Lorsque mon bébé est né par césarienne, un vendredi 13, et que les infirmières l’ont déposé sur moi, j’ai tout de suite eu l’impression d’être dépassée par les évènements. Pourtant, j’avais toujours désiré devenir mère. Avant de fonder une famille, je m’étais juré de ne pas brûler les étapes. De profiter de la vie, de voir le monde, de faire la fête, d’étudier et, bien sûr, de trouver le papa idéal pour ma future progéniture!

C’est à 25 ans que j’ai rencontré Paul, et c’est avec lui que j’ai vécu toutes les choses que je voulais vivre avant de me sentir prête à avoir des enfants. Quatre ans plus tard, j’étais enceinte, et notre bébé allait naître quelques semaines avant mon 30e anniversaire, comme je l’avais toujours voulu.

Paul et moi avions choisi de ne pas connaître le sexe de l’enfant avant son arrivée. Du coup, mon entourage, mes amis, ma famille et même de pures inconnues y allaient de leurs prédictions. Tous, sans exception, étaient persuadés que je donnerais naissance à une petite fille, et je l’espérais aussi de tout mon coeur. Après neuf mois d’attente, j’avais tellement hâte de rencontrer notre petite Zoé (oui, j’avais même trouvé son nom!) que la possibilité d’avoir un garçon ne m’avait même pas effleuré l’esprit.

À LIRE: « Je suis une mère comblée: j’ai 10 enfants! »

Ma grossesse a été parfaite mais, comme le bébé se présentait par le siège et que les médecins ne réussissaient pas à le retourner, la césarienne ne pouvait être évitée. Nous nous sommes donc rendus à l’hôpital le jour venu, pressés de faire la connaissance de notre fille.

«Voulez-vous connaître le sexe du bébé?» m’a demandé le docteur à l’issue de l’opération. J’ai haussé les épaules, sûre de moi: «Ben là. C’est une fille!» «Eh non! C’est un garçon!» a-t-il répondu en le déposant sur ma poitrine.

Ce petit être sorti de mes entrailles m’a semblé lourd, presque étouffant. J’étais heureuse, évidemment, mais avant d’être prête à rencontrer mon petit homme, j’aurais sans doute eu besoin que se dissipe le choc de ne pas avoir mis au monde une fille. À mes côtés, Paul, devenu père dès l’instant où il avait posé ses yeux sur notre bébé, était ému aux larmes. Nous étions enfin trois!

Durant les jours qui ont suivi, mon conjoint s’est avéré un papa tellement patient, tellement compétent que j’en oubliais presque mes douleurs au ventre et ma fatigue. Comme j’aurais aimé être aussi à l’aise que Paul avec le bébé! Je me disais que l’attachement allait venir, que l’amour d’une mère pour son enfant n’est peut-être pas aussi inné qu’on aimerait nous le faire croire. Je mettais mon apathie sur le dos de la chute d’hormones, de la fatigue, du fait que je n’étais pour le moment qu’une distributrice à lait. J’étais certaine que ce petit être allait finir par se frayer un chemin vers mon coeur. Après tout, je n’étais pas différente des autres mamans!

À DÉCOUVRIR: «À 30 ans, j’ai fait une dépression à cause de mon acné» 

C’est pourtant le contraire qui s’est produit. Je trouvais mon bébé de plus en plus pleurnicheur et irritable. Les seuls moments de tranquillité que nous avions, c’était lorsqu’il se cramponnait à mon sein pendant que je le nourrissais. Au fil des jours, ses pleurs se sont transformés en hurlements, et ses siestes ont rétréci jusqu’à ne sembler durer que quelques minutes.

 

Étant infirmière de profession, j’étais habituée aux bébés; je savais donc que ce n’était pas normal, même pour un nouveau-né, de pleurer autant et de dormir si peu. Mais étais-je vraiment objective? Je ne savais plus. Je devais peut-être prendre mon mal en patience? Alors j’endurais, en me disant que l’important était de garder le cap jusqu’à ce que tout aille mieux. J’étais sûre qu’avant la fin du congé de paternité de Paul je réussirais à faire de notre fils un expert en siestes, et qu’il deviendrait calme et paisible comme les bébés de mes amies.

Mais le temps passait, et rien ne s’améliorait. Le petit monstre hurlant devait être branché à mon sein presque 23 heures sur 24 pour nous laisser un peu de répit. Si le calme de Paul me gardait tant bien que mal saine d’esprit, il n’effaçait pas ma fatigue, qui ne faisait qu’empirer mon désarroi. Je me suis mise à détester cette situation. Je n’éprouvais aucun bonheur à être mère et je me surprenais à en vouloir à ce méchant bébé de me faire vivre un tel cauchemar.

