J’avais 29 ans quand j’ai épousé Christine et, à l’époque, je ne croyais pas que le mariage m’apporterait le bonheur. Aujourd’hui, 11 ans plus tard, ma femme et moi formons un des couples les plus heureux que je connaisse. Et ça, je le dois en grande partie au fait que des gars de mon entourage ont été infidèles. Ma vie peut sembler différente de la leur, en apparence, mais mes pensées, mes émotions et mes fantasmes ne sont pas tellement différents des leurs. Je suis un gars ordinaire. Ordinaire dans mes peurs, dans mes désirs. Et même si mes décisions auraient pu être différentes, elles sont, elles aussi, bien ordinaires.

Je n’ai jamais pensé que je serais heureux en amour pour la simple raison que je ne croyais pas pouvoir être heureux tout court. Ma mère a des problèmes de santé mentale, et mon enfance a été marquée par la honte, l’anxiété et la peur. Je me rappelle encore la fois où, pendant un mariage, elle m’a frappé à plusieurs reprises devant tout le monde. Alors que sa main s’abattait sur mon oreille, mon nez, mes lèvres, je me souviens d’avoir pensé aux gens qui nous regardaient. J’étais embarrassé pour elle. Je devenais soudainement deux personnes: une qui ressentait mon propre tourment et une autre qui souffrait pour ma mère. L’une des conséquences qu’il y a de grandir dans une famille comme la mienne, c’est qu’on finit par perdre espoir: on ne croit pas que l’avenir puisse nous réserver de bonnes choses.

J’ai demandé à ma blonde de m’épouser parce que je croyais que c’était ce qu’elle voulait. Alors que je partais en voyage d’affaires, elle m’a demandé de lui rapporter une bague. Des années plus tard, elle m’a avoué que je l’avais mal comprise: oui, elle avait voulu une bague, mais parce que la ville où je me rendais était réputée pour ses bijoux en grenat. Ce chapitre de mon histoire n’est en fait qu’une variante d’un cliché, celui du gars qui fait sa demande en mariage parce que sa blonde lui a posé un ultimatum. Une relation qui commence ainsi, avec un chum qui a un passé comme le mien, n’augure rien de bon.

Au début de notre union, il m’arrivait d’éprouver de l’indifférence pour ma blonde. Je lui ai d’ailleurs dit une fois: «Je me demande si je t’aime vraiment.» Elle m’a regardé par-dessus ses lunettes et, après un moment, m’a répondu: «Moi, je sais que tu m’aimes.

– Comment peux-tu le savoir? ai-je lancé.
– Je le sais à la manière dont ton regard s’illumine lorsque j’entre dans une pièce.» Avant qu’elle me dise ça, je ne savais même pas que je souriais quand je la voyais.

C’est à cette époque que mon ami Steve m’a confié qu’il trompait sa blonde, Laurence. Nous étions au fond d’une grande salle et nous discutions de choses et d’autres pendant une conférence. Il tenait un verre de vin dans une main et semblait un peu éméché. À un moment donné, il m’a mentionné candidement qu’il voyait une autre femme. Une femme plus jeune que lui, et qui était en couple, elle aussi. Je lui ai demandé où exactement il couchait avec elle. Il m’a répondu que comme elle travaillait dans l’industrie hôtelière, elle avait accès à des chambres.

Quand j’ai croisé Steve dans les semaines qui ont suivi, il a continué à me parler de cette femme. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis mis à fantasmer sur elle. Je m’imaginais qu’elle ressemblait à une actrice. J’ai même cherché une photo d’elle dans Google. Je pensais beaucoup à elle. Du coup, ma blonde me semblait moins attirante. Elle a du très fin duvet sur les jambes et elle ne s’épile que jusqu’aux genoux. Ça m’a soudainement agacé qu’elle ne se rase pas les jambes au complet.

J’ai revu Laurence quelques mois après que Steve m’eut révélé son aventure. Nous étions au restaurant, elle, Steve, ma femme et moi. Tout au long du repas, Laurence s’est montrée désagréable. Elle reprochait entre autres à Steve d’aller trop souvent aux toilettes. Habituellement, Laurence a tendance à me tomber sur les nerfs mais, ce soir-là, chaque fois que je la regardais, je me sentais triste. Elle était très pâle, et le châle qu’elle portait lui donnait l’air d’être toute petite. Elle ne savait pas que son chum la trompait, mais elle m’est pourtant apparue comme quelqu’un qui avait été blessé et qui souffrait.

