On m’a toujours complimentée pour ma peau de pêche. À l’adolescence, j’ai eu quelques poussées d’acné, mais rien d’alarmant. On me disait aussi que j’étais une belle fille, sauf que, comme je manquais de confiance en moi, j’avais du mal à l’admettre. Il a fallu une terrible crise d’acné pour que je me rende compte de la beauté que j’avais… et que j’étais en train de perdre.

Rien n’annonçait un tel cauchemar: j’avais 30 ans, une belle carrière et plein de projets. Après huit ans de vie commune, mon conjoint et moi avions décidé de faire un enfant. J’ai donc cessé de prendre la pilule contraceptive.

Il s’était à peine écoulé trois mois quand j’ai vu apparaître sur mon visage des dizaines et des dizaines de microkystes qui se transformaient tous, au fil des jours, en pustules rouges affreuses. J’étais complètement paniquée: non seulement je n’arrivais pas à tomber enceinte, mais mon faciès était la proie d’une maladie qui semblait vouloir le dévorer tout entier.

J’ai consulté un dermatologue, qui m’a prescrit des antibiotiques. Son verdict: mon acné était la conséquence d’un déséquilibre hormonal provoqué par le fait que j’avais cessé de prendre des anovulants. Aucun médecin ne m’avait informée de ça quand j’ai commencé à prendre la pilule. J’étais sidérée!

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Après un certain temps, même si mes boutons avaient légèrement diminué, l’apparence de ma peau ne s’améliorait pas assez vite à mon goût. Je suis devenue obsédée; je ne voulais qu’une chose: qu’ils disparaissent!

 

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Je me suis mise à faire toutes sortes de recherches sur Internet pour trouver le remède de grand-mère qui me soignerait. Désespérée, j’ai contacté un guérisseur-hypnotiseur censé faire des miracles. Résultat: nul. Croyant alors que mon régime alimentaire était la source de mon problème, j’ai acheté, sur les conseils d’une nutritionniste, pour 400 dollars de vitamines et de minéraux. J’ai aussi consulté une esthéticienne-nutritionniste. Dès le premier rendez-vous, elle m’a convaincue d’arrêter le traitement que m’avait prescrit mon dermatologue, sous prétexte que c’était néfaste pour mon foie. Je l’ai donc écoutée, sans savoir qu’arrêter brusquement un tel traitement au beau milieu pouvait causer une recrudescence de mon acné. Sur ses conseils, j’ai aussi éliminé le sucre, le sel, le vin et tous les produits industriels de mon alimentation, y compris la bouffe du resto. Malgré ça, le mal empirait: ma figure était à vif, plus malade que jamais, et je maigrissais à vue d’oeil.

Bien vite, ma vie s’est mise à tourner exclusivement autour de l’acné. J’étais vidée. Je me trouvais laide et sale. Je passais mon temps à me regarder dans le miroir et à pleurer. Je ne pouvais pas accepter ce qui m’arrivait. Je n’avais plus le goût de rien et, surtout, j’avais honte. Le matin, avant d’aller travailler, je me tartinais de fond de teint et je pleurais parce que c’était horriblement laid. Plus j’essayais de cacher mon acné, plus elle était visible. C’était d’autant plus difficile que j’enseignais au cégep à des étudiants de 17 ou 18 ans: à cet âge, on est généralement sensible à son apparence et à celle des autres.

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J’ai rappelé d’urgence mon dermatologue. Un an était passé depuis mon premier rendez-vous. Il m’a fait promettre de suivre, cette fois-ci, ses indications à la lettre et son traitement pendant un an. Il m’a prescrit un médicament puissant contre l’acné. Malheureusement, celui-ci causait de nombreux effets secondaires – peau sèche, saignements de nez – et pouvait surtout être très dangereux pour le foetus si je tombais enceinte. Je devais donc recommencer à prendre la pilule.

