Avez-vous déjà ressenti la douleur du rejet à la suite d’une déception amoureuse? Quiconque a déjà vécu un amour non réciproque sait que la souffrance est généralement accompagnée d’un mystère insondable. Le type d’amour dont je parle – inconditionnel, pur et sincère – ne devrait connaître qu’une fin: heureuse. Comment peut-on avoir tant d’amour pour quelqu’un et ne rien recevoir en retour.

Le récit d’un amour unilatéral

J’ai un souvenir précis du jour où j’ai rencontré James. Nous avions été affectés à une collaboration sur un projet de trois mois et j’étais nerveuse à l’idée de travailler avec des inconnus. En entrant dans le studio, je l’ai immédiatement remarqué. Grand, élancé, cheveux en bataille et lunettes branchées, il portait un chandail de Snoopy à l’aspect volontairement négligé sous un coton ouaté à capuchon gris. Drôle et intelligent, James était l’homme de toutes les situations, le genre de personne dont tout le monde apprécie la compagnie. Le coup de foudre? Si cela correspond à avoir des papillons dans le ventre tout étant très à l’aise et complètement soi-même, alors oui, j’imagine que c’était le coup de foudre. Le projet qui devait initialement durer trois mois se transforma en entreprise à long terme et mon amour pour James grandissait à mesure que les années passaient. Je tiens à préciser que mes sentiments étaient purs, tendres et romantiques, un amour sincère, non pas un béguin passager ou inventé. À chaque regard, rire, commentaire ou geste que nous partagions, cet amour grandissait.

Du moins, de mon côté.

 

Ai-je mentionné que James avait une amoureuse de longue date dans sa vie? J’ai connu Anita peu après ma rencontre avec James, ils sortaient alors ensemble depuis quatre ans. D’une beauté qui s’infiltre sournoisement en vous, Anita était, à l’image de James, authentique et franchement charmante. Elle était infirmière et partait pendant le congé des fêtes faire du bénévolat dans un orphelinat en Inde – bref, un véritable modèle de vertu! J’avoue honteusement que si une partie de moi éprouvait de la culpabilité à être amoureuse de son homme, l’autre partie, elle, souhaitait sa disparition définitive afin que James et moi puissions vivre heureux jusqu’à la fin des temps.

Il est évident que c’est la bonté d’Anita qui m’empêcha de faire des avances à James. J’avais déjà joué le rôle de «l’autre femme» dans le passé, et j’avais appris de cette expérience que rien de très solide ne peut se bâtir sur les cendres d’une relation volée. Si James et moi avions une chance de vivre une histoire sincère, celle-ci devait démarrer sur une base solide et tant qu’Anita et lui étaient ensemble, rien ne pourrait se concrétiser.

Et les sentiments de James?

Jamais je n’ai pensé que mon amour pour James n’était pas réciproque, car nous étions très proches. Il y avait les petites attentions, comme à chaque nouvelle coupe de cheveux ou paire de jeans, ou la couleur de mon rouge à lèvres ou mon nouveau parfum, James était toujours celui qui le remarquait et commentait le premier. Quand j’étais malade, James débarquait chez moi avec des médicaments contre la grippe et m’offrait un massage. Quand j’étais déprimée ou triste, James me remontait le moral en m’envoyant un message pour me dire que j’étais formidable ou me raconter une histoire rigolote. Il y avait aussi les grandes attentions, comme la fois où j’ai dû faire euthanasier mon chat, c’est James qui m’a conduite chez le vétérinaire, qui m’a enlacée jusqu’au dernier souffle de mon animal. C’est lui qui m’a serrée dans ses bras lorsque je sanglotais, m’a caressé les cheveux en me disant que tout allait bien aller – et c’est encore lui qui a répété ces mêmes attentions lorsque j’ai appris la mort de mon père, un an plus tard.

Je savais que ce que je ressentais était authentique. Je m’illuminais à chacune de nos rencontres et lui aussi. Il y avait toujours ces plaisanteries de drague humoristique entre nous et lorsque nous nous quittions, James me serrait contre lui un peu plus longtemps qu’il ne l’aurait dû.

Il y avait cette énergie entre nous, une séduction discrète mais intense, et nous partagions une intimité physique qui franchissait les limites d’une relation amicale appropriée. Les gens remarquaient souvent la chimie palpable entre nous. Lorsque je leur montrais les messages ou les courriels qu’il m’envoyait, mes proches mentionnaient la plupart du temps le fait qu’Anita serait attristée de savoir qu’il me racontait des choses aussi intimes et révélatrices, bien qu’elle n’en eût aucune idée. Nous n’étions jamais aussi dragueurs devant elle que lorsque nous étions seuls tous les deux.