En sortant du restaurant, j’ai instinctivement mis mon bras autour des épaules de ma femme. Lorsqu’on connaît une personne depuis très longtemps, il est difficile de penser à elle sous un jour nouveau. Mais ce soir-là, le fait d’avoir vu Laurence souffrante m’a permis de poser un regard différent sur Christine. Comme si elle était quelqu’un d’autre. Quelqu’un qu’on pouvait blesser. Quelqu’un qui voulait être heureuse. J’ai pris sa main, je l’ai posée sur mes lèvres et je l’ai embrassée. «Je t’aime», lui ai-je soufflé.

L’image de Laurence enveloppée dans son châle, le visage livide, est devenue pour moi un repère. Chaque fois que je pense à elle, c’est comme si un sentiment d’amour protecteur pour ma femme montait en moi. Ce soir-là, la porte de l’infidélité, que j’avais laissée entrouverte, s’est un peu refermée. Et j’ai commencé à mesurer à quel point j’aimais ma femme.

Ce que les femmes ne réalisent pas, c’est que la plupart des hommes qui sont en couple baignent dans une culture de l’infidélité. Elle fait partie de nos vies. On a tous des amis qui ont trompé leur blonde. Quand on est en voyage d’affaires, on va aux danseuses, et nos collègues se paient des danses à 10 piastres. On ne raconte pas ça à nos blondes, évidemment. Il y a une entente tacite voulant que ce qui se dit entre gars doit rester entre gars. C’est en partie parce que, comme à l’école, on croit que ce n’est pas cool de «stooler»; mais aussi en partie pour des raisons beaucoup plus égoïstes: si on raconte ce genre de chose à notre blonde, elle va commencer à nous surveiller. La plupart des gars gardent en tête qu’ils auront peut-être une aventure un jour. Et dire la vérité à leur blonde risque de diminuer leurs chances de vivre cette aventure.

Vous vous dites que, non, votre mari – ou votre chum, ou votre père – ne pense pas comme ça. Pourtant, des études ont montré que tout ce qui distingue finalement les hommes infidèles de ceux qui sont fidèles, ce sont les occasions. Ça signifie que la plupart d’entre nous, même si on s’est engagés à être fidèles, envisageons la possibilité de tromper un jour notre blonde. Inconsciemment, on perçoit l’infidélité comme un passage secret qui nous permettra, si l’occasion se présente, de nous échapper de notre couple.

Cette perspective ressurgit lorsqu’on s’engueule avec notre blonde. Si ça ne va pas super bien au lit, on pense immanquablement à nos amis qui trompent leur femme et qui ne manquent pas de sexe. Cette idée peut donner à nos disputes une ampleur disproportionnée. À force de nous quereller avec notre blonde, on se met à réévaluer nos choix. On lui en veut non seulement pour le sujet de la dispute, mais aussi du choix conscient qu’on a fait de ne pas la tromper.

Même si j’ai pris conscience que j’aimais ma femme et même si je ne veux pas vivre sans elle, il m’arrive encore d’envier mes amis qui ont des aventures. Et de me sentir looser de ne pas en avoir.

Mon ami Marc a commencé à sortir avec sa conjointe lorsqu’il était très jeune. Quand je l’ai connu, ça faisait déjà 17 ans qu’ils étaient ensemble. Sa blonde a des problèmes affectifs. Elle a déjà tenté de se suicider en avalant de l’eau de Javel. Elle a aussi menacé de se jeter par la fenêtre de leur appartement. Leur relation rendait Marc si malheureux qu’il sortait tous les soirs. Lorsqu’il me racontait la vie secrète qu’il menait – les femmes avec qui il couchait, ce qu’elles lui racontaient -, tout ça m’apparaissait comme un monde rempli de promesses bien plus glamour que ma propre existence. Mais la blonde de Marc a fini par découvrir qu’il la trompait et elle l’a mis à la porte.

