«Chez toi ou chez moi?» La décision de vivre sous le même toit ne va pas toujours de soi. Dans cette ère du couple à géométrie variable, les hommes et les femmes sont en quête d’une nouvelle manière de vivre leur intimité. Quitte à la réinventer.

Prenons Sandrine, une architecte de 33 ans, amoureuse depuis trois ans et pas particulièrement pressée d’habiter avec son copain: «Je n’ai rien contre la vie en duo mais, pour l’instant, j’ai besoin d’être indépendante et d’avoir du temps pour moi. Et puis, c’est très excitant de retrouver mon chum chez lui. On s’appelle, on se donne rendez-vous, on se voit quand on est vraiment disponibles l’un pour l’autre. C’est comme être amoureux et amants à la fois.»

«Nous vivons dans une société libre, où de nombreux modèles de relations à deux sont permis», affirme Rachel Mercier, psychologue en thérapie individuelle et conjugale. Et la possibilité de former un couple en faisant maison à part en est la parfaite illustration. «C’est un choix, une façon différente d’être ensemble, sans subir le quotidien et ses heurts, ajoute-t-elle. C’est aussi un moyen d’avoir une relation intime tout en préservant son indépendance. On peut ainsi être tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, passer des fins de semaine ensemble, en se laissant du temps pour respirer, chacun de son côté, et pour se retrouver avec soi-même. Bref, c’est une option de plus dans la manière de vivre à deux.»

 

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AMOURS À LA CARTE

Ces couples où chacun demeure chez soi ont-ils un profil particulier? «Ils ont chacun leur histoire, soutient la psychologue, mais je serais tentée de dire que la non cohabitation est une solution séduisante pour ceux qui ne souhaitent pas avoir d’enfant ou dont au moins un des partenaires est déjà parent. Cette formule peut aussi convenir aux personnes qui mènent une carrière exigeante ou qui ont une dynamique relationnelle où le besoin d’autonomie occupe une grande place.»

Le principe de l’amour à temps partagé peut également plaire à celles et ceux qui veulent «tester» leur relation avant de s’engager pleinement. Il semble aussi largement convenir aux trentenaires, qui adoptent souvent cette manière de vivre jusqu’à ce que le désir d’avoir un enfant se pointe, contrairement aux quadragénaires, qui ont tendance à en faire un mode de vie permanent, qu’ils aient des enfants ou non.

Évidemment, cette formule attire aussi les hommes et les femmes qui sortent d’une relation désastreuse et se promettent de ne pas retomber dans le piège d’une existence commune pour un temps… ou pour longtemps. «J’ai compris très jeune que le quotidien tue l’amour et que c’est totalement irréaliste de vouloir tout partager», raconte Marie-Ève, une designer dans la trentaine. «Pour moi, la vie commune est un piège séduisant, mais un piège quand même. Tandis que d’habiter seule chez moi et d’avoir un amoureux, ça me comble. Je me sens attachée à quelqu’un tout en restant libre.»

Vivre chacun de son côté ne serait qu’une façon parmi d’autres d’être en couple, alors? Marc Pistorio, psychologue et auteur de Vérité ou conséquences – Oser l’authenticité envers soi en couple et en famille, exprime de grandes réserves à ce sujet. «Croire qu’on peut être ensemble tout en étant séparés, c’est un leurre, dit-il. Si je ne suis conscient que de mes besoins, si je vois l’autre comme une nuisance dans mon quotidien, et surtout, si je ne veux pas lui exposer clairement mon malaise, eh bien la vie à deux, chacun chez soi, devient une solution de repli. Or, ce n’est pas en évitant d’exprimer nos besoins et nos peurs qu’on peut vraiment former un couple et aspirer à la véritable intimité. C’est en se révélant à l’autre et en tentant l’aventure du couple au quotidien qu’on évolue, car cette aventure nous oblige à regarder notre histoire en face, et c’est de cette façon qu’on affronte nos peurs et qu’on les surmonte.»

 

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FUSION OU LIBERTÉ?

«J’avoue qu’au début de notre idylle c’était un peu compliqué», raconte en riant Sarah, une avocate de 36 ans, en couple depuis cinq ans. «On se demandait souvent: “Qui va chez qui? Ce soir, on dort sous le même toit ou pas? Vais-je le froisser si je préfère passer un vendredi soir sans lui?” Puis, rapidement, Julien et moi avons trouvé notre rythme. Depuis, ça se passe très bien. Comme on est très occupés, on dort ensemble dès qu’on le peut et on se réserve toutes nos fins de semaine. Ça ne nous empêche pas, d’ailleurs, d’avoir nos phases de fusion-passion, mais aussi d’agacement ou d’éloignement, comme tous les amoureux, sauf qu’on ne les vit pas sous le même toit. Ça donne de l’air…»

Cet équilibre fragile entre distance et intimité n’est-il pas la pierre angulaire de toute relation? «Absolument, estime Rachel Mercier. Dans chaque couple, il y a une distance à maintenir par rapport à l’autre pour continuer à s’épanouir. Et ça, ça se discute: “Comment voit-on notre relation? Comment veut-on la vivre?” doit-on se demander. C’est comme une danse, qui est liée à la notion d’attachement.»