Je n’avais pas l’impression que nous n’étions que des amis et, au plus profond de mon être, je croyais que, d’une manière ou d’une autre, nous finirions ensemble sans les retombées toxiques émanant d’une briseuse de couple. L’intensité de mes sentiments était telle que je ne pouvais croire que notre destin n’était pas celui d’un couple. Je savais qu’il était mon âme sœur, et cette certitude m’aidait à patienter jusqu’au «bon moment». Certes, j’étais frustrée de cette attente : il y eut beaucoup de nuits au cours desquelles je me suis languie d’être avec lui. Mais je sentais que je risquais de tout perdre si je franchissais cette limite.

Malgré mes sentiments, je n’ai pas mis ma propre vie en suspens. J’ai fréquenté d’autres hommes et j’ai même vécu une longue relation (d’ailleurs vouée à l’échec) avec l’un d’eux. Mes sentiments pour James constituaient une trame de fond immuable à n’importe quelle autre possibilité.

Il y eut un moment, après mon échec amoureux, où j’ai presque flanché. Je vivais chez James et Anita (une autre preuve de sa gentillesse) pendant qu’on effectuait des travaux dans mon appartement. J’ai alors découvert un côté de la personnalité de James que je ne connaissais pas – ce qui me fit réaliser exactement le type de vie que j’étais en train de rater. Comme Anita travaillait de nuit à l’hôpital, James et moi passions beaucoup de temps ensemble. Au retour du travail, un souper et une bouteille de vin m’attendaient. James me faisait couler un bain chaud avant d’aller dormir. C’était magique. Un samedi, après une journée à boire du vin au parc avec des amis, nous rentrions à la maison, joyeux et un peu euphoriques. Anita était au travail. Ce soir-là, l’atmosphère entre nous était légère et espiègle et nous avons parlé de notre amitié. Il me confia qu’il ne voulait que mon bonheur et qu’il tenait beaucoup à moi. Il me prit la main et un courant électrique me traversa le corps. Ce fut la seule fois où je sentis qu’un baiser aurait été possible.

Un aveu malavisé

Le jour suivant, de retour chez moi, je me sentais seule, déprimée et vulnérable. Lors d’une séance de flirt sur iChat avec James, je lui confessai, dans un moment d’impétuosité lié à quelques verres de Prosseco, que je l’aimais depuis le premier jour. Je me rappelle entendre une petite voix qui me pressait de tout lui avouer, que j’avais déjà trop attendu. Je me souviens aussi de la boîte de texte vide, du curseur qui clignote et du sentiment insupportable qui me tordait les entrailles alors que les minutes s’écoulaient et que la réponse de James tardait à venir. Finalement, il répondit: «Depuis le tout début?» «Oui, répondis-je. Je t’ai toujours aimé.» «Je n’en avais aucune idée», dit-il. J’étais sous le choc. «C’est une blague? Tu devais bien te douter de quelque chose! dis-je. Je sais que tu m’aimes aussi.» Une autre pause s’ensuivit, sans réponse. Et enfin: «Je suis désolé, je t’aime comme amie, mais c’est tout.» Voilà la réponse que je redoutais. L’amour de ma vie n’était pas amoureux de moi.

J’étais dégoûtée. Tout cela n’était-il qu’un petit jeu pour lui? Peut-être était-ce l’alcool ou un faux sentiment de bravoure, mais je passai de triste à furieuse en quelques secondes. C’était tout? Des années de jeux de séduction et notre vie de couple potentielle s’éteignaient aussi abruptement? Ma fureur se changea ensuite en inquiétude. Avais-je gâché l’amitié la plus importante de ma vie en lui faisant ces aveux?

Et aujourd’hui, comment sont les choses entre nous? Étonnamment, James est toujours mon meilleur ami. Nous flirtons toujours et l’attirance est encore présente. Cependant, mes confidences m’ont permis d’étouffer le feu de mes sentiments et m’ont fait réaliser que je peux l’aimer sans me languir ni le désirer. Malgré tout, je ne comprends toujours pas pourquoi il m’a mené en bateau toutes ces années. Je ne crois pas qu’il n’ait jamais eu de sentiments à mon égard. Je ne suis pas dupe – je sais que l’amour peut être à sens unique, mais l’énergie et le temps que nous avons consacrés à notre relation dépassaient les simples limites de l’amitié. J’ai d’ailleurs retenu cette leçon: ressentir tout l’amour du monde pour quelqu’un ne veut pas dire qu’il vous sera rendu.

James demeure l’instrument par lequel je mesure tous les hommes. S’ils n’ont pas sa loyauté, sa gentillesse et son honnêteté, ils ne valent pas le coup. Ma rencontre avec James m’a permis de découvrir ce qu’est l’amour, le vrai. Et si je ne peux pas avoir cette qualité de relation – ou mieux – avec quelqu’un d’autre, je préfère ne rien avoir du tout.

 

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