Je n’aime pas du tout les surprises. Je suis d’ailleurs assez douée pour planifier et anticiper toutes les situations. Et jusque-là, ma technique avait plutôt bien fonctionné. Quand Thomas a eu un an, j’ai décidé avec Martin, mon mari, d’avoir un deuxième enfant. Pourtant, ce n’était pas la meilleure période pour nous: les gros travaux de rénovation dans notre maison n’avançaient pas, Martin était tout le temps en déplacement, et moi, j’avais la tête sous l’eau au bureau. Néanmoins, je me sentais capable d’assumer tout ça parce que j’aimais l’idée d’avoir deux enfants; je les imaginais en train de jouer ensemble un peu plus tard.

Je suis tombée enceinte assez rapidement. Après la première échographie, quand j’ai vu que tout se passait comme sur des roulettes, je me suis concentrée sur le reste, c’est-à-dire les réunions de chantier, ma job et le traintrain quotidien. Quand la fin de semaine arrivait, nous confiions Thomas à ma mère pour aller passer de longues heures dans les magasins à choisir des tuiles, de la peinture et des robinets. En fait, j’avais tellement de choses à gérer que, très vite, je ne me suis plus autorisée à penser au bébé et j’ai mis ma grossesse entre parenthèses pendant huit mois.

PLUS: C’est mon histoire: «Ma grossesse m’a réconciliée avec ma soeur jumelle»

La date prévue de mon accouchement était le 23 novembre. Quinze jours avant, Martin et moi avons quand même décidé d’assister à un cours prénatal, histoire de prendre conscience qu’un bébé allait bientôt arriver. Pendant deux heures, la sage-femme a montré aux maris les massages à faire pendant les contractions. Elle a expliqué aux futures mères comment respirer, et elle insistait sur les différentes positions possibles pour accoucher: allongée, accroupie ou sur le côté. Elle répétait aux mamans qu’elles n’étaient pas obligées de demander la péridurale, que la douleur, ça se maîtrisait, que tout était une question de volonté. Moi, je n’écoutais que d’une oreille. Toutes ces théories sur l’accouchement naturel me faisaient doucement rigoler, parce que, dans ma tête, c’était clair et net: on était au 21e siècle, et je n’avais pas du tout l’intention de souffrir. Je comptais demander la péridurale et lire tranquillement dans la salle, en attendant que ça vienne. Comme je l’avais fait à mon premier accouchement.

Toujours dans l’esprit «J’anticipe le jour J», j’ai consulté un ostéopathe pour qu’il facilite le passage de mon bébé dans mon bassin. Avec le recul, je dirais plutôt qu’il a dû mettre en place une véritable piste de bobsleigh! Quelques jours plus tard, j’avais un rendez-vous de routine avec mon médecin. Après m’avoir examinée, il m’a dit avec assurance: «Le bébé, ce n’est vraiment pas pour tout de suite, madame. Votre col est complètement fermé. Souhaitez-vous qu’on accélère le processus?» Oh que non, je ne le voulais pas! J’avais encore des tonnes de boîtes à défaire, et la cuisine n’était toujours pas finie. J’avais bien l’intention de profiter au maximum des quelques jours qui me restaient!

Ce soir-là, juste avant d’aller me coucher, j’ai été prise d’affreuses crampes d’estomac. Je sais, j’aurais dû réaliser l’imminence de la chose, mais ces douleurs ne ressemblaient pas du tout à celles que j’avais ressenties à mon premier accouchement. Et puis, le médecin avait eu l’air si sûr de lui… Je me suis aussi remémoré le cours où on nous avait plusieurs fois répété: «Surtout, n’allez pas trop tôt à l’hôpital! Attendez d’avoir des contractions toutes les cinq minutes. Prenez un bain et détendez-vous. Si la douleur passe, c’est que ça n’était pas encore le moment!» Bonne élève, j’ai patienté. La douleur s’est effectivement apaisée, et je me suis endormie.

Mais, à 3 h du matin, j’ai de nouveau été prise de crampes atroces, qui me sectionnaient le ventre. Cette fois-ci, oui, ça ressemblait bien à de vraies contractions. Martin m’a fait couler un bain, dans lequel je suis entrée péniblement, et nous nous sommes mis à fixer la trotteuse pour calculer le temps qui séparait deux contractions. Incroyable! Il y en avait toutes les 30 secondes! Là, le feu était vraiment pris et il fallait aller au plus vite à l’hôpital. Nous nous sommes donc précipités dans la voiture.