À chacun, donc, d’inventer le savant dosage qui le rendra heureux: ni trop proche de son partenaire, pour ne pas étouffer, ni trop loin, pour ne pas se sentir abandonné. «Dans les unions, les besoins d’intimité sont multiples, fait valoir Marc Pistorio. On a tous vécu une situation dans laquelle on s’est senti envahi ou abandonné, ce qui nous a peut-être poussé à mettre une croix sur la vie commune. La décision de faire vie à part ou de se fermer à l’autre n’est cependant pas la solution. C’est en s’ouvrant à l’amour et à ce qu’il a à nous offrir qu’on guérit de ses blessures. Et puis, pourquoi le fait de vivre ensemble impliquerait-il un état de fusion permanent? On peut très bien se dire: “Ce soir, j’ai envie d’être seul, de me recentrer”, sans que ça blesse l’autre, puisqu’on le retrouvera encore mieux par la suite.»

Comme le souligne Rachel Mercier, «l’amour à temps partagé ne peut fonctionner que si les deux partenaires éprouvent les mêmes besoins de distance ou d’intimité et qu’aucun d’eux n’impose son besoin à l’autre». Mais comment s’y prendre lorsqu’un seul des partenaires veut partager son quotidien avec l’autre, ou que l’écart entre les besoins affectifs de chacun est abyssal? «On ne peut pas faire de compromis sur nos valeurs ni sur des besoins fondamentaux comme le besoin de proximité et de sécurité, tranche Marc Pistorio. Si on recherche une relation plus fusionnelle et qu’on souhaite vivre en couple avec une personne solitaire qui ne jure que par son indépendance, on prête le flanc à la souffrance. Il vaut mieux, dans ce cas, laisser aller l’autre et se tourner vers quelqu’un qui a le goût du même type de relation que nous.»

 

 

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ENSEMBLE, C’EST TOUT

Curieusement, ce n’est pas tant la volonté d’avoir plus de liberté qui pousse de nombreux conjoints à vivre séparément que l’envie d’être vraiment ensemble quand ils se retrouvent. En effet, comme l’explique le sociologue François de Singly dans son ouvrage Libres ensemble – L’individualisme dans la vie commune, ce n’est pas parce qu’on se voit tous les jours qu’on partage davantage d’activités et de temps ensemble; c’est même le contraire… «À force de se côtoyer, on ne se réserve presque plus de vrais moments à deux, dit Marianne, qui vit avec son amoureux depuis deux ans. Bien sûr, on se voit et on se parle au quotidien,  on se colle en écoutant un film. Mais à quand remonte notre dernière sortie en amoureux? Je regrette presque les premiers mois de notre relation, où on ne cohabitait pas, où on était totalement présents l’un pour l’autre.»

«C’est vrai qu’on a le plaisir de se fixer des dates quand on n’habite pas avec son conjoint», souligne Rachel Mercier. Ce qui permet de fuir la routine, ennemie jurée du couple. «De cette façon, on évite aussi les sautes d’humeur de l’autre et les petites frustrations de la vie commune, fait-elle remarquer. Mais le quotidien n’est pas seulement fait de choses plates. Retrouver chaque jour la personne qu’on aime, dormir à ses côtés, partager plein de moments avec elle, ça peut aussi être très agréable!»

C’est dans la non cohabitation qu’Anne-Marie, elle, voit des petits plus inusités: «Le fait d’avoir chacun notre appartement nous permet de nous séduire, de nous étonner, sans jamais tomber dans le panneau de l’habitude ou de l’ennui. Ça nous permet aussi d’être ensemble sans pour autant prendre nos aises, par exemple… péter au lit.» Une petite licence que Jennifer, qui est en ménage avec son amoureux, considère comme «tout à fait charmante ». Puisque, selon elle, «ce sont ces petites conneries de la vie, ces petits gestes anodins dont on rit, qui nous rendent complices et nous donnent tant de bonheur à vivre à deux. Quant aux couples qui ne souhaitent pas cohabiter, je me dis qu’ils ont sûrement peur de perdre quelque chose, par exemple leur indépendance ou encore le contrôle de leur existence ou d’eux-mêmes. À moins qu’ils aient besoin de se faire rêver à distance pour rester proches…»

Quoi qu’il en soit, vivre chacun chez soi ne signifie pas pour autant vivre chacun pour soi. Et c’est peut-être cette nuance essentielle qui permettra aux couples de vivre séparément tout en étant ensemble.

 

 

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S’AIMER SANS VIVRE ENSEMBLE

Ça se passe comment? Trois femmes converties à ce mode amoureux en parlent librement.

«On a la chance, mon chum et moi, d’avoir chacun notre condo dans le même complexe. On n’a qu’à faire quelques pas en pyjama pour dormir ensemble! La semaine, on se voit en coup de vent; le wee-kend, on se colle. On préserve notre bulle, sans tenir l’autre pour acquis, ni se chicaner pour des niaiseries. On aura peut-être un jour le goût d’avoir des enfants et de vivre ensemble. Mais pour l’instant, c’est comme si on était toujours en lune de miel…»
Anne-Marie, 32 ans, en couple depuis deux ans

 «Pour moi, être amoureuse tout en ayant mon chez-moi, c’est plus qu’une forme de liberté, c’est essentiel à mon équilibre mental! Ça me donne l’occasion de passer une nuit blanche à travailler sans avoir l’impression de déranger mon chum ou de me sentir égoïste. Et puis, j’aime bien qu’on s’invite chez l’un et chez l’autre, et qu’on se laisse séduire par nos univers respectifs…»
Marie-Ève, 33 ans, en couple depuis cinq ans

 «Je sors d’une union désastreuse, où j’ai étouffé mes désirs, et je n’ai pas le goût de recommencer. Du moins, pas tout de suite. Être amoureuse sans partager le quotidien me fait un bien fou. Je retrouve mon équilibre et le plaisir de m’appartenir. Ça me permet d’apprivoiser l’intimité en douceur, sans rien brusquer.»
Patricia, 35 ans, en couple depuis un an et demi

 

 

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