Quand Claire a commencé à fréquenter le musicien qu’elle avait rencontré pendant un séjour à New York, il y a deux ans et demi, elle ne donnait pas cher de leur relation. Et pourtant… «Au fil des mois, on s’est rendu compte que l’éloignement n’était pas une raison de mettre une croix sur notre histoire d’amour, racontet- elle. Bien sûr, il y a eu des moments difficiles, mais ça n’a jamais été lourd. Grâce à mes déplacements professionnels aux États-Unis et aux horaires flexibles de David, on a réussi à se voir toutes les deux ou trois semaines, en plus des vacances qu’on passait ensemble.» Résultat? Après moult allers-retours entre Montréal et New York et d’innombrables soirées à jaser sur FaceTime, les amoureux ont décidé d’emménager ensemble dans la Grosse Pomme.

Avez-vous remarqué? Il semble y avoir davantage de couples qui vivent une relation à distance, comme Claire et David. Selon Statistique Canada, le nombre de personnes faisant partie d’un «mariage de navetteurs» (couples mariés ou en union libre qui n’habitent pas ensemble) a grimpé de 131 000 en 2001 à 240 000 en 2011.

«Il y a toujours eu des conjoints qui résident loin l’un de l’autre, notamment à cause des guerres et de l’immigration», affirme l’historienne Elizabeth Abbott, auteure d’Une histoire du mariage. «Ce qui a changé, ce sont les raisons qui poussent les gens à partir.» Aujourd’hui, on peut par exemple déménager au loin pour décrocher un emploi quand on n’en trouve pas dans sa région ou pour obtenir de l’avancement dans son secteur d’activité. Et on a désormais accès à des commodités qui facilitent ce genre d’union: médias sociaux, communications gratuites ou à faible coût, moyens de transport rapides, politiques d’entreprise (télétravail, horaires flexibles, etc.).

Une étude de l’université américaine Cornell parue l’an dernier concluait même que les amoureux qui vivent à distance sont aussi heureux (sinon plus) que ceux qui habitent ensemble. La raison: ils ont tendance à idéaliser leur partenaire et à se dévoiler davantage à l’autre. Est-ce vraiment le cas? Nous avons demandé à la psychologue et auteure Rose-Marie Charest de nous éclairer sur ce sujet.

Voyez-vous beaucoup de conjoints qui habitent dans des villes ou des pays différents?

Il y a effectivement des jeunes autour de moi qui vivent une relation à distance. Je crois que ce mode de vie est de plus en plus accepté. Pour bien des personnes, la réussite professionnelle constitue une valeur prioritaire, et c’est la raison pour laquelle autant de gens acceptent de poursuivre leurs études ou d’occuper un emploi loin de chez eux. Aujourd’hui, on adapte le couple à la vie professionnelle, alors qu’on n’aurait pas fait ça il y a 20 ans.

Qu’est-ce qui caractérise ces couples?

Une relation amoureuse se définit par trois grandes composantes: la passion, l’intimité et l’engagement. Le fait de désirer l’autre et de l’imaginer, le bonheur qu’on ressent en le retrouvant, tout ça entretient la passion. En ce qui concerne l’intimité, soit la possibilité d’avoir accès au monde intérieur de l’autre, elle est probablement moins grande chez les conjoints qui ne partagent pas le quotidien de l’autre. Or, c’est le quotidien qui fait que nous baissons la garde et nous permet de révéler le meilleur de nous-même… et le pire. On peut donc présumer que, lorque les conjoints vivent loin l’un de l’autre, ils ne dévoilent pas certains côtés d’eux, car ils peuvent davantage contenir leurs humeurs. De plus, comme ils se voient rarement, ils essaient de garder le meilleur pour les retrouvailles.

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D’un autre côté, les moyens de communication modernes leur permettent de partager une partie de leur quotidien avec l’autre, malgré l’éloignement. J’irais même plus loin: il y a des choses qu’on ose écrire par texto ou par courriel, mais qu’on ne se permettrait pas de dire de vive voix. Il est possible qu’on exprime davantage nos sentiments et nos émotions par écrit, car on peut alors contrôler ce qu’on révèle. C’est d’ailleurs ce contrôle sur ce qu’on communique qui fait la différence. Quand l’autre est près de nous, il nous voit comme nous sommes, y compris les côtés de notre personnalité dont nous ne sommes pas fiers.

Quel conseil donneriez-vous aux couples qui choisissent de vivre à distance pendant une certaine période?

Il est essentiel que les deux conjoints décident ensemble de la façon dont ils vivront cet éloignement. Si un des deux impose sa décision à l’autre et que ce dernier accumule les frustrations durant la séparation, reprendre la vie commune sera ensuite très difficile. Il faut donc parler de ce choix avant et pendant la période d’éloignement.

Comment gérer cette relation au quotidien?

