Si la vie compte une multitude de variables, elle présente néanmoins une constante appréciable: le sexe. Qu’on pimente la chose d’un corset et de plumes ou qu’on s’y abandonne avec empressement dans l’embrasure d’une porte, elle demeure réelle, immédiate et foncièrement joyeuse.

Si on exclut les bidules à piles, les façons dont on s’émoustille et on se satisfait les uns et les autres ont peu changé depuis que le Kama Sutra a été écrit, il y a plus de 2000 ans. Or, nous voilà au seuil d’un énorme bouleversement; les progrès de plus en plus rapides de la technologie pourraient transformer à jamais la manière dont nous faisons l’amour. «Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère de la sexualité humaine», affirme le futurologue Graeme Codrington, fondateur de la société de conseil TomorrowToday. «L’Internet des objets [le web 3.0], la réalité virtuelle et la connectivité auront une incidence sur chacun d’entre nous, y compris sur le plan intime.»

L’amour sans fil

L’accessibilité aux casques de réalité virtuelle, tel l’Oculus Rift, changera profondément notre sexualité. À des années-lumière de tout ce que nous avons connu jusqu’à présent, la réalité virtuelle de pointe est extraordinairement immersive et de plus en plus… réelle! Si vous regardez par-delà une falaise virtuelle, votre corps réagit exactement comme s’il se trouvait au bord d’un véritable précipice. Vous n’envisagez pas seulement la chute; votre organisme est littéralement submergé d’adrénaline. Utile aux amateurs de jeux vidéo, ce nouveau média de présence mentale et physique crée aussi d’innombrables possibilités en matière d’érotisme.

«Si vous êtes éloignée physiquement de votre partenaire, par exemple, vous pourriez maintenant vous retrouver dans un monde virtuel et, en vous connectant à certains jouets, avoir une relation sexuelle à distance», explique Sarah, employée d’un important développeur londonien de jeux en ligne. Parmi ces nouveaux jouets intimes, il y a Nora et Max, du fabricant Lovense. Le premier, un vibrateur «lapin» (qui stimule aussi le clitoris), le second, un masturbateur pensé pour lui, tous deux sans fil et interactifs, permettent aux couples d’avoir une relation sexuelle à distance par l’intermédiaire de Skype ou de FaceTime. Ainsi, les mouvements imposés à l’étui pénien qu’est Max font s’activer Nora, et son utilisatrice ressent alors du plaisir. Inversement, la pression qu’elle exerce sur Nora de même que le rythme qu’elle adopte sont reproduits sur Max. Constatant l’intérêt croissant des hommes et des femmes pour toutes les formes de divertissement électronique, Lovense étudie maintenant la possibilité de fabriquer des dispositifs qui intégreraient à ses jouets érotiques la réalité virtuelle.

Le sexe techno, pro-femme?

Fait intéressant, ce nouveau cyberterritoire érotique est sur le point de voir le jour au moment où les femmes s’affirment plus que jamais et ne craignent plus leurs désirs. Est-ce à dire que la réalité virtuelle pourrait devenir le premier espace sexuel où tant les femmes que les hommes trouveraient leur bonheur?

«L’un des aspects positifs de cette rencontre du sexe et de la technologie est que nous en savons beaucoup plus aujourd’hui sur l’anatomie et l’excitation humaines qu’il y a 10 ans», affirme Alexandra Ars, créatrice du jouet X2 Orgasmatron, objet cylindrique doté d’une base ronde et bulbeuse conçue pour stimuler l’ensemble du clitoris. «Ces prochaines années, au fil des progrès de l’industrie, j’estime que nous verrons une augmentation de l’offre de jouets sexuels mettant à contribution la technologie et la réalité virtuelle au service du plaisir des femmes.»

