FORTS ET FRAGILES À LA FOIS

On rêvait d’êtres sensibles. Vous l’êtes! Quels mâles de la planète accepteraient de parler à coeur ouvert de leurs états d’âme devant une caméra durant toute une fin de semaine? Vous. C’est le propos de Ni rose ni bleu (2004), le documentaire coup-de-poing sur la condition masculine. Des cas, ces gars? Non. Un policier, un homme d’affaires, des mâles comme vous, quoi.

«Ma mère vit en France et elle a fait voir mon film à plusieurs personnes là-bas», raconte le réalisateur Joël Bertomeu. «La réaction a été unanime: jamais des Français ne se livreraient ainsi.» Le résultat, c’est vrai, a passablement dérangé quelques-uns d’entre vous, dont le chroniqueur de La Presse Yves Boisvert qui a écrit à propos du film: «On dirait des gars dessinés par un magazine féminin: tendres et virils.» Mais vous êtes ainsi faits!

Des doux sous vos airs de dur de dur. On a dit «doux», pas mous, comme le laisse entendre Charles Paquin dans son essai caustique L’homme Whippet. Des tendres, c’est différent. «Mon chum est très sensible, confie Emmanuelle. Au bureau, c’est un boss, un vrai. Le human interest, ce n’est pas son truc. Mais avec moi, il est tout le contraire. Je vis des choses difficiles depuis un certain temps et, quand il voit que ça ne va pas, il n’hésite jamais à prendre congé pour rester avec moi…»

Ma copine Lysiane, née en France et qui habite depuis plusieurs années avec un Québécois, en rajoute avec enthousiasme: «Les Québécois sont capables de se confier, de parler en ami à une fille de ce qu’ils ressentent. Je les trouve touchants.» Mais – on vous le concède – sur le plan émotif, on n’est pas forcément cohérentes dans nos attentes. Ceux d’entre vous qui se sont risqués à se peindre l’âme et la garde-robe en rose l’ont vite compris: ce n’est pas ce qu’on avait commandé au magasin. C’est même plus compliqué que ça encore: ce qu’on veut, on a un peu peur de l’avoir. Si vous pleurez, si vous nous avouez que vous avez mal, que vous avez peur, sur qui on va s’appuyer, nous?

«Les filles doivent accepter que nous ne soyons pas des murs de brique, constate Joël Bertomeu. Nous avons droit à nos feelings. Mais ça ne nous empêche en rien d’être également des conquérants!»

Une «bonne nouvelle» ne vient jamais seule: le psychanalyste Guy Corneau rapporte que «le féminin n’a pas le monopole de la sensibilité. Selon les dernières études scientifiques en neurobiologie, les femmes seraient davantage du côté de la logique. Et les hommes seraient davantage reliés à leur cerveau droit, celui des émotions.» Tout un scoop, hein? Après tout, pas tant que ça. Vous le saviez sans doute depuis belle lurette. Et au fond, nous aussi…

Illustration: Maud Gauthier

 

LES ROIS DE LA CONCILIATION

Eh oui, on râle, on râle, mais il faut bien l’admettre: question partage des tâches et quotidien domestique, vous en faites plus que n’importe quel homo europeanus, africanus et sud-americanus connu. Vous cuisinez les magrets de canard comme des chefs et vous avez depuis longtemps apprivoisé cet animal sauvage qu’est la machine à laver. Surtout, vous savez désormais que votre prestige de président de compagnie ne sera aucunement terni si on apprend que vous vous occupez de vos enfants. «De jeunes loups de la business arrivent régulièrement en retard à mes cours parce qu’ils déposent leur petit à la garderie», rapporte une formatrice en entreprise. «L’autre matin, mon chum, qui dirige le Conseil permanent de la jeunesse, a dû emmener notre fille d’un an à un déjeuner d’affaires important, et ça ne l’a aucunement dérangé, raconte Emmanuelle. Au contraire.»

Quant au partage des tâches, il est de plus en plus souvent inscrit dans votre agenda. La tendance est là, et c’est une spécialiste, Diane-Gabrielle Tremblay, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir, qui le dit. Bon, elle ajoute que «dans certains cas, il est question de quelques heures par semaine, dans d’autres, d’une véritable division moitié-moitié», mais on ne va pas chipoter… Dans tous les cas, c’est vous qui en faites le plus au pays à ce chapitre, selon une récente étude canadienne. Vous voudriez même accélérer la cadence, mais le monde du travail n’évolue pas forcément, hélas, au même rythme… Selon Mme Tremblay, «dans bien des entreprises, patrons et collègues tiquent encore lorsqu’un père demande à s’absenter pour accompagner son enfant à un rendez-vous. Il risque de se faire répondre: “Ta femme ne pourrait pas s’en occuper?”»

