LE CRI DU COEUR DES HOMMES

Seriez-vous étonnée d’apprendre que les deux tiers des Québécoises sont insatisfaites de leur corps? Pas vraiment… Et si on vous disait que 92 % des hommes vivant en couple trouvent la silhouette de leur conjointe bien comme elle est, vous sursauteriez sans doute. Pourtant, c’est ce pourcentage qui figure dans le sondage que CROP a réalisé pour notre magazine. En d’autres mots, les hommes apprécient ce corps… que nous n’aimons pas. Cherchez l’erreur.

«92 %?» demande Danny, 33 ans, sourire en coin. «Leur copine était-elle assise sur leurs genoux quand ils ont répondu au sondage?» Blague à part, si ce pourcentage élevé peut être attribué, pour une légère part, au sentiment amoureux, il concorde avec le discours de tous les gars que nous avons rencontrés au cours de ce reportage.

Primo, les hommes ne tombent pas amoureux d’une poupée, mais d’un être humain. Comme le dit Danny, qui vit en couple depuis cinq ans et qui a un fils de 18 mois: «À moins d’être un gros crétin, un gars ne reste pas avec une fille pour son corps. Je ne veux pas dire que ce n’est pas important, mais ça ne suffit pas. Un gars a besoin d’être stimulé par autre chose.»

Secundo, ce sont les filles qui ont des critères de beauté irréalistes, pas les gars. «Les hommes sont attirés par les filles qu’ils côtoient dans la vraie vie, pas par des images « photoshoppées »», explique Stéphane, 39 ans. Alain, qui a trois adolescentes, dénonce avec virulence les photos publicitaires technologiquement modifiées, qui déforment la réalité. «Les filles se comparent à des modèles qui n’existent pas.

Elles veulent correspondre à des standards de beauté inatteignables; des standards inventés par l’industrie de la mode et de la beauté, et véhiculés par des vedettes qui se cachent des caméras en portant de grands chapeaux et des lunettes noires dès qu’elles sortent sans leur armée de maquilleurs et de coiffeurs.»

Les femmes se trompent lourdement en pensant que les hommes cherchent des sosies de Cameron Diaz ou de Keira Knightley, écrit J. M. Kearns dans son livre Pourquoi l’homme idéal ne me trouve pas: «Les hommes recherchent une femme attirante […]» mais «l’attirance veut dire des choses complètement différentes selon les hommes», précise-t-il. Ces derniers ont des goûts très variés. Ce qui séduit les uns laisse les autres complètement indifférents. «Dans notre culture, beaucoup d’hommes aiment les silhouettes minces, athlétiques – certains les aiment vraiment et d’autres font semblant de les aimer, honteux d’admettre devant leurs pairs que leurs préférences sont ailleurs. […] Beaucoup, même dans notre culture, sont attirés par des courbes généreuses.»

 

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UN DANGEREUX MENSONGE

Notre obsession pour le corps remonte à la Renaissance, à l’époque où s’est produite une lente désacralisation du corps humain, indissociable des progrès médicaux. Elle s’est poursuivie à travers l’art, notamment avec Picasso, qui a littéra lement cassé le corps féminin en morceaux avant de le reconstruire à sa façon. Une fois devenu objet, le corps s’est petit à petit muté en outil de commercialisation. Aujourd’hui, l’art est au service de l’industrie de la beauté, dont les médias ressassent les messages. Le hic: ces messages quotidiens se comptent par milliers, mais les modèles de beauté qu’ils véhiculent varient très peu et restent unidimensionnels. L’étalon de mesure? Une femme grande, blonde, jeune et très mince. «Ces modèles de beauté ne tiennent malheureusement compte ni de la réalité des femmes ni de la diversité de la rue», explique Lydya Assayag, directrice du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF). Ils sont terriblement réducteurs en ce qui concerne la taille, le poids, l’âge, la variété des corps et les différences culturelles.

 De plus, en martelant sans cesse les mêmes messages (beau corps égale succès, et minceur égale santé), on arrive à faire croire aux femmes qu’elles sont en mesure d’atteindre cet idéal plastique. Chacune pourrait ressembler à telle ou telle mannequin si elle suivait tel régime, utilisait tel produit rajeunissant et faisait modifier telle partie de son corps. Mais «c’est une fabulation, un mensonge dangereux dans un monde où les technologies biomédicales sont en train d’exploser et où la chirurgie esthétique est de plus en plus banalisée.» Non, les corps des femmes ne se ressemblent pas tous et sont loin de correspondre à ceux des icônes de beauté. En outre, la chirurgie esthétique n’est pas sans danger, rappelle Lydya Assayag. Cette avocate craint aussi un effet de ressac, qui mettrait en péril l’avancée des femmes. «Nous avons fait des progrès fulgurants depuis les années 1950, notamment en matière d’éducation, de travail, de politique, mais pas en ce qui a trait à notre corps.