La plupart des jouets sexuels féminins ont à peine évolué depuis l’époque victorienne, où furent conçus les premiers vibrateurs. Utilisés alors à des fins médicales, ils étaient censés aider les femmes «anxieuses» ou qui «n’allaient pas bien» à atteindre un «paroxysme hystérique» (en clair, un orgasme) salutaire. Il a fallu attendre le début des années 2000 pour que certaines compagnies commencent à fabriquer des options, disons, plus intéressantes. Parmi celles-ci, il y a le vibrateur JimmyJane Form 2, doté d’un stimulateur clitoridien à deux têtes, et Nea, le vibrateur en forme de galet de la compagnie Lelo. Si les possibilités qu’engendre l’arrivée des nouvelles technologies dans la chambre à coucher (et dans les tiroirs des tables de chevet) sont aujourd’hui envisageables et excitantes, il n’en demeure pas moins qu’il y a une ombre au tableau. Et que celle-ci est sinistre.

Sexy R2-D2

Ian Pearson est le futurologue anglais qui a avancé l’idée de l’Homo optimus ou homme-machine. Il a notamment prédit que, d’ici à 2025, nous verrons apparaître dans les ménages aisés des robots destinés à un usage sexuel. Il a également affirmé que vers 2050, les accouplements humain-robot seront majoritaires. Du délire? Le chercheur est plutôt d’avis qu’une fois que nous serons habitués à une utilisation courante, dans nos maisons, de robots et de jouets sexuels intelligents, il ne sera pas si difficile de l’envisager. Le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron s’est prononcé sur le sujet dans le magazine Psychologies de janvier 2016. Selon lui, l’être humain a toujours tendance à prêter des intentions aux objets qui bougent. L’eau, la lune ou… les robots! «Nous allons d’autant plus projeter nos émotions sur [les robots] qu’ils seront capables de les interpréter et de nous répondre avec des mimiques et des intonations. Cela, joint aux services qu’ils nous rendront, fait que nous nous attacherons à eux.» À preuve? Les relations développées entre des militaires américains et des robots démineurs – alors que ce ne sont que de simples caisses métalliques montées sur chenilles! «Nous ressentons déjà de l’affection pour les objets inanimés – pensons à R2-D2, ajoute le Dr Pearson. Alors, imaginez qu’un robot ait été fabriqué en tenant compte de vos particularités et programmé pour vous obéir, pour vous stimuler aussi bien, sinon mieux, qu’un autre être humain…»

Dre Kathleen Richardson, chercheuse en éthique de la robotique à l’Université De Montfort, en Angleterre, est tellement préoccupée par le péril que représente l’interaction entre humains et machines qu’elle a lancé une campagne contre les robots sexuels. «Ces robots sont un produit dérivé du commerce du sexe et des inégalités entre les hommes et les femmes, dit-elle. Le sexe est utilisé comme une forme de violence contre les femmes. Et ce fantasme du robot sexuel représente un nouveau niveau de contrôle: une machine qui ne riposte pas.» L’anthropologue souligne par ailleurs que nous trouvons notre humanité à travers nos interactions avec les autres. «Nous nous dirigeons vers un contexte où ces interactions de la vraie vie sont remplacées par des rapports avec des machines, un contexte qui nous aliène et nous isole les uns des autres.»

La conseillère en relations de couple Vena Ramphal pense que ces dangers sont également présents du côté de la réalité virtuelle. «Le casque Oculus Rift est bien nommé, note-t-elle. [En anglais, rift signifie division, fossé, faille.] La réalité virtuelle crée un clivage entre corps et expérience, ce qui est fondamentalement opposé au sexe. Oui, les femmes peuvent expérimenter, virtuellement, des situations sexuelles et des fantasmes qu’elles ne vivraient pas autrement dans leur chambre à coucher. Mais si le décalage entre expérience virtuelle et charnelle creuse un fossé entre les deux univers plutôt que de bâtir une frontière perméable, à quoi cela peut-il bien rimer? Nous sommes des êtres en chair et en os qui vivent dans la réalité, et il nous faut assumer la responsabilité de nos expériences réelles dans notre vie réelle.»

L’exploration sexuelle prendra on ne sait quelles nouvelles formes en ce XXIe siècle où les femmes expriment ce qu’elles veulent et, souvent, l’orchestrent. Mais une chose est sûre, certains développements technologiques semblent prêts à nous emmener au septième ciel… et même au-delà!

 

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