Les autres représentants de la gent masculine n’évoluent pas non plus au même rythme. Comme le dit si bien Laurence: «Un Français ouvre le frigo et entonne “Y a plus de lait”, telle une incantation. Sans bouger. Un Québécois? Il constate le fait, enfile son manteau et part acheter un litre au dépanneur. En outre, on ne trouve pas chez lui ce machisme qui tient le Français à distance respectable de la balayeuse!» Dans quel autre pays verrait-on des politiciens démissionner pour des «raisons familiales», comme l’ont fait l’ex-premier ministre Lucien Bouchard et l’ex-ministre Joseph Facal? (Joli prétexte pour masquer des raisons plus obscures? Peut-être… N’empêche que tous deux invoquent quand même des raisons «familiales».)

Alors pour une fois, on vous lâche les baskets. On cesse une minute de vous réclamer l’impossible – comme le chante Beau Dommage dans Échappé belle: «Il faudrait pour lui plaire être un bum au grand coeur, l’enlever en moto en citant du Rimbaud, mais revenir à temps pour le biberon d’quatr’heures» – et on y va d’un: «Cool, les gars, continuez!»

Illustration: Maud Gauthier

100% AUTHENTIQUES

Les Italiens nous servent des bellissima à tout bout de champ, les Marocains nous appellent gazelle, et vous… vous parlez vrai. Don Juan, c’est bon pour la scène. La séduction impénitente, ce n’est pas votre tasse de thé. «Le Québécois est trop authentique pour bien draguer, croit Joël Bertomeu. Pour séduire, il faut un peu mentir.» Vous, vous êtes d’un bloc. Façon What you see is what you get. Le style Guy dans Un gars, une fille. Et ça nous plaît. Bien sûr, on ne vous cachera pas qu’on aimerait parfois que vous nous complimentiez un peu plus sur notre bonne mine ou notre nouvelle robe. Mais à part ça, on vous préfère mille fois à ces vulgaires baratineurs dont on ne devine que trop les visées inavouables. Alors que vous, vous avez le courage de nous aimer pour ce qu’on est. Et puis, en ces temps troubles de scandales financiero-commandito-politiques, l’authenticité est une valeur sûre.

Vous comprendrez pourquoi on ne vous échangerait pour aucun modèle exotique. Surtout lorsqu’on écoute nos copines néo-Québécoises. «Ici, les hommes sont plus faciles à cerner, plus vrais, dit Lysiane. Ils jouent moins un jeu, et leur ego est moins surdimensionné que celui de bon nombre d’Européens.» Cela dit, vous n’arrivez cependant pas en modèle unique. Selon une étude récente de la maison de sondage CROP, le masculin québécois est pluriel: il y a le «narcissique», le «frais», le «postmoderne»… Mais vous êtes fidèles à vous-mêmes: les deux catégories dominantes du sondage sont en effet le «pratico-pratique» et le «gars ben ordinaire». Le «pratico-pratique» abhorre le flafla et se reconnaît dans des images d’hommes forts et virils qui savent se rendre utiles auprès des femmes. Le «gars ben ordinaire» surfe sur l’hédonisme et la nonchalance, il est décontracté et relax. C’est tout vous! Heureux mélange, qui donne un résultat irrésistible. Y compris côté sexe… «Les Québécois sont bien moins coincés que les Américains», se réjouit une Québécoise d’origine étrangère. «Ils parlent davantage de sexe et ils le vivent de façon plus ouverte, plus drôle. Ce qui les rend très sexy!» Bref, qu’est-ce qu’on s’en fout si vous ne gagnez pas la médaille d’or de la drague. Vivre avec un gars authentique, quel plaisir!

Illustration: Maud Gauthier

 

DES PAPAS POULES

Père manquant, fils manqué: le moins qu’on puisse dire, c’est que vous avez compris le message. Même Guy Corneau, auteur de la formule, l’admet: «Pour un jeune homme actuel, être un père qui ne s’occuperait pas du tout de ses enfants est presque impensable.»

Y a qu’à jeter un coup d’oeil dans les parcs, les pataugeoires ou à la sortie des garderies pour le vérifier: vous êtes là. Craquants, avec ça. C’est vous d’ailleurs qui passez le plus de temps avec vos enfants au pays, selon une étude pancanadienne. Votre paternité, vous ne l’affichez pas que dans la publicité: vous la vivez. Avec bonheur.