Nous devons comprendre que le fait de survaloriser un modèle stéréotypé du corps féminin a un impact négatif sur les relations hommes-femmes. C’est d’autant plus vrai que l’obsession de vouloir être de plus en plus sexy entretient une image de la séduction uniquement centrée sur le sexe.» Mme Assayag cite à ce propos une étude menée par Pierrette Bouchard, une chercheuse émérite de l’Université Laval. D’après cette recherche, les jeunes filles qui veulent se conformer aux modèles de beauté actuels éprouvent souvent des difficultés dans leurs études. «Lorsqu’on mise tout sur la séduction, on ne priorise pas les études et le savoir», avertit la directrice de la RQASF.

 

 

 

 

PERCEPTIONS ERRONÉES

Tout le monde s’entend pour dénoncer le rôle que jouent les médias dans la dictature de la beauté, qui affecte grandement l’estime de soi des femmes. Mais un autre obstacle nuit aussi à leur confiance en elles: leur propension à douter des compliments qu’elles reçoivent, surtout quand ils proviennent de leur entourage masculin. En effet, d’après les hommes rencontrés au cours de ce reportage, les femmes refusent très souvent de croire ceux qui les complimentent sur leurs charmes. «Ma blonde a accouché il n’y a pas longtemps. J’ai beau lui répéter que je la trouve belle, elle pense que je lui dis ça juste pour être gentil, déplore Maxime. Est-ce que mon discours est influencé par le fait qu’elle m’a donné deux merveilleux enfants? Peut-être un peu. Mais je sais aussi que l’amour, comme la beauté, ne se résume pas à l’apparence physique. Il y a aussi la tête et l’attitude face à la vie qui entrent en jeu dans l’attirance pour l’autre.»

 Dans le même ordre d’idées, Stéphane soutient que les femmes repèrent plus facilement les regards que les hommes jettent aux autres femmesque ceux qui leur sont destinés à elles. «Quand je marche dans la rue avec une amie, je lui fais souvent remarquer comment les gars la regardent. La plupart du temps, elle me répond que j’ai trop d’imagination ou que j’exagère.» Pour Danny, un des principaux problèmes réside dans le fait que les filles se jugent trop sévèrement. «Tu n’entendras jamais un gars dire en public qu’il a de grosses fesses », fait-il observer, laissant entendre par là qu’une fille fera ce genre de commentaires sur elle-même à haute voix.

«C’est vrai que les femmes s’intéressent beaucoup aux détails et qu’elles se concentrent souvent sur de petites choses que personne ne voit», reconnaît Élise Bernier, une omnipraticienne qui travaille dans le domaine de la médecine esthétique et plastique depuis plus de 20 ans. La médecin ajoute qu’il faut cependant tenir compte du monde dans lequel nous vivons. «De nos jours, on fait beaucoup plus attention à soi qu’avant. On surveille sa santé, son alimentation, son hygiène de vie; on prend soin de son corps et on fait plus d’activité physique que ses parents. On peut donc avoir 45 ans et se sentir comme si on en avait 20 de moins. Mais comment peut-on vivre en harmonie avec cette impression si l’apparence ne suit pas…?»

 

 

CONFIANCE EN SOI

Il est vrai que l’époque actuelle encourage cette préoccupation constante pour le corps. À cet égard, les hommes et les femmes ne sont toutefois pas égaux. Comme l’indique notre sondage, un véritable fossé existe entre les sexes relativement à la perception du corps féminin. Interrogée à ce sujet, la psychologue Danielle Desjardins soutient que les femmes qui ne se considèrent pas aussi jolies que l’affirme leur conjoint n’ont pas une très haute estime d’elles-mêmes. Elles se jugent uniquement en fonction de standards esthétiques. «Ces femmes oublient que leur amoureux perçoit leur beauté selon une dynamique affective, cognitive et relationnelle», pas seulement physique. «Les femmes sont beaucoup plus belles qu’elles le croient, s’exclame Alex. Elles doivent comprendre que leur beauté repose sur un ensemble de choses: ce qu’elles dégagent, la façon dont elles s’expriment, leur posture, leur humour. Elles doivent aussi comprendre que, à partir du moment où elles acceptent leur corps avec ses qualités et ses défauts, elles deviennent soudainement très attirantes pour les hommes.»

 Si on en croit les gars que nous avons interrogés, les femmes qui se triturent les méninges à propos de leur corps passent à côté de l’essentiel. «Le corps est une composante importante d’un ensemble constitué de nombreux autres éléments. Quand une femme plaît à un homme, c’est qu’elle réunit plusieurs de ces éléments. On parle alors de compatibilité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les hommes ont répondu aussi favorablement à votre sondage. Car si le corps est un morceau important, il ne constitue qu’une seule pièce du casse-tête amoureux»,conclut avec sagesse Danny.

 

 

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