La situation s’est évidemment aggravée quand Paul est retourné au travail. Chaque journée que je passais seule avec cet enfant m’attirait inexorablement vers le fond. Je n’osais plus sortir, tellement j’avais honte de déranger les gens avec les cris de mon bébé, honte de ne pas savoir quoi faire pour le calmer, mais surtout honte des pensées lugubres qui me traversaient l’esprit: «Qu’est-ce qui m’a donc pris de vouloir un enfant? J’étais tellement plus heureuse avant. Pourquoi n’ai-je pas plutôt adopté un chien?» Après tout, j’avais plus d’affection pour le toutou de mes parents que pour cet impossible nourrisson! Avant lui, j’avais une vie agréable et bien remplie. Avant lui, j’avais un avenir.

À LIRE: « Avant d’accoucher, j’ai appris que mon enfant avait un handicap »

Malgré le soutien indéfectible de Paul, de ma famille, de mes amis, je ne m’étais jamais sentie aussi seule. Je ne savais pas quoi faire de cet enfant tant désiré. Il fallait que je me rende à l’évidence. J’étais une mauvaise mère, et ça n’allait jamais s’améliorer. Je n’étais qu’un automate allaitant; mon conjoint et mon bébé méritaient mieux que ça. Je passais des heures entières à échafauder des plans: aller refaire ma vie en Australie, donner l’enfant en adoption, renoncer à mes droits sur lui… mourir. Une chose était certaine: leur vie à tous les deux serait mille fois mieux sans moi.

À part Paul, démuni face à la situation, personne dans mon entourage ne savait quelle mère indigne j’étais. J’avais beaucoup trop honte pour en parler ouvertement à qui que ce soit, et les rares fois où je tentais de dire à quel point je trouvais ça difficile, on me disait que c’était la fatigue, que ça allait passer… Et moi, j’avais l’intime conviction que c’était faux. J’avais touché le fond, et j’étais désespérée.

Si je m’en suis sortie, c’est grâce à une amie qui a lu en moi et qui a su déchiffrer ma détresse. Elle m’a convaincue d’aller consulter un médecin. C’est dans le cabinet de cette docteure pleine d’empathie que j’ai découvert l’existence de la dépression postpartum. Bien sûr, j’avais déjà entendu parler de la déprime postnatale, mais je ne pensais jamais que ça pouvait devenir si grave et, surtout, je n’aurais jamais pensé que je pourrais en être atteinte, moi.

À LIRE: «Mon ex-mari et moi habitons en alternance, une semaine sur deux, chez nos enfants»

La médecin m’a prescrit des antidépresseurs, et elle m’a recommandé un suivi psychologique. Je me suis mise à fréquenter un organisme venant en aide aux jeunes mamans et à participer à un groupe de discussion.

Grâce à tout ce soutien, la fatigue et le découragement ont diminué, et l’espoir est revenu petit à petit. Paul et moi avons finalement décidé de parler des pleurs incessants de notre petit Thomas au pédiatre, qui a diagnostiqué des reflux gastriques. Quel soulagement de connaître la cause de ses crises, et surtout d’y trouver un remède! Grâce à la médication et à quelques trucs très simples, ses hurlements ont grandement diminué et il est devenu adorable, souriant, toujours de bonne humeur.

Au fur et à mesure que je retrouvais le monde des vivants, les liens indéfectibles tant espérés se sont enfin créés entre mon fils et moi. Cette épreuve a enrichi et renforcé ma relation avec Thomas. Si l’attachement s’est fait attendre, il n’en est pas moins fort aujourd’hui.

Ma maladie a également décuplé l’amour que je porte à Paul, qui m’a soutenue et aimée durant les pires moments. Je sais que, lorsque nous serons prêts à avoir un deuxième enfant, nous serons capables de reconnaître les signes avant-coureurs de la maladie, pour mon bien, et aussi pour celui de notre famille.

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez la partager avec nos lectrices? Une journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Martina Djogo | [email protected] ELLE QUÉBEC | 1100, boul. René-Lévesque Ouest, 24e étage, Montréal (QC) H3B 4X9

 

À DÉCOUVRIR:

«À 30 ans, j’ai fait une dépression à cause de mon acné» 
« Avant d’accoucher, j’ai appris que mon enfant avait un handicap »