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Ce soir, son objectif était de trouver un cadeau pour Marcello, parti livrer du bois aux États-Unis, ce qui ne l’empêcha pas d’emprunter son parcours habituel. Sillonner chaque mètre carré du Costco relevait du rituel d’abord les allées paires, puis les impaires. De mauvaises langues auraient pu dire que seule une femme sans progéniture possédait le luxe de gaspiller ainsi son temps. Mais Gisèle savait qu’il lui fallait trouver de petits bonheurs où elle le pouvait.

Après quatre fausses couches, elle s’était résignée à mettre de côté son rêve le plus cher, fatiguée de vivre autant de montagnes russes émotionnelles.

Et si les années n’avaient en rien altéré l’amour et la tendresse qu’elle éprouvait pour son homme, elle sentait bien que leur lien s’effritait tranquillement. Était-ce le temps ou, justement, l’absence des enfants qui en était responsable ? Elle s’empressa de chasser la question de son esprit et se remit à la recherche du présent à lui offrir cette année. Dommage qu’il n’aime pas la lecture, pensa Gisèle avec tristesse devant le rayon des bestsellers. Le manque d’intérêt de Marcello pour les livres s’avérait un des grands deuils qu’avait dû faire l’enseignante de français dans sa vie de couple. Elle aurait tant aimé partager avec lui ses émois, ses envies et ses coups de coeur littéraires !

Avant de reprendre son parcours, elle scruta la section des bouquins dans l’espoir d’y dénicher un nouveau roman historique. Son regard s’attarda sur une grosse brique, mise en vente à côté du dernier opus gourmand de Ricardo. Le récit n’avait aucun lien avec l’Histoire, mais elle avait remarqué l’ouvrage entre les mains de certaines collègues, qui s’empressaient de finir leur lunch rapidement afin de s’y plonger avant la reprise des cours. Mais voyons, Gigi, ce genre de livre n’est pas pour toi ! se raisonna-t-elle. Avant de tourner les talons, elle se rappela toutefois l’avoir entrevu dans la sacoche de Lyne, la réceptionniste dont la froide beauté ne laissait personne indifférent. Les hommes la désiraient, les femmes la jalousaient. Dans les couloirs de la polyvalente, elles se demandaient toutes comment leur collègue, grandement dépourvue de chaleur humaine, pouvait attirer à ce point l’attention des hommes. – Même elle l’a acheté, murmura-t-elle en regardant nerveusement autour d’elle. Obéissant à une force inconnue, elle enfouit le bouquin dans son panier sous deux sacs de pois congelés et continua son chemin le coeur battant.

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Ce soir-là, Gisèle écourta son rituel chez Costco, soucieuse d’éviter toute rencontre fortuite avec une personne de son entourage. Elle rentra à la maison sans le cadeau de Marcello, accompagnée par la voix de Martin Laflamme lui chantant les promesses d’un Noël blanc. Il lui fallut trois jours pour trouver le courage d’entamer les premières pages du roman à la couverture monochrome.

Un après-midi, rentrée plus tôt de l’école, elle infusa sa tisane préférée – camomille et miel – chargea Les Classiques de Martin dans la fente de son lecteur de CD et s’installa confortablement sur le divan. D’emblée, les premières lignes la choquèrent. Mais c’est terriblement mal écrit ! s’insurgea l’enseignante de français. Franchement, n’importe quel étudiant de secondaire cinq aurait pu rédiger des phrases aussi simplistes et inventer un personnage principal aussi peu nuancé…

Mais qu’est-ce que le monde entier peut bien trouver à ce bouquin ? se demanda Gisèle, nostalgique de l’univers de Marie Laberge. Curieuse de saisir à quoi le livre devait sa popularité, elle poursuivit sa lecture – tout en s’insurgeant contre la mauvaise qualité de l’écriture – pendant une centaine de pages… Jusqu’à ce que le roman la convie dans son premier donjon. L’émotion qui s’empara alors de la quadragénaire ne ressembla en rien à tout ce qu’elle avait connu. En pénétrant, par le biais de la littérature, dans l’antre sacré, Gisèle se mit à frissonner en imaginant l’odeur du cuir mêlée à celle du bois. Son trouble s’accentua lorsqu’elle visualisa une grande croix en forme de X équipée de menottes en cuir aux extrémités. Une image lui foudroya l’esprit. Elle. Nue. Sa peau blanche collée au bois en acajou verni. Les mains menottées tendues au-dessus de sa tête, ses chevilles solidement attachées à la structure. Devant son Marcello. Dévêtue, les jambes écartées et complètement vulnérable devant son mâle. Son mâle. Oui, c’était bien ça. Gisèle n’arrivait pas à penser à lui en d’autres termes. Car dans cette position, les mots mari, conjoint ou homme lui semblaient discordants, obsolètes, et même vulgaires. Marcello, lui, était assis sur un somptueux canapé en cuir sang de boeuf, scrutant chaque parcelle de sa peau d’un oeil lubrique. Pouvait-il apercevoir, à cette distance, le mince filament de cyprine s’échappant de son sexe ?

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Une force lui commandait d’implorer son mari de la détacher. Une autre, contradictoire, obscure et souterraine, l’obligeait à assumer cette pose obscène sans broncher. Elle voulait qu’il la regarde exactement comme elle acceptait de se montrer devant lui. Comme une traînée.

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