«Mon amie est-elle encore vierge même si un gars l’a doigtée?» L’intervenante de Tel-Jeunes a tenu à me rassurer: j’avais le droit de parler en mon nom, elle n’était pas là pour me juger. Sauf que je demandais vraiment pour une copine. Elle était là, assise à mes côtés, les yeux ronds et les joues rougies. On avait 14 ans, de grosses questions, et je me disais que si quelqu’un en détenait les réponses, c’était bien cette inconnue au bout de la ligne téléphonique.

«Ça dépend. Pour elle, ça signifie quoi, perdre sa virginité? Ce n’est pas strictement biologique. Certaines femmes n’ont pas d’hymen, d’autres en ont un dont l’ouverture est déjà souple. Tout dépend de l’expérience de ton amie. Est-ce que ça l’inquiète?»

En fait, elle s’en faisait zéro avec ça. On se demandait juste si on pouvait dire qu’une de nous était passée de l’autre côté, celui des femmes sexuées. Faudrait attendre un peu avant d’éventer des faits non vérifiés. Ben coudonc, merci madame!

On avait eu des cours d’éducation à la sexualité; pourtant, ma copine et moi ne savions pas grand-chose de notre anatomie. Et si on pouvait nommer sans hésiter cinq outils pour éviter de tomber enceinte, on ne savait rien du désir. On ignorait tout de l’écart orgasmique entre les femmes hétérosexuelles et celles qui ont des partenaires du même sexe (qui jouissent pas mal plus que les premières). On ne savait pas non plus que le clitoris est composé de racines internes, mais on avait bien saisi l’importance de la fellation. En fait, on se demandait si c’était OK de recracher bien avant de se poser des questions sur notre propre plaisir. C’est qu’à défaut de trouver des informations éclairées dans le cadre scolaire, en tant que première génération ploguée au web, on se tournait vers la porno.

Or il y a plus recommandable en matière de tutoriels.

Depuis, le web a pris de l’importance. On s’est collectivement inquiété des dick pics sur Messenger, des sexfies sur Snapchat et des effeuillages sur TikTok. À la lumière de ces phénomènes nouveaux, on pourrait croire que les jeunes générations n’ont pas eu droit à la plus saine des bibliothèques intimes, qu’Internet les a pervertis. Sauf que, surprise: on y trouve du bon aussi.

Depuis janvier, un robot conversationnel permet aux ados de poser toutes les questions souhaitées au sujet de la sexualité, dans l’anonymat rassurant du web. Le chatbot Roo est une initiative de Planned Parenthood, un organisme américain de planification familiale, qui souhaite offrir des informations avisées aux jeunes de 13 à 19 ans, et ce, sans tabou.

Et donc, ils se demandent quoi, les adolescents, en 2020?

Après environ un million de conversations avec Roo, on sait dorénavant qu’ils se demandent surtout s’ils sont normaux. Si leur sexe est conforme aux attentes, si la fréquence de leurs masturbations est adéquate ou inquiétante, si c’est toujours aussi long et pénible se remettre d’une peine d’amour… Des questions qu’on se pose, peu importe notre génération. Mais attention, il y a du nouveau!

Les correspondants de Roo s’interrogent aussi beaucoup sur les manières de respecter les limites d’autrui. Le consentement est au cœur des préoccupations de la nouvelle génération et cet enjeu génère des questions complexes auxquelles le robot conversationnel offre des réponses limpides. En fait, Roo arrive à gérer 80 % des demandes, les autres sont transmises à des intervenants qui éduquent la machine, laquelle renseigne à son tour les jeunes dans un dialogue qui s’adapte à leur langage – oui, il y a beaucoup d’émojis. Si c’est pas beau, ça!

Roo est offert au Québec mais il ne répond qu’en anglais. En revanche, des ressources destinées aux jeunes existent également dans la langue de chez nous. Je pense par exemple aux capsules de onsexpliqueca.com ou encore aux vlogues des adorables sexologues derrière la plateforme Sexurl. Bref, outre sa vaste galerie de pénétrations, le web offre plusieurs occasions de dialogues sains sur l’intimité. Autant de lieux où on n’a pas besoin de mentionner qu’on parle au nom d’une amie pour se sentir libre. Et c’est en découvrant les dessous de cet éventail d’outils que j’ai enfin compris que le web améliorera peut-être la sexualité des adultes de demain.

L’avenir est aux robots, et ça ne me fait plus si peur.