Spécialiste en informatique, Murray est un modèle d’organisation. «Je n’ai pas le choix, dit-il en pointant son agenda hebdomadaire. Lundi, je vois mon ex-femme;mardi, je passe la soirée avecun couple que je fréquente; mercredi, je vois Sandy, ma partenaire principale; jeudi, c’est ma journée de congé, puis je passe le weekend avec Sandy», laisse tomber ce New-Yorkais de 47 ans.

 

 

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Sagement assise à ses côtés dans un petit café du quartier Lower East Side, Sandy sourit. Quand Murray passe la nuit avec son ex-femme ou une autre de ses flammes, Sandy ne se languit pas en tricotant devant la télé. Elle est généralement dans les bras de Stewart, son «régulier» en second, ou d’un de ses amants qu’elle voit à l’occasion. Contrairement aux apparences, Sandy et Murray ne sont ni échangistes ni polygames. Ils sont «polyamoureux». Lire: ils entretiennent chacun plusieurs relations amoureuses en même temps, avec la bénédiction de leur douce moitié «officielle». «Mais on reste chacun le partenaire principal de l’autre», précise Murray. «C’est important; ça assure une certaine stabilité», ajoute Sandy. Les deux tourtereaux, qui se sont rencontrés en 2004 au cours d’une randonnée, semblent n’avoir aucun secret l’un pour l’autre. «J’étais avec Sandy quand elle a rencontré Stewart», note Murray en lui prenant la main. Déboussolant? Attendez de lire l’histoire de Terisa Greenan!

Cette dernière a lancé en novembre 2008 une websérie librement adaptée de son style de vie hors norme, intitulée Family, et accorde moult entrevues aux médias pour en parler. Depuis plusieurs années, l’actrice et réalisatrice habite à temps plein avec ses deux compagnons, Scott et Larry. Les fins de semaine, les trois tourtereaux sont rejoints par Matt et Vera, un couple, ainsi que par leur fils de 7 ans. Matt est intime avec Terisa, tandis que Vera, elle, batifole avec Larry, le mari officiel de Terisa. Quant à Scott, s’il se sent délaissé, il peut toujours aller rejoindre une autre femme qu’il fréquente en dehors du quintette! Cet arrangement, qui a de quoi donner des maux de tête à n’importequel monogame, semble pourtant durable. «Ça fait 12 ans que je suis avec Scott, et Larry nous a rejoints il y a 9 ans», précise Terisa avec fierté.

Beaucoup d’organisation!

Dans la jeune quarantaine, Terisa est une grande brune dynamique qui ne cache pas les raisons de son choix de vie. «Il m’est très difficile d’être monogame. Je me sentais frustrée quand je l’étais, car j’ai besoin de variété, d’un point de vue sexuel, mais aussi émotionnel et intellectuel, explique-t-elle. C’est très libérateur, très excitant de fréquenter plusieurs hommes. Ça rend ma vie beaucoup plus riche.»

Le revers de la médaille? «Plus vous ajoutez de monde, plus ça se corse. Chaque conversation comporte un troisième point de vue, et il faut toujours davantage de planification que si on fonctionnait à deux», dit-elle. Et, naturellement, la jalousie n’est jamais très loin. Larry n’a pas forcément trouvé drôle de voir Terisa commencer à fréquenter Matt, pas plus que Scott n’a sauté de joie en entendant pour la première fois sa compagne faire des cabrioles avec un autre homme sous leur toit. Des heures et des heures de palabres s’en sont suivies. «Dans une relation à plusieurs, on doit constamment s’assurer que les besoins de chacun sont comblés, que personne ne se sent laissé pour compte ou négligé. C’est beaucoup de boulot!» s’exclame Terisa. Étant passés par les mêmes hauts et les mêmes bas que cette dernière, Murray et Sandy admettent en chœur qu’«être poly, ce n’est pas pour tout le monde».

Difficiles à dénombrer – aucune statistique officielle n’existe -, les polyamoureux seraient un demi million aux États-Unis, si on en croit Robyn Trask, responsable de l’organisme et du magazine Loving More, la bible des adeptes de ce mode de vie. En trios ou en quatuors (pensez ménages à trois ou à quatre), ils peuvent aussi bien décider d’être «fidèles» à un certain nombre de partenaires que d’être totalement volages. «Les possibilités sont infinies», précise Justen Bennett- Maccubbin, responsable de l’organisation new-yorkaise Polyamorous NYC. «L’important, c’est d’être honnête avec l’autre ou les autres.»

Quoique marginaux, les adeptes de ce mouvement sont toutefois de mieux en mieux organisés. Ils comptent désormais des dizaines de groupes de rencontres aux quatre coins du pays, une multitude d’organisations, et ils tiennent divers évènements annuels, dont une journée de la «fierté poly». Dix-huit ans après la création du groupe de discussion Internet «alt.polyamory» par Jennifer L.Wesp, de nombreux blogueurs vantent aujourd’hui quotidiennement les vertus de la non-exclusivité amoureuse. Sans parler de la flopée de livres qui ont récemment été publiés sur le sujet, dont Open, de Jenny Block, ou Opening Up, de Tristan Taormino. Et les médias grand public se sont eux aussi lancés dans la danse: MTV a notamment diffusé l’automne dernier un documentaire sur de jeunes polyamoureux dans sa série True Life. «Oui, nous le voulons»

