En couple depuis 13 ans et parents de trois fillettes, Émilie et Sébastien en savent long sur les disputes conjugales. «Nous sommes un couple très complice et très amoureux. Et, oui, même si on se dispute beaucoup moins qu’avant, les chicanes sont au nombre des raisons qui font que notre relation fonctionne», confie Émilie, qui croit que les accrochages demeurent une forme de communication saine, bien qu’imparfaite.

«Les disputes permettent effectivement d’exprimer des émotions», souligne André Surprenant, psychologue chez Objectif couple, un centre de consultation conjugale. «Elles sont à proscrire, mais je dois avouer qu’elles ont le mérite d’enlever une inhibition, qui peut mener au déblocage d’une situation difficile.»

Pour Sébastien, les querelles sont une sorte de soupape de sécurité. «Quand la pression est trop forte et qu’on n’a pas le courage d’aborder un sujet épineux ou un problème, le conflit permet de régler la question.» Point de vue que partagent Carolle Graf et Serge Vidal, auteurs du livre Comment bien se disputer en couple. Les couples qui ne se disputent pas, disent-ils, balaient nécessairement bien des choses sous le tapis. À moins qu’ils ne soient davantage des amis que des amants.

Les règles de l’art de la dispute

Si les couples ont avantage à se disputer pour évoluer, tous s’entendent pour dire que l’exercice n’est pas sans risque. «Un couple qui vit une grosse dispute se met nécessairement en danger, prévient André Surprenant. La dispute peut faire éclater la relation. Mais si elle n’éclate pas, il va nécessairement en ressortir quelque chose de positif.»

Est-ce à dire qu’il faudrait se disputer selon les règles de l’art? «Je crois que oui», répond Lyne, en couple depuis 15 ans et mère de trois enfants. «Se disputer, ça s’apprend. Au fil du temps, mon conjoint et moi sommes devenus plus responsables dans nos conflits.»

 

Pour éviter les dommages collatéraux d’une dispute, la première règle serait de la prévenir en identifiant les situations de stress. «C’est malheureux, mais le stress tombe toujours sur celui ou celle qu’on aime le plus et en qui on a le plus confiance. Les enfants font la même chose à leurs parents. Ce sont des anges ailleurs, mais à la maison ils sont de véritables petits diables», remarque Émilie, qui avoue maintenant informer son conjoint de sa fatigue et de son stress, ce qui réduit considérablement les accrochages.

Un certain contrôle émotionnel

L’idéal, selon André Surprenant, est d’exprimer sa colère en gardant un certain contrôle émotionnel et, surtout, en évitant toute violence verbale.

La présence des enfants peut servir de rempart aux débordements émotifs, croit Lyne. «La semaine dernière, par exemple, mon fils de huit ans a reçu un avertissement écrit de son enseignante, mais le billet est resté dans le fond de son sac d’école. Mon conjoint était très fâché contre notre fils. Dans son emportement, il m’a bêtement dit que je devais regarder dans son sac quotidiennement. L’an passé, c’était lui qui était responsable des devoirs des enfants et, lui, il vérifiait tous les jours. L’histoire est montée en épingle, mais aucune insulte n’a été lancée. Puis, il est allé reconduire les enfants à l’école», raconte-t-elle.

L’histoire de Lyne s’est tout de même bien terminée, puisque son conjoint est revenu la prendre dans ses bras en s’excusant. «Après quoi nous avons été capables de discuter calmement du comportement de notre garçon et de nos méthodes d’encadrement respectives.»

Chez Émilie et Sébastien, les emportements émotifs ont longtemps été tempérés par les lieux. «Notre truc était d’aller se chicaner au restaurant. En public, tu fais plus attention à ne pas hurler ou insulter l’autre», se rappelle Émilie.

S’écouter dans la dispute

«Lors d’une dispute, les principes de communication devraient toujours s’appliquer, soutient André Surprenant. Sans quoi, l’autre va dévier du sujet et vouloir se protéger. Le «tu» ne devrait d’ailleurs jamais être utilisé à l’extérieur des compliments.»

«Quand on se dispute, on parle au «je», de nos sentiments et de ce qu’on sent plutôt que d’accuser l’autre», insiste Lyne. Savoir écouter la colère du conjoint est aussi très important, selon elle. «Quand mon chum se fâche, je l’écoute jusqu’au bout. J’essaie de ne pas l’interrompre, ni de l’écouter à moitié. Je ne pense pas à la réponse que je vais donner pour prendre le dessus.»

Apprendre à se réconcilier

En y réfléchissant bien, ce ne sont pas les disputes qui font évoluer le couple, mais les réconciliations, croit Lyne. Revenir en relation après une dispute demande du dépassement, de la sensibilité à l’autre et de l’humilité. Même son de cloche du côté d’Émilie. «Une amie nous a déjà dit qu’on aimait se chicaner parce qu’on aimait se réconcilier sur l’oreiller. Il faut dire qu’on ne se couche jamais sur un conflit, c’est très important.»

Grâce aux réconciliations, les petites chicanes de couple ne seraient pas nécessairement malsaines pour les enfants, estiment Émilie et Sébastien. «Leur montrer qu’on a parfois des différends, qu’on peut s’en parler, les régler et s’aimer encore, c’est important. On leur apprend que c’est normal de ne pas toujours être en accord.»

La dispute pour communiquer

D’une dispute à l’autre, le couple de Lyne a survécu. Chacun a pris confiance et ose maintenant s’exprimer sans craindre une rupture. «À travers nos disputes, nous avons toujours eu le désir sincère d’entendre l’autre et la satisfaction de se sentir complètement entendu», constate Lyne, qui avoue avoir appris à mieux communiquer au fil des ans. «En fait, je ne me souviens plus de la dernière fois où nous nous sommes querellés.»

«Dans le couple, comme au travail et dans les relations personnelles, tout est une question de reconnaissance. On peut très bien vivre avec des insatisfactions reliées aux tâches ménagères ou se disputer, mais si on ne se sent pas reconnu, c’est-à-dire écouté et apprécié, rien ne va plus», conclut André Surprenant.

Suggestion de lecture

Comment bien se disputer en couple, Carole Graf et Serge Vidal, Éditions Jouvence, 2005, 112 pages.