle.» Quelques mois plus tard, j’ai fait une fausse couche… et ma belle-sœur m’a affirmé que, elle aussi, comme par hasard, venait d’en faire une. Puis, j’ai été à nouveau enceinte, mais je n’ai dévoilé ma grossesse qu’au bout de 12 semaines.

Ça a déclenché la furie d’Ariane. Elle m’a craché au visage que Paul et moi aurions dû la prévenir plus tôt. Six mois plus tard, c’était à son tour d’annoncer sa grossesse. J’ai accouché d’une fille, Ariane aussi. Ces naissances ont exacerbé la folie de ma belle-sœur. Quelque chose de malsain s’est installé: j’ai senti qu’Ariane s’appropriait ma fille de manière détournée. Ma petite Florence était la fille de son frère, ce qui signifiait, dans son esprit névrosé, qu’elle était aussi un peu la sienne!

J’ai commencé à ressentir un profond mal-être. Je me sentais dépossédée de mon enfant, de ma vie et de mon histoire d’amour. Paul a mis ça sur le compte d’une dépression post-partum, mais ça n’avait rien à voir. À chaque étape du développement de notre fille, Ariane me disait que sa fille en était au même point: elle a cherché à la faire marcher et parler à six mois, et elle a même tenté de la rendre propre à un an! C’était comme si elle voulait oublier que nos enfants avaient six mois d’écart.

L’année 2012 a été décisive. J’en voulais à mon mari et je m’éloignais de lui. Paul, égal à lui-même, préférait ignorer le problème. Finalement, j’ai explosé. «Ariane ne cesse de comparer notre fille à la sienne! ai-je hurlé, en larmes. Selon elle, Florence n’est pas « notre » fille, mais la tienne, et elle le dit à tout le monde. Si tu ne prends pas les choses en main, nous allons foncer droit dans le mur! Je n’en peux plus!» Paul m’a répondu qu’il n’avait jamais appris à gérer des conflits. Je me suis alors entendu prononcer cet ultimatum: «C’est notre couple qui est en jeu. Choisis ton camp.» Ces phrases ont eu l’effet d’un électrochoc.

Pour la première fois, Paul a pris rendez-vous avec sa sœur… et il lui a interdit de s’approcher de nous. J’ignore ce qui s’est passé dans la tête de ma belle-sœur, mais elle a obéi: elle a arrêté de m’appeler et de venir chez nous à l’improviste. Il y a deux ans, nous avons déménagé à Québec et j’ai commencé à respirer de nouveau. Depuis, je ne vois ma belle-famille qu’une ou deux fois par an, pour permettre à ma fille de passer du temps avec sa cousine. Même si Paul et moi ne reparlons jamais de toute cette histoire, elle nous a rapprochés. J’attends un deuxième enfant, un garçon. Gageons qu’Ariane sera bientôt enceinte à son tour. Mais peu importe: elle est maintenant loin, très loin de moi.