S’inspirant du mouvement gai, les polyamoureux sont de plus en plus revendicateurs. Alors que la question du mariage entre conjoints de même sexe est encore extrêmement controversée aux États-Unis, ils ont commencé à réclamer le droit de se marier à trois et plus. Naturellement, la droite conservatrice n’a pas tardé à grimper dans les rideaux devant une telle demande. Bill O’Reilly, un animateur de télévision conservateur, a été un des premiers à sonner l’alarme. «J’avais dit que si on acceptait le mariage gai, on allait devoir accepter les mariages à plusieurs», a-t-il vitupéré sur les ondes de Fox l’année dernière. Murray, notre spécialiste en informatique du début, croit cependant que de nombreux arguments militent en faveur de l’institution du mariage: «Une union légitime permet de partager des assurances santé, d’accompagner son partenaire à l’hôpital en cas d’urgence, de prendre des décisions pour un compagnon ou une compagne qui est très malade… Ce que ne peuvent malheureusement pas faire, dans certains cas, des gens qui vivent ensemble depuis 20 ans parce qu’ils ne sont pas mariés.»

Sur l’île Maui, à Hawaï, Janet et ses deux compagnons, Sasha et Shivaya,n’ont pas attendu qu’une loi quelconque soit adoptée pour se promettre de se prêter mutuellement assistance. À l’occasion de la nouvelle année 2007, ce trio a réuni quelques amis au bord de l’eau et a organisé une cérémonie sous des feux d’artifice. «On savait que ç’allait être un moment particulièrement romantique, alors, juste avant minuit, on a échangé nos voeux tous les trois, avant de célébrer jusqu’aux petites heures», se remémore Janet Lessin. «Ce qu’on a réalisé à ce moment-là, poursuit Sasha, c’est qu’on voulait avoir la possibilité légale de se marier, pour avoir les mêmes droits que les autres individus.» Janet et Sasha Lessin, qui sont à la tête de la World Polyamory Association, ont vécu sept ans avec Shivaya avant que celui-ci quitte Hawaï il y a quelques mois.

Les enfants du polyamour Bien que la question du mariage à plusieurs fasse plus souvent les manchettes qu’auparavant, elle n’est pas une priorité pour la plupart des polyamoureux, qui ont des préoccupations plus prosaïques. Ils souhaitent notamment pouvoir «sortir du placard» sans être montrés du doigt ni risquer de perdre leur emploi ou la garde de leurs enfants. En effet, depuis un cas célèbre datant de 1999 – où une mère s’est fait retirer la garde de sa fille par les tribunaux parce qu’elle entretenait des relations polyamoureuses-, bon nombre de «polys» craignent que l’histoire se répète.

À Seattle, Terisa Greenan, qui prend souvent soin du petit de Matt et de Vera, en plus de songer à devenir mère elle-même, trouve injuste de retirer aux couples polyamoureux la garde de leurs bambins. «L’enfant de Matt et de Vera est très proche de moi. Je l’aime comme s’il était mon propre fils et il m’appelle sa « seconde mère ». À nous tous, nous prenons formidablement bien soin de lui. Il sait qu’il peut compter sur plusieurs adultes, que ce soit pour aller le chercher à l’école ou pour l’aider dans ses devoirs. Je crois qu’il a une vie extrêmement riche et gratifiante.» Professeure de sociologie à l’Université d’État de Géorgie, Elisabeth Sheff est une des rares personnes à avoir mené des recherches sur les enfants de couples polys. Même si elle admet que ses échantillons étaient trop limités pour être significatifs sur le plan scientifique, elle soutient que les familles qu’elle a étudiées «fonctionnent fort bien». «Jusqu’à présent du moins, les parents comme les enfants disent que ce type de relation permet de répondre aux besoins des petits. Ceux-ci reçoivent davantage d’attention, et ils ont plus de ressources parce que les parents mettent en commun leurs revenus», soutient la chercheuse.

Toutefois, elle reconnaît que les couples de ce type ne sont pas les plus stables qui soient. «Certaines des personnes que j’ai interrogées sont ensemble depuis 35 ou 40 ans. Mais je suis convaincue que les relations polyamoureuses ont un taux de « roulement » plus élevé que les relations monogames. La raison est simple: plus vous avez de monde, plus vous avez de chances que quelqu’un parte», note-t-elle.

À New York, Murray et Sandy ne cachent pas que c’est un mode de vie exigeant. Le couple traverse d’ailleurs quelques difficultés depuis que Sandy a rencontré Stewart. «Je suis tombée follement amoureuse, et aimer deux personnes à la fois me perturbe parfois un peu sur le plan émotif», admetelle. À ses côtés, Murray opine de la tête et conclut: «Être poly, c’est un peu comme être dans des montagnes russes. C’est excitant mais ça peut aussi être terrifiant par moments.»

 

Polyamour ou polygame ?

Pour ses partisans, le polyamour (littéralement «plusieurs amours») est aux antipodes de la polygamie («plusieurs mariages»). «Quand on parle de polygamie, on fait généralement référence à des hommes qui peuvent épouser autant de femmes qu’ils le souhaitent. Il s’agit d’une forme d’assujettissement. Alors que le mouvement polyamoureux permet aux hommes comme aux femmes d’avoir plusieurs partenaires», se félicite Robyn Trask, responsable de l’organisme et du magazine américains Loving More. La militante est en outre persuadée que ce type de relations rend les femmes plus indépendantes et plus fortes. Assez étonnamment, la plupart des figures de proue du mouvement aux États-Unis sont d’ailleurs des femmes. La raison? «Elles sont davantage prises au sérieux, soutient Robyn Trask. Les hommes qui font du militantisme sont souvent vus comme des gars qui veulent juste coucher à droite et à gauche, tandis que les femmes sont plus écoutées quand elles s’expriment sur le sujet.»

 

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