Je suis quatre fois maman, plusieurs fois mamie, et je possède un baccalauréat en enseignement en plus d’une maîtrise en pratique psychosociale. Au cours de ma longue carrière en intervention auprès de toutes sortes de clientèles marginalisées, j’ai réalisé qu’en sortant du bureau, à 17 heures, je me sentais perdue. Aider les autres, pour moi, c’est plus qu’un travail; c’est un mode de vie. Voilà pourquoi il y a neuf ans j’ai pris la décision de devenir famille d’accueil. Depuis, je partage mon quotidien et ma maison avec six personnes présentant une déficience intellectuelle dont la sévérité s’échelonne de moyenne à profonde. Et je n’ai jamais été aussi heureuse.

Mes six résidents sont tous, sauf une, dans la cinquantaine et la soixantaine. Étant donné leur déficience intellectuelle importante, ils ont besoin d’aide ou de supervision pour se nourrir et se laver. La plupart d’entre eux sont non verbaux, ce qui signifie qu’ils ne s’expriment pas, ou très peu, par des mots. Mon quotidien est donc constitué d’une succession de bains et de toilettes partielles, de préparation et de service des repas, d’activités de loisirs et de diverses tâches ménagères. C’est un peu comme prendre soin d’une grande famille! J’ai également l’aide de deux employées à temps partiel qui viennent me donner un coup de main quelques jours par semaine.

À l’extérieur de la maison, quand nous sortons en public, j’essaie de servir de pont entre mes résidents et les personnes que nous croisons. Je les accompagne lorsqu’ils doivent aller chez le dentiste, par exemple, et je les emmène magasiner ou manger au restaurant. Quand les gens ont des questions, j’y réponds de mon mieux. J’aime d’ailleurs attirer leur attention sur les mots qu’ils emploient pour parler des personnes ayant une déficience intellectuelle, car le langage joue un rôle important dans la manière dont nous percevons ceux qui sont différents.

Au-delà des soins de base, mon travail demande beaucoup de patience. Plusieurs des personnes qui demeurent chez moi avaient des troubles de comportement assez importants à leur arrivée, et c’est vraiment au cours des six premiers mois que tout se joue. Il faut instaurer une routine et créer un lien de confiance. J’apprends à décoder leurs expressions et à faire en sorte qu’on se comprenne afin de maintenir l’harmonie et le respect dans la maison. Je crois que c’est ce qui me plaît le plus dans ce que je fais; à travers le jeu, ou parfois le chant, j’apprends à communiquer avec la personne qui se trouve devant moi, à lui faire comprendre des choses et à cibler ses besoins spécifiques dans le but de l’intégrer au groupe et de l’aider à se sentir en sécurité.

Le désir d’offrir un nid, un endroit où on se sent chez soi et bien encadré, est au cœur de mes interventions. Je veux que tous ceux qui vivent chez moi se sentent compris, respectés et sereins. Je décore chaque chambre pour qu’elle ressemble à celui qui l’habite, et je m’assure que chacun a ce dont il a besoin. En échange, ils me font cadeau de toute la richesse de leur différence, de leur bonne volonté et de leur manière bien à eux de voir la vie.

Quand on me pose des questions sur ce que je fais, on me dit souvent combien je suis courageuse. Même si c’est un commentaire bien intentionné, on sent le message qui se cache derrière. Certes, mon travail n’est pas pour tout le monde, mais j’en retire une grande satisfaction et énormément de fierté. Comme je le dis souvent, je vis à temps plein avec des gens qui ne me jugent jamais. Avec eux, chaque jour est une nouvelle occasion d’apprendre quelque chose, de s’amuser et de s’émerveiller. On ne fait pas de miracles, mais chaque petite victoire est gratifiante. Mon travail, c’est avant tout d’offrir un milieu de vie sain et un quotidien agréable à des personnes qui le méritent autant que toutes les autres. C’est une carrière enrichissante, je gagne très bien ma vie, et je suis comblée. Chaque emploi a ses désavantages; malgré cela, le mien m’apporte beaucoup. Une fois la période d’adaptation passée, lorsque tout le monde connaît les règles de la maison et est bien installé dans la routine, je n’ai plus à intervenir autant. Dans ma vie, il n’y a pas d’angoisse de performance, de grand stress ou de pression au rendement. J’aide des êtres humains à vivre heureux. Que vouloir de mieux?

On est souvent curieux de ce que les gens qui vivent chez nous font de leurs journées. Vous savez quoi? La plupart d’entre eux ne font rien, et c’est parfait comme ça. Quelques jeux de table, parfois, un petit tour dehors, une sieste en après-midi, mais ils ne sont pas occupés. Ils n’en ont pas besoin. Je suis un peu tannée de voir combien on considère qu’il faut «faire» pour être quelqu’un. Ce que je réponds, quand on me demande ça, c’est que les moines bouddhistes non plus ne font pas grand-chose, et qu’on ne les ennuie pas avec ça! Il en faut, des gens qui nous font ralentir. Mes locataires sont contemplatifs, et ils me font du bien. Ils sourient, ne se cassent pas la tête, et quand ils se fâchent, ils se fâchent pour aujourd’hui; jamais pour demain. Ils m’ont beaucoup appris et m’offrent tous les jours de véritables perles de douceur et de beauté.

Je me considère vraiment comme privilégiée de partager ma vie avec des personnes qui m’aident à évoluer, me forcent à questionner mes valeurs, me font l’immense cadeau de leur authenticité et de leur différence. Moi qui étais friande d’ateliers de croissance personnelle, je vis maintenant dans un atelier à temps plein! Mes résidents m’ont enseigné la patience, la persévérance, la compassion et la qualité de présence.

Je dis souvent que chacun est un pays que j’ai à visiter, un univers à découvrir. Je prends les gens tels qu’ils sont, aujourd’hui, et c’est sur ces bases-là que nous bâtirons ensemble. La vie existe sous tellement de formes; j’ai l’immense chance d’aller tous les jours à sa rencontre.

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