Il est passé d’un beau et grand appartement à un 2 ½ infesté de punaises, avec un voisin qui nourrissait son chat dans le couloir. La majorité de son argent s’est envolé en fumée. Lorsque je l’ai revu, je l’ai amené à l’épicerie pour lui acheter de la nourriture. Il avait plus de 45 ans, et son mobilier se résumait à un futon et à des caisses de lait. Il m’a confié qu’il ne parvenait plus à dormir, qu’il angoissait à l’idée que ses enfants se mettent à le détester, que son ex avait dévoilé à ses parents ce qu’il avait fait…

L’état lamentable de mon ami a été pour moi un coup de chance. Je lui parlais tous les jours, j’écoutais ses problèmes, je voyais combien il se sentait maintenant seul. Et même si j’enviais toujours Marc pour ses nombreuses partenaires sexuelles, je réalisais que ce qu’il vivait était en somme les véritables conséquences de l’infidélité.

Mais ce sont les histoires de filles de certains de mes amis qui m’ont fait comprendre combien l’infidélité était tout sauf glamour. En observant les hommes autour de moi, je me suis rendu compte qu’en vieillissant beaucoup envisagent de faire appel à la prostitution. Sans doute parce que leur emploi du temps est de plus en plus chargé et qu’ils disposent de plus d’argent. Et en couchant avec un grand nombre de femmes, ils finissent par se convaincre qu’ils sont aussi charismatiques que James Bond.

Parmi mes amis, il y en a un qui installe des lignes téléphoniques, un autre qui travaille à la morgue, un autre pour une agence de publicité, plusieurs sont dans la construction, d’autres sont journalistes, investisseurs pour des banques, agents immobiliers, acteurs, musiciens… Seulement quatre d’entre eux n’ont jamais couché avec une escorte ni demandé un petit extra dans un salon de massage. Dernièrement, un ami m’a raconté qu’un soir, alors qu’il entrait justement dans un salon de massage, sa femme l’a appelé sur son cellulaire. Il n’a pas répondu mais, en sortant, il a écouté le message qu’elle lui avait laissé. C’était en fait son fils qui voulait lui souhaiter bonne nuit.

Une fois, alors que j’étais en voyage d’affaires à l’étranger, un représentant nous a amenés, mon patron et moi, dans un bordel. Mon patron est un bon gars, drôle et affable. Il a un fils trisomique pour lequel il a beaucoup d’affection. Il a aussi un grand respect pour sa femme, qui a choisi de s’occuper de leur enfant à temps plein. Ça n’empêche pas que nous nous sommes retrouvés tous les deux dans une pièce en compagnie d’une brochette de filles russes. Elles étaient en maillot, assises côte à côte sur un divan et regardaient un téléviseur qui était vissé au plafond. Mon patron et le représentant sont allés dans les chambres du fond. Moi, je suis resté là. Je les avais suivis jusqu’au bordel sans trop savoir où nous allions, et la principale raison pour laquelle je n’ai pas quitté cette pièce, c’est parce que je ne voulais pas que quelqu’un du bureau puisse me reprocher quoi que ce soit. Les deux autres étaient souls. Ils n’ont pas remarqué que j’étais resté seul tout ce temps.

La situation était tellement crue que, soudain, toutes les raisons pour lesquelles j’aurais trompé ma femme – «si seulement j’étais avec une autre, je serais différent», «le problème, c’est ma blonde, pas moi» – me sont apparues comme un non-sens.

Quand je suis triste ou contrarié, il m’arrive encore de penser que, si j’étais avec quelqu’un d’autre, ma vie serait plus belle. Cette idée s’insinue sournoisement dans ma tête. Si je croise une belle fille dans la rue, je pense au fait d’être jeune, puis je me mets à m’imaginer que je suis avec cette fille et, soudain, je suis de nouveau jeune. J’associe le fantasme d’être jeune avec celui d’être avec cette fille. Mais j’arrive mieux qu’avant à me ressaisir. Je sais comment l’engrenage de ces idées s’enclenche dans mon esprit et je suis capable de le désamorcer à temps.

Je me suis rendu compte que les années que j’ai passées avec Christine m’ont rendu plus heureux. Parfois, lorsque je l’attends dans un restaurant, il m’arrive de prendre une autre femme pour ma blonde. Tout à coup, mon coeur s’emballe… Je réalise que je souris.