Pendant les 20 minutes qu’a duré le trajet, j’ai vécu un enfer sur terre. Les contractions ne me laissaient plus aucun répit. J’avais les deux mains accrochées à la poignée de la portière et je poussais des râles de bête en me projetant régulièrement contre le dossier du siège. Je repensais aux conseils de la sage-femme: «Souffler intensément, respirer profondément. La douleur, ça se maîtrise!» Tu parles! C’était plus facile à dire qu’à faire. Martin essayait de me rassurer en me disant: «Ne t’inquiète pas, ça va aller. On arrive.» Moi, je lui répondais en hurlant: «Non, ça ne va pas du tout! Je suis en train de mourir de douleur, ça ne se voit pas?»

PLUS: C’est mon histoire: «J’ai eu un bébé toute seule!»

Enfin, miracle! J’ai aperçu au loin l’hôpital. J’étais sauvée, j’étais à deux doigts de la péridurale! Sauf que je n’avais pas prévu le dernier incident: devant nous, il y avait une barrière qui fermait l’entrée, et la guérite du gardien était vide. Martin a sauté hors de la voiture et s’est mis à courir en me criant: «Je vais chercher quelqu’un, j’arrive!» Je n’ai pas eu le temps de réfléchir très longtemps à l’absurdité de la situation, car tout s’est enchaîné en quelques secondes. J’ai senti la poche des eaux se rompre, et là, du plus profond de moi, j’ai su que mon bébé avait décidé de sortir. Ne me demandez pas comment j’ai réagi, si j’ai eu peur, si j’ai pleuré ou appelé au secours. Je n’étais plus moi-même, plus en mesure de penser. J’étais devenue primaire, instinctive, animale. La nature avait repris le contrôle de mon corps et me dictait exactement ce qu’il fallait faire. J’ai donc mis mes deux pieds sur le tableau de bord, en priant le ciel pour que le sac gonflable ne s’ouvre pas. J’ai ôté tant bien que mal ma culotte et j’ai senti le bébé se frayer un passage dans mon corps. À ce moment-là, Martin est revenu, en nage, et m’a dit: «J’ai trouvé. Viens, c’est par là!» Puis, il a baissé les yeux et je l’ai vu devenir blanc comme un linge: la tête du bébé était déjà sortie.

Ensuite, tout s’est passé comme dans une pièce de théâtre. Les lumières se sont allumées dans le stationnement, et j’ai vu trois infirmières arriver en courant vers moi, accompagnées d’un gardien de sécurité complètement hébété. Je les ai entendues dire: «C’est une double circulaire du cordon. Vite, les pinces!» Puis, elles se sont activées pour extirper mon bébé d’entre mes jambes. Bien qu’un peu bleu et pas en grande forme, il a quand même poussé ses premiers petits cris. Les infirmières l’ont posé trois secondes à peine sur ma poitrine, puis ont filé le mettre au chaud. Avant qu’elles disparaissent, je leur ai crié: «Au fait, c’est quoi? Un garçon ou une fille?» «Heu, on ne sait pas encore, on vous dit ça tout à l’heure!» Le suspense a duré encore une demi-heure. Une fois que j’ai été installée dans ma chambre, on m’a enfin annoncé que j’avais accouché d’un garçon, qui allait bien, même s’il devait rester quelques heures en observation.

C’est là que j’ai réalisé ce qui venait de se passer et que j’ai eu peur. J’avais accouché seule dans la voiture, en plein mois de novembre, et mon bébé avait échappé, à quelques secondes près, au pire. J’en ai la chair de poule rien qu’en y repensant. Heureusement, mon petit Noa n’a pas gardé de séquelles de son arrivée rapide sur terre et il est en pleine forme. Il a deux ans maintenant et il est toujours aussi pressé: il a eu sa première dent à trois mois et a marché à son premier anniversaire.

Cet épisode ne m’a pas fait passer l’envie d’avoir d’autres bébés, au contraire. Mais ce qui est sûr, c’est que, si je retombe enceinte, je filerai à l’hôpital au premier mal de ventre suspect. Quitte à camper devant la porte plusieurs jours.  

À DÉCOUVRIR:
C’est mon histoire: «J’ai souffert d’une dépression post-partum»
C’est mon histoire: «J’ai été trahie par ma meilleure amie»
Les mommyrexiques: enceintes et au régime