D’abord, il faut établir un mode de fonctionnement: combien de temps est-on prêts à tenir? Quelles sont les règles qu’on veut adopter, notamment au sujet de la fidélité? On doit aussi résoudre les conflits dès qu’ils se présentent, car si on attend, notre barda sera trop lourd le jour où on vivra de nouveau ensemble. Enfin, il est important d’exprimer nos sentiments, de prêter attention à l’autre, d’avoir de l’empathie pour lui… À distance, c’est facile de ne pas s’attarder aux malaises de son conjoint ou de ne pas décoder ses humeurs, mais, justement, il faut s’y arrêter si on veut construire une relation.

Lorsque notre amoureux habite loin, ne court-on pas le risque d’entretenir une relation basée sur l’illusion?

C’est en effet plus risqué, car on est tous à la recherche de l’amour idéal. Or, quand l’autre est loin, on est davantage portés à l’idéaliser. Ceci dit, les conjoints qui se fréquentent tous les jours peuvent aussi se bercer d’illusions: ils peuvent vouloir l’amour au point de s’aveugler sur l’autre ou sur les difficultés que traverse leur couple… Il faut se poser des questions: estce qu’il m’est souvent arrivé d’être amoureuse de partenaires éloignés, soit par la distance, soit par l’émotion (par exemple quelqu’un qui n’est pas libre ou qui a des problèmes de dépendance)? Est-ce que j’aime l’autre malgré le fait qu’il soit loin ou parce qu’il est loin? Si c’est le cas, peut-être est-ce notre propre peur de l’intimité et de l’engagement qui nous fait choisir, inconsciemment, des relations à distance.  

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TÉMOIGNAGES

«J’ai dû m’occuper seule de notre fillette pendant un an et demi»

«Quand mon chum s’est fait proposer un contrat à San Francisco, je ne sautais pas de joie à l’idée qu’il s’en aille. Notre petite fille avait seulement 18 mois et j’appréhendais le fait de devoir m’en occuper seule si longtemps. Mais cet emploi offrait de belles perspectives de carrière à mon conjoint et je ne voulais pas l’en priver. Finalement, ça s’est relativement bien passé… même si ça n’a pas toujours été facile. Au quotidien, j’ai beaucoup couru et j’ai sacrifié ma vie sociale. Cela dit, j’ai reçu de l’aide de ma famille et j’ai appris à lâcher prise à propos du ménage et du lavage. Je me suis alors rendu compte que j’étais capable de m’en sortir sans mon conjoint.

Sur le plan relationnel, je crois que notre confiance en l’autre et le contact que nous avons gardé nous a sauvés. On se voyait tous les trois mois et on se parlait au téléphone tous les deux jours, en plus de nos conversations quasi quotidiennes sur Skype. J’ai réalisé qu’il ne fallait pas garder ses frustrations pour soi et j’ai aussi essayé de nourrir notre amour à l’aide de petites attentions (une jolie carte, des textos doux). Finalement, je crois que nous sommes plus proches aujourd’hui, car nous avons réussi à surmonter cette épreuve.» -Geneviève, 33 ans, informaticienne

«Je revivrais une relation à distance sans hésiter!»

«Il y a quelques années, j’ai eu le coup de foudre pour un homme qui résidait dans une petite ville de l’Ontario, à six heures de route de Montréal. Il était clair dès le départ que nous n’emménagerions jamais ensemble. Ça ne nous a pas empêchés de vivre une magnifique histoire d’amour pendant trois ans.

On se voyait chaque fin de semaine et on prenait toutes nos vacances ensemble. Il me réveillait aussi chaque matin en m’appelant sur Skype, me téléphonait tous les midis pour me souhaiter bon appétit et on passait quasiment toutes nos soirées à discuter en ligne.

Même si les déplacements étaient un peu fatigants, j’ai beaucoup aimé le côté piquant que procurent l’éloignement et la magie de nos fins de semaine. On se gâtait en soupant avec des amis, en assistant à des concerts, en s’offrant des soins dans des spas. En même temps, moi, je n’avais aucun sacrifice à faire car, pendant la semaine, je sortais le soir, je suivais des cours… C’était vraiment le fun!» -Hannah, 28 ans, hygiéniste dentaire

«Quand on est loin, il faut plus de manifestations d’amour, plus de confidences»

«Je suis tombée en amour avec Jean au cours d’un voyage en Gaspésie. À l’époque, j’habitais Montréal, et lui était installé à Sherbrooke. Nous avons fait la navette entre nos deux villes pendant deux ans, avant d’emménager ensemble dans la métropole l’année dernière.

J’avoue que ç’a été une période un peu folle! Pour mieux faire connaissance, on s’envoyait des centaines de courriels et on passait un temps fou au téléphone et sur FaceTime. On a aussi parcouru des milliers de kilomètres pour se retrouver les fins de semaine et goûter un peu à cette vie quotidienne en couple qui nous manquait tant.

Après deux ans de voyagements, j’étais cependant épuisée. Ma vie sociale avait périclité, elle aussi, car mes amis n’étaient pas tellement disponibles les soirs de semaine. Par contre, j’admets que cet amour à distance comportait certains avantages: en plus de pouvoir vivre comme bon nous semblait, mon chum et moi, on ne s’engueulait jamais à cause des tâches ménagères et on partageait du temps de qualité ensemble.» -Isabelle, 40 ans, enseignante

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