 

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Si mon projet d’avoir un enfant s’est estompé, mes boutons, eux, ne se sont pas volatilisés. Comme ça arrive souvent avec ce médicament contre l’acné, le dérèglement s’est aggravé pendant les premiers mois. C’était terrible. J’avais l’impression d’être affublée d’une barbe de viande hachée. Complètement à bout, j’ai dû prendre un congé de maladie. Sur le billet du médecin, il était écrit: «Acné sévère. Ne peut se présenter en public.» À la demande de mon employeur, un psychiatre m’a examinée. Lui aussi a conclu que je ne pouvais pas travailler: j’étais dans un état dépressif assez avancé.

Je me suis enfermée chez moi. J’ai dû cacher tous les miroirs de la maison pour éviter d’être continuellement en larmes. Quelquefois, quand je prenais un bain, je voyais le reflet de mon visage dévasté sur le robinet argenté de la baignoire et j’éclatais en sanglots. Je ne sortais que le soir, dans l’obscurité, pour faire une promenade de santé. Le regard des autres me ramenait toujours à mes problèmes d’acné. Je refusais donc toutes les activités sociales: fini, les soupers avec les copines, les après-midis au café! Je préférais me replier sur moi-même. Je me sentais incomprise d’à peu près tout le monde, sauf de mon conjoint, de ma mère et d’une amie qui me soutenait en faisant mon épicerie quand mon chum devait partir en voyage d’affaires. La plupart des autres personnes de mon entourage minimisaient ou niaient ma maladie, ce qui me faisait encore plus mal. Certains me jugeaient superficielle de souffrir ainsi et de me cloîtrer chez moi pour «quelques boutons», alors que je vivais un véritable enfer.

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C’était douloureux pas seulement moralement, mais aussi physiquement: la peau me brûlait et me démangeait; je pensais devenir folle. Pour moi, cette crise d’acné était tragique. Elle ravageait ma figure, ma vie sociale et mon travail. J’avais l’impression de ne plus avoir d’identité. C’était pénible, et ça l’aurait été cent fois plus si je n’avais pas eu d’amoureux. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans lui, sans sa force, sans son amour inconditionnel et la manière qu’il avait parfois de tourner ma maladie à la blague: «Enfin, il y a une justice! Pour la première fois de ma vie, je serai plus beau que toi», me disait-il pour me faire rire.

 

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Me voir si triste lui faisait mal. Cependant, il avait vis-à-vis de mon drame le recul qui me manquait. C’est lui qui m’a fait comprendre que cette expérience pouvait, malgré tout, être bénéfique et enrichissante si je le voulais. Il n’en tenait qu’à moi de profiter de mon «hibernation» pour lire les livres que je n’avais pas encore lus, parfaire mon anglais, travailler mon piano… Peu à peu, j’ai lâché prise. Au lieu de ne penser qu’à l’horreur qui sévissait sur moi, je me suis concentrée sur mes bouquins et ma musique. Et puis, peu à peu, la panique a laissé place à l’espoir: je me suis mise à croire que ce cauchemar pouvait réellement se terminer. J’ai donc attendu patiemment que mon état s’améliore grâce au traitement du dermato, que je suivais religieusement.

L’acné a fini par disparaître, en me laissant tout de même des cicatrices. Qu’importe, j’avais enfin la force de reprendre le cours de ma vie. Après une année et demie de congé de maladie, je suis retournée enseigner.

Aujourd’hui, j’ai 33 ans. Je n’ai toujours pas arrêté la pilule contraceptive, car, pour moi, jouer avec les hormones, c’est jouer avec le feu. Je ne sais vraiment pas si un jour j’aurai un enfant. Tout ce que je peux dire, c’est que cet épisode m’a permis de réfléchir à mon existence, à ma façon de la mener. J’ai aussi l’impression que cette mésaventure m’a rendue plus forte. Avant, je manquais de confiance en moi. Je marchais à la hâte dans les rues, je préférais emprunter les ruelles pour éviter les foules. Maintenant, je m’assume entièrement telle que je suis. Même si mon visage est parsemé de cicatrices, j’ai décidé de ne plus fuir les regards. Je fréquente désormais les endroits bondés et je me sens encore plus à l’aise en public. En somme, aujourd’hui, j’apprécie davantage la vie!

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