«Mon chum se lève systématiquement la nuit pour la petite, raconte une jeune mère. Et jusqu’à maintenant il a été présent à tous les rendez-vous chez le pédiatre. Sa fille, il l’adore.» Il n’est pas le seul en son genre. Vous êtes de plus en plus nombreux chaque année à profiter du congé parental: en 2003, 10 % de ces congés ont été pris par des hommes. Ce n’est pas encore la folie, mais c’est tout de même trois fois plus qu’en 2001. Par ailleurs, la garde partagée a aidé bon nombre d’entre vous à vous rapprocher de vos enfants. «Le filtre de la mère n’interférant plus entre mes deux enfants et moi, j’ai établi une relation qui est en prise directe avec eux, atteste Michel. Et à ma façon.» Et vlan, une pierre dans notre jardin. Justifiée? Heu… «Ma blonde pense qu’elle fait tout mieux que moi», déclarait il y a quelque temps un jeune père dans La Presse.(2004) «Après l’accouchement, même atteinte de fatigue extrême, elle me surveillait quand j’essayais de faire ma part pour le ménage ou pour m’occuper de Léo. Ça m’énervait!» C’est vrai, on a tendance à penser que rayon parents, on est les meilleures. Vous faites les choses autrement certes, mais pas moins bien pour autant, nous rappelle une étude sur la paternité réalisée par l’Institut Vanier de la famille. Exemples? «Le fait de “prendre l’enfant” est aussi fréquent chez les deux parents. Seulement, les pères le font davantage dans un contexte de jeu, et les mères, dans un contexte de soins.» Ou encore, «les pères manifestent plus fréquemment que les mères des “comportements non conventionnels” qui déstabilisent l’enfant (taquineries, moqueries, etc.), mais qui lui permettent de développer ses habiletés d’auto-contrôle». Affirmation suivie d’un témoignage: «Lorsque mon mari prenait Jérôme et qu’il s’amusait à le lancer dans les airs, j’aimais mieux ne pas les regarder. J’entendais le petit rire à gorge déployée, mais j’espérais que le tout ne se termine pas en pleurs.» Mamans, vous reconnaissez-vous? Promis, les papas, on vous laissera paterner comme bon vous semble. Ce sera dur, mais on essaiera. Parce que, une fois passé les neuf mois préalables pour vous faire à l’idée, vous êtes vraiment des super-pères!

 

Illustration: Maud Gauthier

AMOUREUX ENGAGÉS

Quand je pense qu’on vous reproche sans cesse d’être volages et incapables d’engagement… Vous savez quoi? On se trompe royalement! Et on a même la preuve de nos égarements. Selon une mégaétude menée dans 56 pays auprès de quelque 19 000 hommes et femmes, vous êtes non seulement prêts à vous engager en amour, mais vous êtes parmi les hommes de la planète qui sont le plus disposés à le faire! «Alors que les Québécoises se classent dans l’honnête moyenne des femmes, les Québécois se démarquent vraiment de la tendance mondiale masculine», rapporte Marguerite Lavallée, de l’École de psychologie de l’Université Laval, qui a participé à l’étude. En fait, vous êtes prêts à vous attacher autant que nous (voire un peu plus).

Du coup, vous devenez l’exception en terre nord-américaine. «Partout ailleurs (sauf au nord-est des États-Unis), l’écart entre le désir d’attachement des hommes et des femmes est net, dit la chercheuse. Les hommes montrent toujours, et de loin, le moins d’empressement.» Bref, disons-le: vous êtes des perles rares. Même si la pub, le ciné et les magazines s’obstinent à vous camper dans le rôle des salauds de service, à vous «stéréotyper» en modèle gars-de-bar-qui-butinent-de-fille-en-fille. Et même si nous, on s’entête à faire une fixation sur le flamboyant play-boy qui nous fera verser des larmes de sang.

Suffit de regarder un peu autour de nous – les amis de nos copines ou nos confrères de travail – et on le voit bien: plusieurs d’entre vous répondent présents à l’amour, du moins autant que nous. C’est eux, vous, qu’on sent dans ce sondage. Cette recherche montre autre chose: la notion de fidélité n’est pas uniquement une affaire «biologique». La société où l’on baigne (style de vie, normes, valeurs) a aussi une influence. «Avant, les Québécois savaient que, malgré leurs fredaines, ils pourraient réintégrer le foyer sans trop de dommages.

Aujourd’hui, les femmes sont libres, socialement et sexuellement. Les hommes sont plus susceptibles de les perdre, d’où un plus grand besoin d’attachement», note Marguerite Lavallée. Possible aussi, suppute encore la chercheuse, «que les Québécoises émancipées fassent des compagnes plus intéressantes. Ce qui donnerait moins envie à leur conjoint d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte.» À vous de nous le dire…

En attendant, remettons les pendules à l’heure: vous n’êtes ni des écœurants ni des saints. Juste des humains. Parfois de mauvaise foi, souvent de bonne volonté. Voulez-vous qu’on vous confie un secret? Pas besoin d’enquête, on le savait déjà, puisqu’on vit avec vous. Mais si on ne cassait pas de sucre sur votre dos, nos soupers de filles seraient bien moins rigolos…

Illustration: Maud Gauthier

Article publié originalement dans le magazine ELLE QUÉBEC

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